De ce qu'on sait de ce recueil de nouvelles, c'est qu'il a été écrit à des moments très espacés de la vie de Hesse (périodes allant de 1896 à 1949). Il relate, dans un suc d'extrême candeur, plusieurs épisodes de son enfance dans la splendeur verdoyante de Calw, sa ville natale, ainsi que dans les pourtours chatoyants du Neckar. Des faits qui, de surface, paraissent légers, mais à travers lesquels on peut entrevoir et entendre le feu qui crépite dans l'âtre de son écriture.
Des cinq nouvelles de ce recueil, je retiens '
Mon enfance', 'L'histoire de mon Novalis' et ‘Le mendiant'. Je suis même heureuse qu'elles aient été placées au-devant, jugeant les deux autres d'un fond médiocre et d'un ennui terrible. En ce sens, j'érigerai mes appréciations sur celles que j'ai citées.
La vie interrompue...
Dans '
Mon enfance', Hesse nous offre des errances bucoliques à perte de vue. Il dresse l'expression du Soi dans un décor sublime de verdure avec des descriptions eurythmiques qui enchantent le coeur par tant d'allégresse et de quiétude. Une sorte de pays de Cocagne qu'on visite au fil des pages et qu'on ne voudrait jamais quitter. Il me semble justement que l'un des talents de cet écrivain est de nous plonger dans une capsule temporelle propre à lui ; dès lors, on se retrouve comme détaché de notre vie, notre subjectivité va à la rencontre de l'auteur d'un espace textuel vers un espace littéraire qui transcende la matérialité du livre, des phrases et, voire même, des mots.
« Maintenant encore, lorsque de temps à autre, je me sens ému par le souvenir de
mon enfance, c'est une image encadrée d'or, aux couleurs intenses, qui m'apparait distinctement, image où je distingue avant tout une abondante frondaison d'aulnes et de châtaigniers dans l'éclat d'une lumière matinale impossible à décrire et sur un arrière-fond de splendides montagnes. Je ne saurais évoquer en des termes plus heureux toutes les heures de mon existence au cours desquelles, oublié du monde, j'ai joui d'un bref repos, toutes mes promenades solitaires par monts et par vaux, tous les instants de bonheur inattendu ou d'amour libéré du désir qui me faisaient perdre la notion du temps, qu'en les comparant à cette verdoyante image de
mon enfance. »
Pour moi, ces nouvelles constituent le creuset, le centre gravitationnel, des oeuvres existentialistes de Hesse. C'est à travers l'autobiographie rétrospective, ce retour vers l'enfance, qu'il décrit si bien le magnifique état dans lequel la flamme des souvenirs jaillit dans la combustion de son écriture.
La littérature est jalonnée par des poètes et des écrivains qui font de la nature, le tremplin, ou la condition nécessaire de la prise de conscience de leur propre Moi et Hesse n'y échappe pas. A cet effet, les descriptions des paysages de sa région natale sont comme des météores tombées du ciel, elles disposent en nous des impressions, à la fois, vivaces et très légères. C'est une délectation enivrante pour les adorateurs du lyrisme romantique.
L'air de la mère-patrie embaume le style de Hesse d'une volonté prompte à s'enflammer pour consumer notre ardeur littéraire et ses mots traversent l'espace de notre subjectivité esthétique comme une trainée de lumière. Je m'abandonnais alors à lui, sans réserve, dans sa contemplation intérieure, son rêve méditatif pour un retour vers Soi, ce que l'Être fût. À cela s'ajoute sa quête identitaire ; il n'a d'autre matière que lui-même pour mieux comprendre ce qu'il est devenu à travers les différentes séquences de sa vie.
Dans 'L'histoire de mon Novalis', l'auteur exprime son penchant de bibliophile, sa « véritable spécialité » comme il l'a souligné.
« L'intérêt et la joie que me procurent mes livres ne tiennent pas seulement à leur contenu, à leur présentation ou à leur rareté, mais à l'envie et au plaisir singuliers que j'éprouve de connaitre aussi, dans la mesure du possible, l'histoire de ces ouvrages. Par là je n'entends pas l'histoire de leur origine de leur diffusion, mais bien l'histoire particulière de l'exemplaire unique alors en ma possession »
En ce sens, Hesse raconte comment un volume de
Novalis s'est retrouvé entre ses mains. L'histoire, en soi, n'est pas extraordinaire, mais l'auteur a su lui extraire une certaine beauté, un charme peut-être ? Un je ne-sais-quoi qui nous donne envie de poursuivre la lecture. de plus, il fait un travail de fin critique en citant quelques écrits de
Novalis en décrivant aussi son style d'écriture : « Depuis quelques jours, il était subjugué par la force pleine de douceur que dégage le plus profond et le plus suave d'entre les romantiques, celui [
Novalis] dont la langue aux tonalités sombres, saturée d'essences et d'intuitions subtiles, l'avait soumis de son plein gré à ses rythmes mélodieux. C'était une harmonie mystique, semblable au bruissement lointain d'un grand fleuve au plus profond de la nuit, dominé par une voute où fuyaient les nuages dans la lumière bleuissante des étoiles, une harmonie pénétrée d'allusions à tous les mystères de la vie et à toutes les tendresses secrètes de la pensée. »
(Critique en cours)