Deux histoires qui se recoupent autour d'une seule «sale» affaire : Celle d'Enzo Laganà, le journaliste turinois spécialiste respecté (en tout cas dans son quartier) des faits divers qui tente de pratiquer son métier avec honnêteté, c'est-à-dire donner l'information exacte dans le respect des règles d'éthique et de déontologie. Pas facile avec des patrons de presse qui, au lieu d'éteindre les incendies, ont tendance à faire l'inverse... mettre de l'huile sur le feu. Pour vendre plus, pour aller dans le sens des opinions publiques les plus extrémistes, pour ne pas contrarier les calculs des annonceurs publicitaires...
Celle de Luciana, l'Italienne, ancienne cadre de banque qui, dégoûtée des pratiques des établissements financiers qui passent leur temps à (presque) ruiner les petits épargnants, et dégoûtée d'elle-même pour avoir participé activement à ces pratiques douteuses, a tout laissé tomber pour se transformer en gitane, en tzigane. Elle va devenir Djabarimos, la voyante, celle qui «lit les lignes de la main».
Et, au centre, la fameuse affaire qui va faire la Une du journal d'Enzo : le viol d'une jeune fille du quartier (prétendue vierge et mineure car âgée de quinze ans) par, dit-on,... deux roms, Drago et Jonathan, des jumeaux.
Une information détournée (par le directeur de publication), une opinion publique, celle des extrémistes, chauffée à blanc, par un sentiment «raciste» longtemps tapi qui se fait jour... et ce sont les provocations, les intimidations, les insultes et les agressions contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à un tzigane.
Heureusemnt, la vérité ne tarde pas à être dévoilée, montrant l'arriération (souvent dangereuse) d'une partie de la société iltalienne... l'«affaire» tournant autour d'une histoire de virginité à préserver pour seulement faire plaisir à une vieille grand-mère, d'une jeune fille qui n'en est plus une, s'adonnant même à la prostitution organisée et à des batifolages coquins avec un cousin. L'étranger, dans ces cas-là, a bon dos et sert de bouc-émissaire aux «petits» et de cheval de Troie aux politiciens et aux affairistes.
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Amara Lakhous poursuit dans ce quatrième opus sa petite comédie humaine, acerbe et néanmoins généreuse, inaugurée avec "Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio". L'action se passe à Turin, dans le quartier San Salvario, où l'on retrouve le sympathique et très naïf Enzo Laganà, et son ennemi juré, le très raciste Bellezza, alias "Le Tonneau". Le propos tourne autour des Roms, victimes d'une cabale alimentée par la presse locale après le viol d'une jeune "vierge" ayant désigné dans une confession "spontanée" les auteurs de ce crime (ou délit, c'est selon) comme étant deux jeunes tziganes. Enzo a commis un article objectif, n'utilisant que le conditionnel pour désigner les soi-disant "faits" rapportés par la pucelle, mais comme de coutume le rédacteur en chef et le directeur du quotidien se sont empressés de caviarder ses propos pour complaire à l'ambiance xénophobe de l'époque. Le racisme quotidien et le rôle souvent ambigu de la presse à grand tirage dans les phénomènes de psychose collective sont au cœur de ce roman magistral, excellemment traduit, où l'humour ne parvient guère à masquer la gravité du propos…
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Respecter le temps ne fait pas partie de notre culture, de notre éducation, de notre vision du monde. Je pense que cela relève d'une sorte de vengeance. Le temps ne regarde personne dans les yeux, il manque de respect et offense tout le monde, sans faire d'exception. Il nous échappe toujours. Alors comment pourrait-on respecter quelqu'un qui se comporte si mal avec nous? Oeil pour oeil, dent pour dent, et va te faire foutre.
“Un jour ou l’autre, il faut savoir se ranger”, “La vie de célibataire est une vie de merde”, “Il est temps de grandir”. Je déteste tout particulièrement cette dernière connerie. Qu’est-ce que ça veut dire, “Il est temps de grandir” ? Je ne crois pas qu’il soit possible de programmer de grandir. On grandit, un point c’est tout. En vieillissant, on accumule de l’expérience, c’est-à-dire qu’on fait des erreurs. Si on est doué, on arrêtera de faire les mêmes conneries, si on est un idiot, on répétera le même scénario, et on l’aura toujours là où je pense.
“Il faut savoir redécouvrir les vertus de l’épargne : le jeûne peut aider les familles en difficulté à diminuer leurs dépenses.” Ce n’est pas un économiste de Harvard qui le dit, mais ma tante Quiz en personne, ma voisine qui est aussi espionne à la solde de ma mère. Ce que dit tante Quiz est pris très au sérieux et confine au sacré, tout au moins ici, à San Salvario. C’est une femme au foyer hors du commun qui a une grande expérience de la vie et de la télévision. Elle ne s’appelle pas Quiz par hasard. Elle l’a gagné de haute lutte, son surnom. Elle sait parfaitement comment l’argent doit être dépensé et surtout comment on peut en économiser et ne pas se faire rouler par des commerçants malhonnêtes. Elle n’a rien à envier aux experts en débrouille de l’économie domestique, ceux qui passent d’un plateau de télévision à un autre en débitant connerie sur connerie. Elle, au moins, c’est une personne sérieuse.
La vie est ainsi faite, quand nous voulons la compliquer, elle s'y prête volontiers. La simplifier est un art, un métier que l'on n'apprend guère.
L’autodéfense est un droit fondamental de tout être humain. Bellezza fait plus confiance aux habitants et aux médias qu’à la police et aux carabiniers rassemblés. C’est pourquoi il attend beaucoup de moi : un article fort dans le journal. Le viol de Virginia doit devenir une affaire nationale, et même européenne, et même mondiale ! “Ces salauds de Gitans ne s’en sortiront pas comme ça. Je le jure. Nous devons les chasser non seulement d’Italie, mais de toute l’Europe.”
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Payot - Marque Page - Amara Lakhous - Querelle autour d'un petit cochon italianissime à San Salvario.