"La bénédiction des fromages" Thomas BRAUN ; 1900
(...)
Bénissez aujourd’hui, Dieu des prés, les fromages
dont votre peuple obéissant vous fait hommage.
Qu’ils soient gras ou légers, ronds comme des boulets,
ou plats comme ceux qui crevaient et s’écoulaient ;
que l’odeur des brebis ou des prés s’y renferme
qu’ils soient battus, Seigneurs, dans la cour de la ferme
et que leur bords durcis soudainement s’argentent
dès l’aube, sous les mains rougeaudes des servantes ;
de l’alpage, qu’ils soient portés, surs et verdâtres,
vers les marchés, sous le manteau mouillé des pâtres ;
qu’ils viennent du Jura, du Cantal ou de Parme,
qu’ils soient pétris par la dextre auguste des Carmes,
que s’incruste à leur face une crosse d’abbesse,
qu’ils fleurent les parfums des herbes de la Bresse,
du plat pays, des Vosges, de la Brie,
de Roquefort, Gorgonzola ou d’Hespérie !
Bénissez-les, Seigneur ! Bénissez le Présent,
Le Chester roux et le Gruyère larmoyant,
le Kantercaas et les rondelles de Mayence
où se mêlent les grains d’anis et les semences,
l’Edam, le Pottekees, fromage des Marolles
et ceux auxquels on dit « Monsieur » comme à des hommes.
"Fleurs de boissons" extraits, Jean RICHEPIN, 1926.
Ouf, j’ai soif comme si je mâchais de la laine.
Allons, donne l’avoine à mon gosier fourbu.
Du vin, nous faut du vin. Je veux que mon haleine
Suffise pour saouler ceux qui n’auront pas bu.
(...)
De l’Odéon pensif aux tristes Batignolles
Nous irons, telle va la comète qui luit,
Chez le mastroquet gras qui vend des attignoles.
Nous boirons du vin doux qui fait pisser la nuit.
Nous pisserons, très beaux, très heureux et très dignes,
Nous appuyant du front au mur éclaboussé,
Et les Batignollais verront, un jour, des vignes
Fleurir le long du mur où nous aurons pissé.