Cantal, loup y es-tu ?
Repéré dans la bibliographie sélective de David le Breton accompagnant son ouvrage Eloge de la marche, attiré par le titre et les lieux parcourus, le Recours aux Mont du Cantal assemble quatre récits de marche louvoyant dans l'azimut du massif cantalien (Cantal, Aveyron, Livradois-Forez et Margeride). le livre oblong et mince (101 pages) des éditions Actes Sud déroule le cordon viscéral d'un écrivain photographe en marche hors des sentiers balisés et banalisés. L'incipit décrit brièvement la naissance du regard posé sur le paysage : « Avec ce sentiment romantique que l'adolescence nourrissait, je m'emparais du paysage. Un bosquet de feuillus ou une ligne d'horizon pouvaient être investis d'un poids érotique ou d'une lumière mystique ». L'anthropomorphisme masque et fait apparaître la nature dans un même mouvement. D'emblée, l'auteur pose le principe que le regard est orienté et pour un arpenteur de paysage, la donne est essentielle. Par cercles excentriques, Thierry Guinhut passe des territoires de l'enfance à la découverte physique du vieux stratovolcan auvergnat. Son sentiment de l'espace le pousse vers les vues dégagées des sommets. La marche solitaire lui permet d'étreindre la réalité et de jouir de l'amplitude des paysages ouverts (cirque glaciaire d'Alagnon, buron de Meije-Costes, col de Rombière…). D'autres puys et cirques cantaliens succèderont, par tous les temps, dévoilant leurs replis et leurs secrets l'instant d'une éclaircie et d'une traversée : « Je gardais l'enjeu suffisant de vivre, de n'être rien ni avant ni après, de traverser ». Dans ces paysages savamment évoqués, l'auteur fait parfois des rencontres humaines pour le moins déconcertantes comme celle survenue au hameau de Rudez, près de Mandailles. Un homme, « enraciné mais mobile », l'accueille et l'invite dans sa grange. Il lui fait découvrir une partie de sa bibliothèque (Jünger, Thoreau, Whitman, Stevenson, etc.) contenant aussi des guides de botanique, de géologie, de zoologie, etc., des almanachs destinés aux éleveurs et aux jardiniers, tout un kit intellectuel autarcique. D'autres caches dissimulées dans la montagne contiennent des ouvrages utiles en cas de survie post-apocalyptique. le passage à l'abbaye cistercienne de Sylvanès permet aussi une surprenante et inquiétante rencontre avec un pèlerin illuminé clôturée ainsi : « Je juge qu'il faut te laisser à la seule compagnie de ton ombre que tu ne verras même plus dans ces bois noirs… », libérant in extremis Thierry Guinhut à ses déambulations libres et sauvages.
Dans ce bref ouvrage riche d'une expérience sensorielle et mentale puisée au vif du monde, le lecteur découvre des lieux aimantés qu'il ne peut pas toujours différencier par manque de jalons, d'itinéraires compréhensibles, de cartographie précise, de photographies évocatrices, tout un addenda que l'éditeur écartera toujours pour des raisons financières. Cela ne doit pas nuire à une démarche exceptionnelle d'écrivain marcheur prompte à se déployer dans des paysages sauvegardés par des reliefs retors à l'exemple des sierras espagnoles que l'auteur a ensuite enchâssées au cours de randonnées existentielles et poétiques.
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J’aurais voulu à la fois mieux voir, volumes, densités, poids, me dessiller, ne pas en rester aux mots, voir beaucoup plus lentement, posément dans l’ensemble du massif et dans l’infini de ses détails, ronde et étoilement des sommets, chaos de rochers…, arasement d’une crête coulée, figée, herbue, rêche et lire La leçon de la Sainte-Victoire de Peter Handke et L’entretien dans la montagne de Paul Celan.
Il me fallait du même mouvement ordonner mes sensations et sentir. (p. 17)
Lire le dessin des reliefs et de la vallée sur la carte, ombres, couleurs et courbes de niveau, me fut comme un soulagement, une certitude, de celles qui permettent de comprendre par plusieurs entrées, d’assurer la vision. (p. 18)
La ressource seule de mes pas et de mes sens était encore la plus fiable, la plus longue certainement, la plus saupoudrée mais la plus susceptible de connaissance. (p. 19)
[…] n’était-ce pas puéril d’associer la hauteur physique des monts à celle de l’esprit ? (p. 34)