2015- 20 novembre 2022
Déjà plus de deux semaines que j'ai achevé cette lecture déroutante !
Une lecture complètement impromptue, imprévue...d'un livre offert par un ami, en 2015...retrouvé au fil de rangements incessants...de rayonnages surchargés !
Ami, libraire- Éditeur, aujourd'hui disparu, avec ce petit post-it griffonné, glissé à l'intérieur et retrouvé :
" J'aime les livres exhumés
Qui revivent comme celui-là "
Ces quelques mots ont réveillé à la fois de la curiosité et de la culpabilité pour ma " négligence oublieuse "...
Étant largement " sa cadette"...je n'avais même jamais entendu ce nom:
Pierre Merindol...(** pseudo de
Jean Didier)
Un récit bien singulier,à l'image de ce samedi tristounet,
" grisaillou " et automnal.Ambiance de lecture me faisant songer aux " Maigret", interprété par Jean- Richard, dans un Paris sépulcral, en noir et blanc, accumulant des paysages brumeux et inquiétants...
...Notre narrateur, routier solitaire, rencontre dans un bistrot un drôle de gars, Edouard, qui va faire un certain temps " tandem" avec lui, pour " avaler la route" et livrer toutes les marchandises et denrées possibles, confondues...
Jusqu'au jour où ils prennent en stop, une jeune femme paumée, en errance et solitude extrême, Françoise...qui va perturber le duo de " nos" camarades- routiers...
Je n' en dévoilerai pas plus...bien que la" vie en rose " ne semble pas trop décidée à pointer son nez , dans cette aventure humaine ou trop brièvement..!
Un récit incroyable qui décrit fort bien l'univers de " la Route" , des routiers, de leur addiction à la Route...mais aussi leurs existences empreintes de "Solitudes épaisses à couper au couteau" !!...Cette " séduction traîtresse " de la Route !
"Pour parvenir au domaine pur de la route- légende il faut passer par toutes les épreuves de la médiocrité qui en fait le prix.Et puis, ce n'est pas payer trop cher l'envoûtement de prendre la route et de pénétrer la plus rude aventure singulière...Tout ça vient lentement envahir ceux qui vivent avec les routiers et pour un gamin de seize ans qui a lu Miller et pas
Jules Verne (ou enfin on peut le penser) il y a là une chance à courir dans la recherche de destinée étrange qui tient maintenant les gars comme avant les prenait l'envie des épopées napoléoniennes. "...
Je reviens un moment sur le parcours de l'auteur : figure de la bohème parisienne de l'après-guerre, ami de
Robert Giraud et de
Robert Doisneau ( **débutant tout juste sa carrière de photographe), il tâta un moment de la Brocante, notamment pour le galeriste, Pierre Loeb, avant de se "ranger" et de devenir journaliste à " Franc-Tireur" et au " Progrès de Lyon"...
Malgré l'ambiance sombrissime, ce roman est attachant à plus d'un titre...entre le Paris de l'après-guerre...les deux grandes familles représentées à la fois par les anciennes Halles de Paris ainsi que le monde particulier des " Routiers"...formant comme " des fraternités " !
J'ai eu, au départ, un peu de mal...avec ce texte...et au fur et à mesure, la magie a opéré...
Une ambiance brumeuse, mélancolique...enrichie heureusement par la camaraderie et la solidarité des
" camionneurs"...Une plume détonnante...un style, une "patte" d'une virtuosité incontestable : de l'extrême poésie, à la parole populaire, même argotique d'un " Titi parisien ", restant malgré tout , empreinte d'une belle sensibilité pour le " monde marginal" des " avaleurs de la route" , de la communauté qui " camionne"....
Des pensées vers cet ami qui m'a fait connaître tant de ses " chouchous " littéraires parmi les singuliers , les excentriques méconnus, " Les Clochards célestes ", selon l'expression de Thomas Vinau...
Un Merci posthume ( et je le regrette) ajouté à tous ceux que j'ai heureusement adressés du vivant de cet ami, passionné , entre autres, de l'oeuvre de
Alexandre Vialatte...De moi-même, je n'aurai sûrement pas eu l'élan de cette lecture !
Je suis d'autant plus réjouie d'avoir fait la connaissance de cette plume...avec cet unique roman...dont son auteur ne semblait pas très acharné à faire publier !
Les éditions de Minuit ( *excusez du peu !) ont distingué
ce texte et l'ont édité en 1950...et aujourd'hui l'excellente édition du Dilettante a pris le relais, pour faire redécouvrir
Pierre Mérindol...
Je ne peux résister à ajouter un dernier extrait , évoquant la fascination ambivalente et réelle de la Route...un style vraiment étonnant, qui, à son tour, nous fascine :
"Même Édouard était très chic avec le gosse et il avait fini par lui promettre de l'emmener en route au cours d'un des voyages suivants, ce que Jules espérait depuis longtemps, comme on peut le penser.La route devenait pour lui une obsession, à nous entendre énumérer des noms de villages, des marques de pièces détachées, de bonnes adresses, de mauvais lieux, de vieux souvenirs, des dates de crus, des dimensions de roues et tout ce qui fait la mythologie de la route entêtante comme les taches arc-en-ciel de mazout aux quais de Pantin ou les feux d'herbe en septembre prématuré. de tout ca, il suintait une traître séduction qui chez Jules tournait à la hantise et le fameux jour, où il prit place dans la cabine à côté d'Édouard, ça devrait lui virer la tête comme les chevaux de bois."