Ce livre est l'un des derniers de la période américaine de
Chester Himes avant son départ pour la France et ses romans policiers sous l'égide de Marcel Duhamel chez Gallimard. A l'instar des précédents, il est essentiellement autobiographique et lui vaudra de se fâcher avec sa famille (ici « à l'honneur »).
L'histoire reflète les souvenirs de Chester adolescent entre des parents pour lesquels la vie était celle de la middle class noire américaine. Ses deux parents enseignants, les fins de mois difficiles qui démarrent le 15 ne sont pas le problème majeur : ce qui centralise l'attention du jeune Charles du roman, alter égo de Chester, ce sont les disputes incessantes de ses parents dont la cause est essentiellement un problème de racisme et de couleur de peau, au sens strict du terme. Sa mère, métisse de peau blanche est obsédée par ses origines blanches (réelles ou fantasmées) et méprise toute négritude y compris et surtout chez sa première victime, son mari. Elle fait le maximum pour extraire ses enfants de la fréquentation des noirs et essaye même de les « blanchir » en défrisant leurs cheveux (ce qui n'avait rien d'original à l'époque mais a été symboliquement rejeté dans les années 60 – coupes afro etc).
L'ensemble est écrit de façon classique et très précise, les tourments intérieurs de Charles – qui ne prend une place centrale qu'au tiers du roman – ne sont pas excessivement dramatisés et
Chester Himes respecte à la lettre son objectif de description sociale du problème de racisme dans les années 30 ainsi que nombreux détails strictement autobiographiques comme l'accident dans l'ascenseur.
Reste évidemment que la misogynie habituelle de l'auteur, sans nuire pour autant au plaisir de la lecture, prend ici un tour obsessionnel : la mère est à peu de choses près rendue à 100% responsable de l'ambiance familiale, ses enfants finissent par ne plus la supporter, elle pourrit littéralement le quotidien de chacun (y compris évidemment le sien) et le mari finit par la laisser diriger le couple par fatigue de lutter en vain contre elle. Elle joue un rôle intéressant de courroie de transmission du racisme ambient au sein de sa propre famille noire mais l'absence d'alternative à cette vision manichéenne des personnages finit par devenir tellement caricaturale qu'elle agace plutôt que servir l'intérêt du livre, j'ai trouvé (pour simplifier, à chaque fois qu'on a l'impression qu'une certaine stabilité va s'installer, c'est elle qui, par son racisme, provoque une rupture destructrice).
Si les polars de
Chester Himes ne m'ont jamais spécialement enthousiasmé, je pense que la période précédente contient des perles édifiantes et symptomatiques du problème des noirs américains au début du XXème siècle – et qui éclaire l'époque actuelle. Lire ses romans et ceux de
Richard Wright est toujours d'un grand intérêt.