Ces quatre nouvelles peignent quatre tableaux saisissant de l'existence en Union soviétique et des traces qu'elle a laissé. Des hommes soumis à un destin qui les dépasse, à des conditions de vie rigoureuses, luttant malgré tout pour conserver leur humanité. Que ce soit le soldat ému par la beauté de son prisonnier, les prisonniers unissant leurs forces pour graver une lettre dans la roche afin qu'elle soit vue de loin, une femme dévouée à son mari sujet aux accès de violence, un ancien couple uni par un reste de tendresse et des souvenirs qu'ils cherchent ensemble dans les brèches du temps, tous les personnages de Makanine gardent cette foi en la vie par dessus les épreuves, les tortures, les mensonges, la censure, la déchéance physique, la mort.
De très beaux textes, un univers parfois un peu fantastique mais très réaliste face à l'absurdité des hommes, de leur existence qui contient malgré tout des raisons d'espérer, d'aspirer à la liberté, au bonheur. de belles leçons d'humanité !
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Ce livre est constitué de plusieurs nouvelles dont "Le prisonnier du Caucase" et "L'antileader" que j'ai particulièrement appréciées. La première nouvelle se déroule dans le Caucase, une région perpétuellement en guerre. Un soldat de l'armée russe tombe amoureux d'un prisonnier caucasien qui doit lui servir de monnaie d'échange. "L'antileader" est l'histoire d'un homme plutôt calme et retenu en apparence mais qui peut subitement prendre quelqu'un en grippe de façon tout à fait disproportionnée et plus ou moins aléatoire et alors sombrer dans une grande violence. Par contre la dernière nouvelle, "Une bonne histoire d'amour" ne m'a pas plu du tout, trop alambiquée et brouillonne.
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On peut dissimuler une infinité de choses (lui expliqua le vieil Arsenievitch) dans l'espace entre deux mots. C'est là que l'auteur enfouit son superflu. Tout le sens de l'écriture est dans la brèche exiguë mais insondable qui se forme entre les mots. Des univers entiers s'y trouvent engloutis, des époques, des civilisations...Sans laisser de trace. Ce perfide goulet d'étranglement entre deux vocables...C'est de ce passage étroit qu'est née la dynamique de l'écriture. Que toute la littérature a surgi, et après elle (en elle) que s'est élevé l'esprit et forgée la pensée.
Prisonnier au Caucase
La capture
Un officier, jeune homme de bonne maison en service au Caucase, qui se nommait Jiline, reçut un jour une lettre de sa mère.
"Me voici vieille, écrivait-elle. Avant de mourir, je voudrais te revoir, mon enfant chéri. Viens me dire adieu. Quand tu m'auras mise en terre, va rejoindre ton poste et sers ton pays, sous la protection de Dieu. A propos je t'ai trouvé une fiancée. Elle est intelligente, jolie et elle a du bien. Au cas où elle te plairait, tu pourrais l'épouser et alors tu ne repartirais pas"
Accroupie, si pliée que ses genoux dépassent ses épaules, Gina regardait, les yeux grands ouverts ; elle le regarde boire comme elle aurait regardé boire une bête sauvage. Jiline lui rend la cruche. Elle se lève d'un bond, un bond léger de biche effrayée ..
Peut-être, la beauté dans un certain sens, est-elle vraiement capable de sauver le monde. Elle apparaît ici ou là comme un signe. Elle empêche l'homme de s'écarter du chemin. (Elle l'accompagne et garde un oeil sur lui.) L'oblige à rester sur le qui-vive, à se souvenir.
Vladimir Makanine: Assan, la guerre et la vie .Entretien avec l'écrivain russe Vladimir Makanine, en mars 2013, quelque jours après la remise du Prix européen de littérature à Strasbourg, à propos d'Assan, son dernier livre traduit ( éditions Gallimard), de son regard sur la guerre de Tchétchénie, la corruption, et de la littérature en climats politiques divers.. Entretien réalisé par Dominique Conil et Sophie Dufau pour Mediapart. Traduit par Christine Zeytounian-Beloüs.