Le canardeur appartient à une race de meurtriers assez particulière, qui n’a de commun avec son homologue du temps de guerre, le tireur d’élite, que la méthode employée. Les tireurs embusqués civil ou militaire se cachent l’un comme l’autre, et guettent leur proie en embuscade. Leur réussite tient à l’effet de surprise, à la rapidité d’action et à une précision qui doit être infaillible. Un tireur d’élite caché dans les arbres peut réellement mettre hors de combat une section entière et en tuer plusieurs hommes avant que la section puisse se mettre à couvert, clouant les survivants sur place.
Un inspecteur voit la mort, sous toutes ses formes, au moins cinq fois par semaine, et en général plus souvent. Il la voit dans la rue sous sa forme élémentaire, la lente désintégration de garçons ou de filles exposés à la mortelle corrosion des taudis, et dont la ville suce implacablement la vie à petites gorgées. Il la voit, plus sournoise, chez les drogués, une mort qui n’est autre que le refus de la vie, la lente dilution de toute volonté, l’extinction progressive de toute énergie à part celle qui permet de trouver de l’héroïne. Il la voit chez les voleurs, les cambrioleurs, les braqueurs, les escrocs qu’il arrête, la mort lente de l’enfermement derrière les barreaux. Il la voit chez les putains, qui ont assisté à la mort de leur dignité, qui mettent l’amour à mort plusieurs fois par jour, et dont la propre vie se disloque cinquante fois par jour sous les coups répétés d’accouplements sans nombre. Il la voit chez les homosexuels, qui ont vu mourir leur virilité et qui mènent une vie condamnée au désespoir dans la crainte de la loi.
Le canardeur est porteur d’un symbole évident, le fusil, et il se sert en général d’un fusil à lunette, qui reproduit ainsi les scènes furtives de l’enfance, c’est-à-dire qu’il voit sans être vu, qu’il fait sans se faire prendre.
Personne ne pense à la mort par une belle journée de printemps.
Le moment de mourir, c’est l’automne, pas le printemps. L’automne encourage les pensées macabres et incite aux songeries morbides ; il flatte le désir de mort en montrant comment tout se fane et se flétrit. L’automne est poétique comme l’enfer, rapide, succinct ; il pue la moisissure et la cendre. Les gens meurent beaucoup en automne. Tout meurt beaucoup en automne.
La guerre est une honte, mais les tireurs d’élite ne sont que des techniciens entraînés à faire leur métier.
Les canardeurs sont de purs et simples meurtriers.
"À chacun son heure" ("No Time to Die", 1992), Saison 11, Épisode 2 de la série TV Columbo, tiré du roman "N'épousez pas un flic" ("So Long as You Both Shall Live", 1976) d'Ed McBain. Extrait.