Jacques Roubaud s'intéresse à l'art des troubadours, c'est-à-dire le « trobar », l'art de trouver, à la fois des combinaisons de mots et de notes. Cet intérêt de Roubaud pour la
poésie des troubadours se comprend facilement : lui qui est à la fois poète et mathématicien s'est toujours intéressé à l'écriture sous contrainte, notamment en
poésie. Les « cansos » des troubadours étant d'une grande complexité formelle, d'une grande cohérence aussi à à travers le temps et les régions d'oc, il est assez logique de le retrouver dans cet exercice. de plus, notons que les ouvrages sur le « fonds » de la pensée des troubadours sont courants, mais il y en a moins sur la forme. Cet ouvrage savant, dur à lire parfois, comble un manque.
Une explication sur le titre : la « fleur inverse » fait référence à une canso de Rainbaud d'Orange. Cette fleur inverse peut symboliser l'esthétique de la contradiction dont Roubaud fait l'essence même du trobar. En effet les troubadours chantent l'amour qui est à la fois joie et douleur, affirmation de la vie sensuelle et jeu dangereux avec la mort et la folie. le trobar a inventé l'amour tel que nous le pensons encore aujourd'hui, notamment en érotisant la mélancolie. le mal d'amour était connu depuis l'antiquité, mais pensé comme une maladie - parfois mortelle ! Mais les troubadours la transforment en positif, en montrant que la tristesse et le manque peuvent aussi créer du beau, voire rendre meilleurs — c'est les pouvoirs de ce que les troubadours nomment le « joi ».
En fait, Roubaud le montre dès sa préface, les troubadours occitans ont inventé une forme et un fonds qui a traversé les siècles et l'Europe : les poèmes qui s'ouvrent sur le printemps et les oiseaux, et qui parlent d'amour et désir. Cela, dans une contrainte formelle de vers rimés, avec des strophes (des « coblas » chez les troubadours) construites toujours de la même façon, et une ouverture finale (une « tornada »).
Chaque chapitre de ce livre est une sorte d'essai autonome, soit sur un point de la pensée troubadouresque, soit sur des jeux de forme et de contrainte. L'ensemble, pourtant, se lit du début à la fin car Roubaud nous fait explorer l'art du trobar avec une belle cohérence et une grande érudition. À noter que certains chapitres sont difficiles à lire car très techniques, notamment quand il utilise les mathématiques pour étudier les formes les plus usitées dans les cansos des troubadours.