Dans une scène culte du Parrain II, on voit Michaël Corleone célébrer la Saint-Sylvestre 1958 à La Havane. Cette nuit marque un tournant dans l'histoire cubaine, car les révolutionnaires prennent le contrôle de l'île, les mafieux le premier avion et le dictateur Batista s'enfuit à Saint-Domingue dès le lendemain.
Ce 31 décembre sonne donc le glas des belles années de la Mafia dans l'île. Cuba était devenue un bordel et un casino à ciel ouvert pour Américains. L'hôtellerie de luxe, le jeu, la prostitution, la drogue, étaient au mains de la Cosa Nostra, le dictateur Batista et sa clique se servaient au passage.
A la Havane, en 1957, les affaires sont encore bonnes pour les gangsters. Un obscur gratte-papier, Joaquin Porrata, cantonné aux rubriques de variété, flaire un scoop lorsque le cadavre d'un hippopotame est découvert près du parc zoologique de la Havane. Cette mort serait un message envoyé par la Mafia, et aurait un lien avec l'assassinat à New-York d'Albert Anastasia, le « grand exécuteur », parrain de la famille Mangano. Le contrôle des hôtels à Cuba est un enjeu colossal, juifs et italo-américains ne se font pas de cadeaux.
Tel un chien dans un jeu de quille, Porrata va mener son enquête, obsédé par cette affaire, et croiser toute la faune nocturne de la Havane, des chanteuses de cabaret à Meyer Lansky. Mais à trop remuer la merde, on finit par se salir.
Cette partie de l'histoire cubaine, déjà magistralement racontée par James Ellroy dans sa trilogie Underworld USA me fascine, autant dire que j'en lirais sur la tête d'un pouilleux. La Havane, 1957 a un double attrait, il est écrit par une femme, et par une Cubaine. Le roman, dont le titre original est Son de Almendra (célèbre danzón) se dévore, s'écoute, se sent. Mayra Montero possède une écriture très sensuelle, et un grand sens de la narration.
Elle restitue les dernières années de la Mafia à Cuba à travers le parcours agité du narrateur Porrata et de sa petite amie, une ancienne acrobate de cirque devenue manchote qui fricote avec une figure importante du Milieu.
La Havane, 1957 qui s'inspire de faits réels est aussi un hommage au cinéma. L'un des personnages est un fanatique de l'acteur Georges Raft, dont il copie les tenues, la coiffure, la gestuelle, un Raft d'ailleurs proche de la Mafia et qui dirigea un temps l'hôtel Capri, où il possédait des parts. Mayra Montero relate dans les dernières lignes de l'ouvrage une scène digne d'une production hollywoodienne: « Ainsi que l'avait pressenti Lansky, les choses changèrent du tout au tout au petit matin du 1er janvier 1959. Des citoyens en colère envahirent les hôtels, renversèrent les tables de jeu, arrachèrent les machines à sous appartenant au colonel Fernández Miranda et les jetèrent sur le trottoir. Un seul casino fut respecté dans toute La Havane. George Raft se présenta à l'entrée du Capri pour affronter la foule. Il était encore vêtu du smoking qu'il avait passé pour la fête du nouvel an, ses tempes battaient, son visage se décomposa en une terrible grimace, et on l'entendit hurler: « Ici, c'est mon casino! Pas mon casino! » Dehors, il y avait un homme qui connaissait sa vie par coeur, qui connaissait tous ses films sur le bout des doigts et qui l'adorait en silence. Cet homme leva les bras devant Johnny Lamb, devant Nick Cain, devant Johnny Marshall, devant Joe Martin et devant Guido Rinaldi (Dans Scarface) mais aussi, et surtout, devant celui qui avait déjà joué Spats Columbo. « C'est Raft! George Raft! Que personne ne le touche! » Un étrange silence se fit. Dans la foule, deux ou trois miliciens retirèrent leur casquette en signe de respect. Les gens se dispersèrent sans mettre un pied à l'intérieur du casino. »
Pour admirer le crépuscule de la Havane américaine - ses vedettes de cinéma, ses gansters, ses fêtes mémorables, ses assassinats quotidiens...- laissez-vous guider par Mayra Montero.
Commenter  J’apprécie         499
Le jour de sa mort, Anastasia enfreignit deux règles de base pour n'importe quel chef mafieux de son envergure: il s'assit en tournant le dos à la porte d'entrée, ce qu'il ne faisait jamais d'ordinaire, et il ferma les yeux tandis qu'on le rasait. Il ne se méfia pas des détails inhabituels, par exemple que son barbier attitré était malade, ou que le patron de la boutique, Arthur Grasso, avait quitté précipitamment le salon quelques secondes avant l'irruption de deux hommes armés. Il ne s'étonna même pas que son chauffeur et garde du corps, Anthony Coppola, ait décidé d'aller prendre un café, au lieu de rester auprès de lui comme il le faisait toujours, en profitant pour se faire cirer les chaussures ; ç'avait été une mort par négligence, indigne du cerveau impitoyables de Murder, Inc.
C'était un Portugais assez vieux, environ soixante ans, chauve et les oreilles décollées, avec une barbichette rouge, le fameux bouc que se laissent pousser tous les magiciens, une vraie tête de Belzébuth. Lorsqu'il entra à la maison, maman était en train de préparer le déjeuner, et elle eut l'impression que l'âme de cet homme avait attrapé la sienne avec un hameçon extrêmement fin accroché à un fil invisible sur lequel le magicien commença immédiatement à tirer, tirer, tirer, jusqu'à la saisir avec sa main et la porter à sa bouche. Elle me racontait qu'elle avait tout vu: les mains de l'homme en train de bouger comme s'il ramassait le fil, puis elle le surprit en train de savourer et de sucer, comme si c'était un bonbon, le tendre petit poisson qui n'était autre que son âme tout entière.