Écrire l'expérience de la douleur, celle qui envahit, qui s'incruste jusqu'à ce que tout de notre vie doive passer par son filtre, jusqu'à ce que la vie doive trouver à se tenter « malgré » elle, c'est à cela que s'attache le texte de
Colin Lemoine. La traversée commence dans l'émerveillement du style, foisonnant, élégant, cadencé, qui appelle la lecture à voix haute, la dégustation de la phrase si juste à décrire ce qui se vit dans l'ombre du corps, dans le déchirement silencieux de l'intime. le flot des mots hypnotise, la richesse du vocabulaire se déploie, s'enivre d'elle-même, l'expression aurait-elle le pouvoir d'apaiser ?
Non, elle ne fait que témoigner de l'envahissement, de l'occupation plénière du territoire vital. Et dès lors le propos se referme, tourne sur lui-même inlassablement, peu à peu les mots ne se cherchent que pour leur flamboyance, ils n'ont rien à dire de plus que la douleur se nourrissant d'elle-même, et toujours, et encore, sans que ne parvienne à se dessiner le « malgré » auquel le texte aspire. Lasse, la lectrice que je suis s'en va le retrouver du côté de Claire Marin…
Quelle épreuve ! Oui, c'est bien celle de la douleur devenue chronique, que reconnaîtrons celleux qui en ont fait l'expérience, cette épopée périlleuse jusqu'au tourbillon dans lequel nul n'est assuré qu'un « malgré » salvateur parviendra à s'immiscer.
Je pense à « Hors de moi » précieux petit livre de Claire Marin qui sait si bien lui élargir le passage. Bien mieux que ce livre-ci qui est une épreuve pour son lectorat.