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Hiéroglyphes tome 2 sur 3
Fayard (01/01/1978)
4/5   1 notes
Résumé :
« Les sept ans d’aveuglement qui frappèrent l’Occident de 1932 à 1939 furent un des phénomènes les plus remarquables de l’histoire. Il eût fallu, à des gens élevés dans les traditions de l’Occident, une puissance d’imagination peu commune pour admettre et se représenter la renaissance de la torture médiévale et de l’esclavage antique. Il fallait un effort intellectuel plus grand encore pour croire à la réalité des plans nazis et communistes de conquête du monde par ... >Voir plus
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
J’approchais de la trentaine. Bien qu’encore instable, du point de vue émotif, et loin d’être mûr, un changement commençait à se cristalliser lentement dans mon caractère derrière toutes les confusions et les contradictions. Mes années de jeunesse avaient été une succession de courses haletantes après la flèche dans l’azur : la cause parfaite, l’Hélène idéale, le shaman omniscient, le chef infaillible. À présent, après une série de déceptions, la perfection de la cause que je servais devenait peu à peu moins importante que le service en lui-même. À travers un long passage d’épreuves et d’erreurs, je commençais à apprendre que le dévouement total à une cause était pour moi une nécessité physique, mon seul refuge du sentiment harcelant de culpabilité implanté dans ma petite enfance, et la seule façon dont je pouvais échapper au danger de devenir cet ennuyeux personnage si caractéristique de notre temps : « l’intellectuel névrosé » vautré dans ses limbes personnels.

En d’autres termes, je commençais à accepter le fait que j’étais un être du type obsessif. Doté, pour mon bien ou pour mon malheur, d’un surplus d’énergie nerveuse qui réclamait des issues excessives, j’avais besoin d’être obsédé par ma tâche pour ne pas être obsédé par moi-même. Les derniers mois passés dans ma chambre d’hôtel de Belleville n’avaient évidemment pas amélioré mon état mental. Si cette chambre d’hôtel se fût trouvée à Chelsea ou à Greenwich Village, je n’aurais sans doute pas échappé aux séances hebdomadaires sur le divan d’un psychiatre d’où je me serais relevé au bout de trois ans avec une personnalité plus ou moins bien rapiécée. Mais comme j’étais sans le sou et ne pouvais compter sur l’aide de personne, je dus recourir une fois de plus à « Baboue » ce bluffeur de baron de Münchhausen qui, tombé dans un marécage, se tira par les cheveux hors de la boue où il était sur le point de sombrer. C’est pourquoi, au lieu du divan magique, je couchais dans un grenier à foin et rêvais de projets d’exposition internationale antifasciste, entreprise grandiose qui démontrerait, une fois pour toutes, par des parallèles historiques, des chiffres statistiques, des graphiques sur le réarmement, etc., que L’APAISEMENT C’EST LA GUERRE, en même temps qu’elle ferait appel à l’émotion par des figures de cire représentant la vie quotidienne dans un camp de concentration, accompagnées de l’avertissement : CELA ARRIVERA ICI.

On peut dire évidemment que coucher dans un grenier à foin, travailler dur et sans salaire, était le signe d’un besoin d’auto-punition. Peut-être, mais, dans ce cas, l’auto-punition était constructive. Cela nous ramène, une fois de plus, à l’ambiguïté des jugements de valeur, car le psychiatre considère toute obsession comme une maladie qu’il faut guérir, alors que, du point de vue de l’historien, les folles obsessions des artistes, réformateurs, explorateurs et inventeurs sont les sources dynamiques du progrès. La question même de savoir si une obsession est créatrice ou stérile est, parfois, impossible à trancher, et, seule, la postérité dira s’il convient de classer un homme parmi les précurseurs ou parmi les toqués.

Quoi qu’il en soit, je pris peu à peu conscience que mes seules périodes de bonheur étaient celles où je poursuivais la flèche, sous une forme ou sous une autre. C’était le seul mode d’existence qui me donnât la paix de l’esprit — non pas le sentiment pharisien et vertueux des sœurs de charité, mais la joie créatrice, l’heureuse rage de construire, de modeler, d’ajouter une pierre à l’édifice de cet avenir plus humain en lequel je croyais encore. C’était, en même temps, une soupape pour l’indignation chronique qui me dévora les entrailles pendant ces sept ans de ténèbres.

Je découvris aussi qu’entre les « périodes consacrées », je me trouvais déprimé et porté aux images de suicide. Par la suite, l’obsession de la Cause fut remplacée par l’obsession du livre auquel je travaillais ; et ce sont les intervalles entre deux livres qui devinrent les abîmes de dépression. Tout cela paraît clair, rétrospectivement, mais il me fallut des années pour comprendre ces courbes et discerner les raisons de ces hauts et bas violents. Il est facile de dire : « J’appartiens par nature au type maniaque-dépressif », mais plus ardu de découvrir le déclic individuel qui déclenche la phase maniaque ou dépressive.

Peu à peu, ces brusques accès d’activité suivis de dépression morbide s’aplanirent sous une discipline de travail relativement stable qui m’enchaîne à ma table toute l’année, huit ou neuf heures par jour. C’est là une routine peu fréquente chez un écrivain indépendant, et les chaînes me sont imposées par moi-même ; mais, chaque fois que j’ai essayé de les rompre, je l’ai payé en sombrant dans des limbes de saouleries sentimentales, de gueules de bois torturantes, et d’Hélènes fantômes. Le travail devint ainsi ma médecine et ma drogue, mon compromis avec un ego accablé de culpabilité, et un sacrifice aux spectres du passé. J’espère que cette situation durera jusqu’à la fin de mes jours. Quand je n’aurai plus rien à écrire, je continuerai à m’asseoir huit heures par jour à ma table, entassant des pages de recherches ennuyeuses et méritoires, en expiation d’un péché originel inconnu. Et, au-dessus de mon bureau, dans un cadre pimpant, l’on pourra lire les vers d’Attila :

Me sens (merci) pas mal ainsi
L’embêtant dans ce rien voici :
Pécheur mais sans péché aussi !

pp. : 142-5.
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