C'est une époque où je fuyais ma vie, car ma vie m'avait fui. C'est une époque où je ne m'aimais pas, car on ne m'aimait plus. La femme avec qui je dormais depuis sept ans m'avait quitté, la chose est courante, et je ne dis pas que les torts étaient de son côté, si tant est, du reste, que la notion de tort ait un sens, quand le seul point qui compte en la matière est évidemment le désir ou le dégoût de vivre ensemble. Mais quelque chose m'atteignit bien plus que cette rupture dont je savais depuis longtemps qu'elle était dans l'ordre des choses, depuis la première fois où j'avais eu du mal à nous imaginer vieillissant ensemble.
Ils appellent cela un foyer, et moi j'ai entendu le mot comme un foyer de révolte, un foyer d'incendie.
Il faut savoir ce qu'est la vie de ces gens sur les chantiers, l'humiliation, les coups, la peur du contremaître, l'hiver. Ces gens-là, on ne leur apprend pas à lire, à voir, à aimer. Dans leur pays, on dit qu'ils gagnent bien leur vie. Ce n'est pas vrai. Ici, dans ces foyers, on leur fait perdre jusqu'au souvenir du soleil. On leur fait faire ce que les gens d'ici, les gens qui ont des maisons et des femmes, ne veulent plus faire.
Il apparut bientôt que toutes les caractéristiques qui font les grands faits divers étaient réunies : l'enfance assassinée, la tragédie familiale, la province profonde, une connotation sexuelle, un arrière-plan sociologique, une énigme policière et, en arrière-fond, les eaux noires du canal et de la rivière. Alors, les radios et les télévisions se mirent de la partie tandis que les quotidiens et les news mobilisaient psychologues, psychanalystes, pédiatres, sociologues, mais surtout leurs grandes plumes, leurs grandes signatures.
Pour comprendre le crime, je crois qu'il faut voir les maisons. Les maisons disent le crime plus sûrement que le criminel même.
La maison de Simon, je l'aie vue. La maison de Djamel, je l'ai vue. Ce sont des maisons simples, avec des murs, des toits, des portes, des fenêtres et des rideaux aux fenêtres. À l'intérieur de ces maisons, on devine qu'il y a des enfants, des jouets, et beaucoup de chaleur, de tendresse. Ce sont des maisons de femmes, elles ont toute la douceur des gestes de femmes.
Quand quelqu'un est assassiné à Paris, ou disons, en région parisienne, ce qui se produit tous les jours, si ce n'est plusieurs fois par jour, et que vous entrez dans le métro le lendemain matin ou que, le soir, vous reprenez votre train de banlieue, il ne vous vient jamais à l'esprit que vous pourriez être assis – à supposer que vous ayez trouvé une place – à côté de l'assassin. Vous n'y pensez même pas, et vous avez raison : la probabilité est la même que de gagner au loto. De toute façon, votre voisin d'aujourd'hui n'est pas le même qu'hier : il vous est aussi inconnu que vous lui êtes inconnu. Il en sera de même demain, et tous les jours de votre vie.
Il est un des rares, très rares, trop rares journalistes dont on peut écrire, sans risque d’être démenti, qu’il a du talent, des idées et du courage. Qu’il a toujours préféré ses opinions à son confort, ses convictions à sa réputation. Rencontre avec un journaliste libre, tout simplement libre. www.revue-medias.com