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EAN : 978B08616FQ31
346 pages
Aux forges de Vulcain (10/04/2020)
3.93/5   7 notes
Résumé :
Henry Darger naît en 1892 dans un quartier pauvre de Chicago. Il y meurt en 1973, après avoir mené une vie discrète, lourde de nombreux secrets. En vidant son appartement, on découvre ses romans comptant des milliers de pages, aux illustrations énigmatiques et troublantes. Son œuvre va bouleverser l’histoire de l’art. Xavier Mauméjean reconstitue, pour la première fois, la vie de ce personnage hors norme, mystérieux et à l’imagination sans égale, créateur d’un des m... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Je suis très embêtée, parce qu'une biographie de Henry Darger en français, assortie en sus d'un essai, c'était quasiment inespéré. Il faut savoir qu'on ne dispose que de très peu d'ouvrages en français sur cet artiste et écrivain: le catalogue d'exposition de 2015 du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, L'Histoire de ma vie, très courte autobiographie de Darger, et, à présent, le livre de Xavier Mauméjean. Problème : c'est en partie gâché par un travail éditorial bâclé (à croire que les relectures ne sont pas pratiquées aux Forges de Vulcain). Mais pas que. J'en reparlerai en fin de critique.


J'étais aux anges quand j'ai reçu le livre, vu que j'attends depuis des années de pouvoir me renseigner davantage sur cet artiste rangé dans la catégorie Art Brut. N'ayant pas acheté le catalogue du MAMVP* à temps, impossible de mettre la main dessus (ce qui est chose faite depuis peu, le hasard faisant parfois bien les choses). Et je n'ai pas boudé mon plaisir, malgré les réticences que j'ai mentionnées plus haut.


Pour ceux qui auraient eu l'outrecuidance de ne pas lire ma précédente critique de L'Histoire de ma vie - ou, pire, qui ne s'en souviendraient pas ! -, je m'en vais présenter Henry Darger. Darger est un artiste américain né à la toute fin du XIXème siècle, bien connu dans le cercle des amateurs d'Art Brut, un peu moins chez les amateurs d'art tout court, et beaucoup moins, pour ne pas dire pas du tout, du grand public. Et vu ce qu'on connaît de lui, c'est-à-dire sa peinture, c'est bien logique. Ses dessins sont en bonne partie tirés de reproductions de dessins publicitaires ou de comics, car il n'était pas dessinateur au sens où on l'entend habituellement (en revanche, on ne peut nier son sens de la composition). le style en a heurté plus d'un. Quant à l'histoire que ses oeuvres picturales racontent, elle est empreinte d'une grande violence. Jugez-en plutôt : cette histoire raconte l'affrontement de deux royaumes (en gros), celui des Glandeliniens, qui ont renié le dieu chrétien et vénère des idoles, et Abbieannia, royaume qui, lui, a conservé la pratique de la religion chrétienne (vous avez donc deviné que Darger était chrétien... mais ça n'est pas si simple). Les Glandeliniens, après avoir torturé et massacré de toutes les façons possibles les femmes et les enfants de leur royaume, s'en prennent aux royaumes voisins. Je vous fais grâce de la totalité des horreurs qu'ils commettent, mais on a droit à moult étranglements, démembrements, énucléations et autres joyeusetés, sans parler des éviscérations, très marquantes dans les peintures de Darger. Les enfants sont les principales victimes des Glandeliniens, et se révoltent avec pour leader une fillette du nom de Annie Aronburg, puis, après l'assassinat de cette dernière, se réunissent autour des sept princesses d'Abbieannia, filles du roi Vivian et appelées les Vivian Girls. J'espère ne pas m'être plantée dans le résumé...


Mais d'où vient cette histoire de Glandeliniens et d'enfants massacrés qui peuplent les peintures de Darger ? de ses écrits, tout bêtement. Darger a été régulièrement exposé, surtout aux États-Unis, mais on ne sait pas grand-chose de ses textes. Et pour cause : à peu près 35 000 pages écrites, dont seul L'Histoire de ma vie (à peu près 100 pages dans l'édition française de poche) a été publiée. Son grand-oeuvre, c'est (tenez-vous bien) The Story of the Vivian Girls, in What is Known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinian War Storm Caused by the Child Slave Rebellion, qu'on traduit en français tout en l'abrégeant (c'est un peu long , il faut bien l'avouer) par : Dans les royaumes de l'Irréel. On parle plus généralement de l'histoire des Vivian Girls ; une suite de 8 000 pages existe, racontant d'autres mésaventures. Darger a également écrit des textes sur les phénomènes météorologiques, deux journaux, une fiction, qui fait directement suite à L'Histoire de ma vie, sur l'histoire d'une tornade, et des Miscellanées, quoique ça puisse être (Xavier Mauméjean n'ayant pas jugé utile de nous renseigner sur ce point). C'est au roman principal que se rattachent les oeuvres picturales de Darger ; mais presque personne ne l'a lu (15 000 pages non publiées, forcément, hein), et ne parlons même pas des autres textes, l'autobiographie mise à part. Par conséquent, on a traité Darger comme un artiste plasticien, et fort peu comme un écrivain. Or, ce que s'attache à démontrer Xavier Mauméjean, c'est que sont les textes qui sont au coeur de l'oeuvre de Darger.


Cette biographie est intéressante à plus d'un titre. C'est tout le contexte historique qui est présenté, avec notamment la vie à Chicago et la façon dont on traitait les enfants pauvres qu'on considérait comme fous ou faibles d'esprit ; particulièrement édifiant : le chapitre où il est question d'une visite chez un médecin qui décide que Darger n'est pas net parce qu'il se masturbe (pour le coup, c'est le médecin qui a l'air obsédé par la masturbation, toutes les réponses aux questions de son formulaire se soldant par le mot "Masturbation") et qu'il faut donc l'envoyer dans un asile. Ben oui, à l'époque, la masturbation est considérée comme un mal absolu et c'est démontré par des médecins de façon... pas du tout scientifique (la religion y mettant largement son grain de sel). Et quant aux soins apportés aux patients des asiles pour indigents, faibles d'esprit, et ainsi de suite, je vous laisse imaginer ce que ça pouvait bien donner.


Mais pour moi, le chapitre essentiel de ce livre, c'est celui où Mauméjean explique comment un incident survenu dans la vie de Darger a eu des conséquences énormes sur son oeuvre littéraire. Une enfant avait été assassinée à Chicago, Darger avait suivi l'affaire dans les journaux et possédait une photo de la fillette découpée dans un journal. Or cette photo finit par disparaître, et Darger multiplia les tentatives pour la retrouver, dont des prières à Dieu, suivies d'invectives et d'abjurations de sa foi (temporaires et pas forcément effectives, mais en tout cas clamées), vu que les prières restaient sans effet. Xavier Mauméjean démontre que la perte de cette photo a eu des effets, non seulement considérables, mais aussi assez inattendus, dans l'histoire des Vivian Girls. Annie Aronburg, la première leader de la révolte des enfants, est le double littéraire d'Elsie Paroubek, l'enfant assassinée dans le Chicago de Darger. Mais on voit vite que ça va beaucoup plus loin que ça, et que si Darger est chrétien et du côté des Vivian Girls, il est aussi du côté des Glandeliniens qui renient Dieu, d'où des personnages s'appelant Darger dans les deux royaumes, dont l'un d'entre eux est bizarrement à l'origine de grands troubles à cause de la perte d'une photographie d'Annie Aronburg. C'est dire à quel point Darger vit à la limite de deux mondes. Et tout l'intérêt du chapitre, c'est que l'argumentaire de Mauméjean s'appuie uniquement sur les textes et la biographie (et bien entendu sur les travaux de chercheurs qui ont davantage étudié l'oeuvre de Darger que lui-même), et non sur une interprétation un peu lâche. On a ici un très bon aperçu de la manière dont Darger conçoit ses écrits.


Pour ce qui est de la partie essai, qui regroupe plusieurs thématiques, je suis un peu moins enthousiaste. Déjà, parce que j'avais pas mal réfléchi aux questions de la nudité et de la violence commise par des adultes sur des enfants chez Darger. Mais je mentirais de façon éhontée si je disais que je n'ai rien appris. Et de toute façon, il était nécessaire de traiter des thématiques de la nudité, de la violence, de la sexualité, alors que les peintures de Darger montrent beaucoup d'enfants nus et, régulièrement, des fillettes affublées de sexes masculins. C'est le genre de choses qui donnent lieu à moult interprétations douteuses. Pour ma part, j'avais toujours vu la nudité des personnages comme une manière de souligner leur innocence et leur impuissance, comme je voyais dans le mélange des sexes une sorte de référence à un état androgyne et pur. Xavier Mauméjean m'a confortée là-dessus, bien qu'il mesure ses propos en précisant qu'il ne s'agit que d'une interprétation de plus, puisque Darger ne s'est jamais expliqué sur ces points (mais sur les autres non plus, à vrai dire, vu qu'il créait dans son coin et n'a jamais proposé d'exégèse de son oeuvre). En revanche, je n'avais pas beaucoup réfléchi aux personnages adultes, et certainement pas au caractère systématique de la violence infligée par les Glandeliniens. C'est là aussi bien argumenté, notamment l'aspect nihiliste de cette violence, puisque les Glandeliniens, comme mentionné plus haut, tuent leurs propres femmes et leurs propres enfants, avant que d'aller massacrer ceux des autres (par conséquent, leur société va s'effondrer faute de descendants). Bien. le hic dans cet essai sur les thématiques dargeriennes, c'est le chapitre sur la religion, franchement pas clair. Ça part dans tous les sens, donc c'est peu pertinent, et c'est dommage car on voit bien que c'est très important chez Darger. On en retirera tout de même que les tourments infligés aux enfants ressemblent étrangement à ceux subis par les légendaires martyrs chrétiens - sauf que je ne suis pas sûre que ce soit dit dans le chapitre sur la religion, je me demande si ce n'est pas plutôt dans celui sur la violence. Passons.


Passons, oui : passons à ce qui ne va pas, mais alors pas du tout. Je vais commencer par le style de Xavier Mauméjean, assez sec, avec un manque de transitions notoire, qui rend parfois la lecture moyennement agréable. Je me suis même demandé s'il n'avait pas tout simplement repris sa thèse sur Darger (puisqu'il en a écrit une), sans s'encombrer de fioritures. C'est plutôt étonnant de la part de quelqu'un qui est également romancier. Mais surtout, il ne s'est pas relu, ou alors à toute vitesse, et, ce qui est encore pire, c'est que personne aux Forges de Vulcain ne semble l'avoir relu non plus. D'où un amas de coquilles insupportable, exaspérant, inadmissible ; des passages entiers répétés à l'envi (je pense connaître par coeur l'adresse du drugstore où Darger photocopiait ses dessins, tellement c'est dit et redit) ; des expressions ou passages en anglais non traduits ; des confusions entre certains mots, comme "agonir" et "agoniser" (ce qui n'est pas tout à fait la même chose, hum) ; des contradictions carrément dérangeantes (la petite soeur de Darger est semble-t-il morte à la naissance, et puis ensuite elle a été adoptée, adoptée, adoptée, et encore adoptée, et puis, oh ben non, finalement, dans la chronologie, on nous dit qu'on ne sait pas ce qu'elle est devenue ! Ah ben tiens !) Ajoutons à cela un manque patent de bibliographie (si c'est une mode que de ne plus proposer de bibliographie, c'est une mode franchement pénible), ce qui oblige à se référer aux 849 notes : comme c'est pratique ! Et pas une seule reproduction des oeuvres picturales de Darger, alors qu'une soixantaine sont citées (sur un total d'environ 300 oeuvres). C'est ce que j'appelle du travail bâclé, et pas à moitié. Comment peut-on prétendre publier un ouvrage que, probablement, pas mal d'amateurs d'Art Brut attendaient, et le saccager ainsi ? Et comme l'a fait très justement remarquer Witchblade, comment peut-on vendre 25 euros un livre aussi maltraité sur le plan éditorial ? En gros, c'est comme si on vous demandait de payer pour lire des épreuves non corrigées. Et même si j'ai apprécié d'avoir accès à ce livre malgré tous ces atroces défauts , je ne félicite pas la maison d'édition Aux forges de Vulcain. C'est rien de le dire !

* Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris




Masse critique Non fiction

Lien : https://musardises-en-depit-..
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Livre reçu dans le cadre de la masse critique de Février. Ce livre m'a intrigué car je ne connais pas du tout cet auteur et seulement de nom l'auteur de cette biographie. J'ai un de ces romans dans ma pal mais je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire. Ce livre sera donc une totale découverte. Je remercie donc Babelio et les éditions Aux forges de Vulcain pour l'envoi.

N'étant pas une grande habituée des biographies, j'alterne cette lecture avec une autre plus légère afin de pouvoir la lire jusqu'au bout. de nombreuses notes parsèment la lecture mais l'éditeur a eu la bienveillance de les récapituler à la fin du livre, la plupart concernant la provenance des citations. En plus d'être une biographie d'Henry Darger, ce livre retrace quelques travers de la société américaine du siècle dernier et ce, sur différents sujets… C'est très instructif. Par contre, il est dommage que certains titres des oeuvres picturales de Darger n'ont pas été traduites en français. le fait d'alterner explications avec des extraits rompt la monotonie de cette biographie et permet de découvrir un auteur vraiment à part qui mêle des évènements véridiques avec la fiction. En tout cas, je tire mon chapeau à Xavier Mauméjean pour la somme de travail et de recherches que cela a dû engendrer pour lui. La première partie concerne donc la vie de Darger avec beaucoup de détails alors que c'était un artiste inconnu du grand public. Tout a été découvert par son logeur peu de temps avant son décès en 1973 à l'âge de 81 ans. La seconde partie de ce livre revient sur des éléments de ces oeuvres littéraires : personnages ou thèmes récurrents. Cet auteur avait vraiment une imagination débordante, bien que quelque fois un peu bizarre, et très détaillée, son univers était vraiment très différent de la moyenne et, pour ma part, jamais rencontré. Ces créations littéraires étaient certes très longues, entre 4000 et 15000 pages, mais elles auraient été intéressantes à découvrir. Heureusement, grâce à M. Mauméjean et à Mme Homassel, c'est le cas dans ce livre avec un certain nombre d'extraits aussi hallucinants les uns que les autres. Par contre, il y a quelques répétitions entre les deux parties notamment les affabulations des médecins américains de l'époque. Et après on nous parle des méfaits des nazis mais les médecins du début du XXème siècle n'étaient guère mieux. du fait de son éducation et de son travail, la médecine et la religion ont une grande part dans ses écrits, même si la logique y semble assez pervertie. Par contre, n'étant pas très versée dans la religion, j'ai eu beaucoup de mal à lire les rhétoriques liées aux écrits de Darger. C'est à se demander si le livre a été relu car de nombreuses coquilles semblent provenir d'erreurs de frappes, certaines phrases ne veulent rien dire car des mots sont en trop (ex p 65, fin de la p208, fin de la p228, p237), on a aussi des lettres en trop (ex p139)…

Comme vous l'aurez compris, malgré les coquilles oubliées, l'anglais non traduit et certains passages, cette lecture restera une bonne découverte de cet auteur au style haut en couleurs qui alterne religion et violences abjectes dans des univers très originaux et imagés. Je réitère qu'il est dommage que son oeuvre écrite n'a pas été éditée sous forme de tomes. Quand on voit certaines séries longues entre 10 et 15 tomes, c'est tout à fait possible ! Mais à qui reviendrait les droits d'auteur vu qu'il n'a plus de famille ?… Curieux bonhomme que ce Henry Darger... que je vous conseille vraiment de découvrir par le biais de cette biographie. Pour ma part, j'essaierai peut-être les écrits de ceux qui ont pris son univers en exemple.

Sur ce, bonnes lectures à vous :-)
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C'est par un étrange ouvrage que les éditions Aux Forges de Vulcain terminent leur année 2020. Fruit d'une passion partagée entre Xavier Mauméjean (son auteur), Anne-Sylvie Homassel (traductrice de L'Histoire de ma vie, l'auto-biographie d'Henry Darger paru chez le même éditeur en 2004) et David Meulemans (directeur des Forges), Henry Darger, dans les royaumes de l'irréel se penche sur la vie et l'oeuvre d'un des artistes américains modernes les plus célèbres… et les plus atypiques du XXème siècle. Pour cela, Xavier Mauméjean, fervent passionné et écrivain dont la réputation n'est plus à faire (Car je suis Légion, American Gothic…), s'attelle à la tâche titanesque de passer en revue l'existence d'Henry Darger pour en dégager à la fois les thématiques profondes et les évènements déterminants.
Visite guidée d'un ouvrage aussi dense que passionnant.

Henry Darger ou le génie par accident
Né en 1892 à Chicago, Henry Darger connaît une enfance pour le moins chaotique entre la mort de sa mère alors qu'il a quatre ans puis un internement à l'âge de 13 ans pour… masturbation ! Après avoir enduré les « traitements » disproportionnés du Lincoln Institute, Henry s'échappe avant de devenir portier puis homme à tout faire à l'Hôpital. Lorsqu'il meure, en 1973, les propriétaires de son logement, Nathan et Kiyoko Lerner, découvre avec stupeur que ce vieillard fantasque mais discret a noirci 15.145 pages (!!!) formant une immense oeuvre intitulée « In the Realms of the Unreal » et divers autres récits dont, notamment, son autobiographie en 5.084 pages. Mieux encore, les Lerners retrouvent d'immenses aquarelles/collages représentant son monde torturé où les royaumes chrétiens imaginaires d'Angelinia et Abbieannia livrent bataille à la nation de Glandelinia, esclavagiste et tortureurs d'enfants adorant des idoles plutôt que Dieu. C'est après la révolte de la jeune Annie Aronburg contre les Glandeliniens et la répression sanglante qui s'ensuit que les Vivian Girls, sept soeurs et princesses d'Abbieannia vont poursuivre la lutte contre l'oppresseur. Une oeuvre monstrueuse, dans tous le sens du terme, émaillée de massacres et de tortures infantiles, de dragons à tête humaine ou encore d'interventions divines inattendues. Henry Darger, à la fois auteur et seul lecteur de son texte, devient l'objet d'études artistiques acharnés de par le monde, le consacrant comme l'un des représentants les plus célèbres de « l'art brut », un art autodidacte et marginal où l'artiste n'a pas conscience de son art, un exercice singulier où la dimension esthétique et significative ouvre le champ à de nouveaux territoires inconnus.

Le travail du biographe
Et ce sont justement ces territoires inconnus que Xavier Mauméjean se propose de nous faire découvrir à travers l'ouvrage présent. Passionné par le travail (et le parcours) de l'artiste, Mauméjean, non content de lui avoir consacré une thèse universitaire en 2019 et de l'avoir immiscé dans son roman American Gothic, scinde son ouvrage en deux parties distinctes.
La première détaille par le menu la vie d'Henry Darger de sa naissance à sa mort dans la ville de Chicago.
La seconde analyse les thèmes récurrents qui traversent son oeuvre incroyable et pléthorique.
En tant que biographie, Xavier Mauméjean accomplit un travail remarquable qui passionne dès les premières pages. le français ne se contente pas simplement de retracer le parcours de l'homme mais émaille son texte de considération sur les personnages importants de la vie d'Henry Darger (son père, sa marraine, Phelan, Elsie Paroubek…) et sur les évènements fondateurs pour la vie artistique de l'américain (la tornade lors de son évasion du Lincoln Institute, la mort d'Elsie Paroubek et la perte de sa photographie, la perte du premier manuscrit…).
En croisant ces éléments, Xavier Mauméjean croque l'homme ET l'artiste dans un même mouvement biographique pour que le lecteur comprenne au mieux la trajectoire du peintre-écrivain.
Abondamment sourcé (plus de 800 références), le texte s'accompagne d'extraits des textes de Darger traduit par Anne-Sylvie Homassel mais également d'apports extérieurs philosophiques et anthropologiques.
On peut reprocher à ce stade le nombre faramineux de notes et l'on aurait vraiment aimé un distinguo entre celles qui font office de sources (comme dans une thèse universitaire) de celles qui ont véritablement quelque chose à dire de plus. Heureusement, il est totalement possible de se passer des aller-retours incessants entre ces notes et le corpus principal en ne perdant rien au sens de la biographie et de l'analyse globale.

Derrière l'artiste
Mais la véritable plus-value du travail de Xavier Mauméjean, c'est la seconde partie théorique et analytique sur l'oeuvre d'Henry Darger où le français dissèque les thématiques qui obsèdent l'artiste.
La sexualité, le rapport à Dieu, les Vivian Girls et les Glandeliniens, les dragons-serpents Blengiglomenean, la Guerre de Sécession, la violence… tout y passe de façon concise et remarquablement intelligente.
Donnant un éclairage profond et salutaire sur Henry Darger tout en triant ce qu'il est possible de connaître sur l'artiste et ce qu'il n'est pas possible (comme l'homosexualité dont Henry Darger n'a jamais explicitement discuté ou la raison de ses personnages féminins avec des attributs sexuels masculins), Xavier Mauméjean reste très terre à terre et colle au réel au lieu de fantasmer sur d'hypothétiques pulsions et vices de cet artiste dont l'oeuvre provoque, forcément, une brutale réaction de la part de son observateur.
Plus intéressant encore, Mauméjean y adjoint une liste des « Moi potentiels » d'Henry Darger au cours de sa vie et au sein même de ses écrits qui montrent l'extrême densité des projections de l'artiste ainsi que la singularité totale de cette oeuvre où Darger est à la fois auteur et seul lecteur.
Confession directe à Dieu autant qu'aventure introspective totale, l'art d'Henry Darger n'a pas fini d'intriguer et d'interpeller, ce que Xavier Mauméjean comprend ici mieux que quiconque.

Essai passionnant sur un artiste totalement hors-norme, Dans les royaumes de l'irréel explore l'oeuvre et l'homme par le prisme de l'universitaire et du biographe. Xavier Mauméjean y déploie des trésors d'érudition et d'intelligence sur le sujet et renforce encore une fois notre envie d'en savoir davantage sur les écrits gargantuesques d'Henry Darger.
Lien : https://justaword.fr/henry-d..
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Découvrir « Henry Darger, dans les royaumes de l'irréel », faire sienne cette lumineuse biographie dont on retient chaque éclat pour les jours sans. Son poids est certifié. Tout est source de savoirs, d'attention à l'homme Henry Darger. Comprendre que ce livre atypique écrit par Xavier Mauméjean spécialiste d'Henry Darger : « Il a consacré un roman, Américan Gothic (Alma 2013) à Henry Darger, ainsi que sa thèse de doctorat » est un acte mémoriel, culte. Les férus d'Art, les curieux, les assoiffés d'une littérature de renom trouveront dans ce livre toute l'idiosyncrasie de Darger. Quel homme ! quel parcours ! Que de surprises dévoilées ! Ce qui est intéressant est aussi la construction même de cette biographie. Xavier Mauméjean écrit à l'instar d'un mémoire. Sans cette vulgarisation, la tête haute, connaissant à l'extrême Henry Darger. le jeu narratif change souvent, ce qui nous alerte et nous captive. Nous sommes alors dans l'écoute du narrateur de l'autobiographie de Darger. Parfois, et pour notre plus grand plaisir, le roman est là avec ses nuances relevées. « Comme nombre d'enfants, Henry aime colorier des images en utilisant des boîtes de peintures, qu'il se paye lui-même. On peut supposer que le garçon a exercé des petits métiers pour se faire de l'argent. » Henry ne vivra pas longtemps avec son père. Il a été placé dans une institution. C'est un enfant difficile, délicat et incompris. Il aura toute sa vie écrit et peint en cachette. « En 1937, Henry Darger achève : « Dans les royaumes de l'irréel ». Une adresse figure dans son journal. L'adresse exacte est celle d'un célèbre éditeur de livres pour enfants, établi à Chicago depuis 1861. Darger avait-il envisagé un temps de lui faire parvenir son manuscrit ? » Darger est dans la vie en pleine solitude. On ressent un froid immense, un repli, un manteau givré de neige sur ses épaules. Et pourtant ses tableaux colorés, riches d'enfants, vivifiants, irréels, arriment la joie montante. « Or Darger réduit le rapport aux autres à sa plus simple expression. » Cette biographie est un chef-d'oeuvre. Comprendre que Xavier Mauméjean délivre une conférence à ciel ouvert. Retenir les oeuvres écrites d'Henry Darger en pages finales. Les oeuvres picturales mentionnées, les notes. Pour moi, c'est plus qu'une découverte. J'ai fait connaissance avec un être exceptionnel dont j'aurai aimé être l'amie. La certitude de détenir un outil spéculatif. La joie et l'impatience de voir ses toiles en vérité. « Ainsi en est-il de la foi. Si elle n'a pas les oeuvres, elle est tout à fait morte. Au contraire on dira : Toi, tu as la foi, et moi j'ai les oeuvres ? Montre-moi ta foi sans les oeuvres ; moi c'est par les oeuvres que je te montrerai ma foi. » « le propre de la tristesse est d'absorber. » « Nathan Lerner et David Berglund comprennent que le vieil homme discret qui durant son activité professionnelle était simple agent d'entretien pour différents hôpitaux, est en réalité un artiste. » Ils vont rassembler l'épars, mettre en lumière Henry Darger. Xavier Mauméjean est leur allié. « le 19 novembre 1996 Nathan et Kiyoko Lerner font poser une pierre tombale portant cette inscription : Artiste et protecteur des enfants. » Lisez cette biographie phénoménale. Offrez-là ! Son perpétuel est à vous lecteurs ! Publié par les majeures Éditions Aux forges de Vulcain.
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"Henry Darger, dans les royaumes de l'irréel". Je n'avais jamais entendu parler de Henry Joseph Darger avant ce livre et je ne regrette pas de m'être plongé dans ce brillant essai de Xavier Mauméjean qui pose la question de l'acte de la création. Pourquoi ? Pour qui ? Darger créait pour lui seul, sans doute pour (sur)vivre. La fiction prit chez lui une telle importance qu'elle se confondait en permanence avec le réel. L'auteur de l'essai retranscrit d'ailleurs parfaitement l'absence de frontière ; la première partie biographique suit en parallèle le développement du monde imaginaire, les répercussions de l'un sur l'autre et inversement. Il en résulte des kilomètres de manuscrits et d'oeuvres picturales, jamais partagés avec quiconque. Les logeurs de Darger étaient par chance des photographes amateurs d'art et ont sauvé les aquarelles, collages et nombreux textes de l'oubli. La seconde partie est une introduction au monde foisonnant de Darger, une tâche ardue, avec une juste approche thématique, qui donne envie d'en découvrir plus. L'important travail de traduction d'Anne-Sylvie Homassel permet de s'imprégner de sa prose. Merci à eux et aux Editions Aux forges de Vulcain😊
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
L'œuvre écrite n'est certes pas occultée, ou oubliée, mais est toutefois évoquée de façon quasi accidentelle, comme renvoyant avant tout à ses compostions plastiques. On les a, d'entrée, privilégiées en leur attribuant une autonomie. Ce jugement paraît arbitraire dans la mesure où il ne repose pour l'essentiel que sur des considérations pratiques. Il était plus facile d'exposer Darger que de le publier. État qui perdure depuis plus de quarante ans, en dépit d'avis autorisés mais hélas isolés, tel celui de Michael Bonesteel qui voit dans le roman le sens véritable de l'œuvre picturale.

Avant-propos
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Quelle est la valeur d'un diagnostic effectué en l'absence du sujet, ce qui est le cas pour Darger ? En quoi nous renseigne-t-il ? Voir dans le travail de Darger un moyen qu'il se serait donné pour réprimer sa déviance, revient à se féliciter que Cervantès n'ait attaqué des moulins que dans son Don Quichotte.

Avant-propos
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Le propre de la tristesse est d'absorber.
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Le 19 novembre 1996 Nathan et Kiyoko Lerner font poser une pierre tombale portant cette inscription : Artiste et protecteur des enfants.
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Vidéo de Xavier Mauméjean
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Au-delà de la physique, il y a la pataphysique, la science des solutions aux problèmes imaginaires, celle qui se consacre à l'accident, au particulier, à l'épiphénomène, et non au général. Proche parente de la science-fiction, ses chemins délibérément non conventionnels heurtent le sens commun, entre humour parfois potache et provocation. Et l'Oulipo dans tout ça ?
Avec : Hervé le Tellier, Xavier Mauméjean, Olivier Cotte
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