Selon l'hypothèse d'
Alexandra Midal, l'industrialisation (c'est-à-dire le processus de fabrication de produits manufacturés avec des techniques permettant une forte productivité du travail et qui regroupe les travailleurs dans des infrastructures constantes avec des horaires fixes et une réglementation stricte) aurait permis l'émergence des tueurs en série. Parce que la productivité était rentrée dans la norme sociale, elle l'aurait été logiquement dans tous les domaines, donc le meurtre, CQFD.
Cela me bottait bien cette idée du « fordisme du meurtre » ; et je subodorais même une sorte de pamphlet anticapitaliste via un "serial killer" ; allez savoir pourquoi je m'étais fait tout un roman de cet essai.
Aussi, malgré des caractères minuscules expliquant peut-être un ratio prix/page scandaleux (12 €, 74 pages, les 30 suivantes étant la lettre d'aveu – traduite certes par l'autrice – de H.H. Holmes), je me suis fendue d'une dépense grâce à la ristourne obtenue pour carte de fidélité remplie de ma librairie (qui est bien aimable de m'autoriser à mettre près de deux ans à acheter dix fois). Et en ce 1er novembre pluvieux, tranquillement, sans lunettes hein, je deviens presbyte, c'est scandaleux à mon âge, je suis trop jeune bordel !, je me suis lancée dans
La Manufacture du Meurtre.
Alors H.H.Holmes d'abord (je ne m'y fais pas – Holmes – ce nom est sanctifié dans mon panthéon des personnages de fiction).
Né Herman Webster Mudget en 1860 dans une famille plutôt aisée et (forcément) dévote, il se fait rapidement escroc, produisant des cadavres volés ou achetés pour toucher des primes d'assurance-vie. Devenu pharmacien à Chicago, il diversifie ses affaires et devient grosso merdo un homme d'affaires / promoteur immobilier débrouillard. Il se fait alors construire un complexe immobilier accueillant commerces, sociétés de bureaux et hôtel.
Ce « château », construit d'après ses propres plans, était une espèce de labyrinthe sur trois étages + sous-sol avec de la technologie dernier cri. A l'époque, eau courante, électricité, gaz, c'est-à-dire eau chaude, lumière (mmm bains chauds)… Un palace quasi futuriste.
C'était également une véritable usine à tuer. Imaginez près de cent chambres la plupart sans fenêtres avec des portes s'ouvrant sur des murs de briques, des couloirs avec des angles improbables, des escaliers ne menant nulle part, des trappes, des portes s'ouvrant seulement de l'extérieur, des tuyaux d'arrivée de gaz, des passe-plats à taille humaine, permettant d'affamer, brûler, asphyxier à loisir en toute discrétion (et des client.e.s - crédules donc).
Arrêté et condamné à la pendaison pour deux meurtres (celui de son complice de toujours et de son fils), Holmes avouera peu de temps avant son exécution 27 meurtres et 6 tentatives alors qu'"on" est certain qu'il en aurait commis plus de deux cents. PLUS DE DEUX CENTS.
Il est considéré comme le premier « serial killer » de l'histoire (une théorie américaine appelle un alpha américain).
En bonne chauvine que je suis, je m'écrie derechef « mais et Landru bon dieu ! » (si si cet épouvantable docteur qui recrutait des meufs sur petites annonces, les tuaient et les faisaient brûler dans sa cuisinière), mais las, recherches faites, Holmes est bien son aîné.
Aussi, je me suis concentrée sur la thèse soutenue par l'autrice : la naissance du « design » - soit inventer, améliorer et/ou faciliter l'usage ou le processus d'un élément ayant à interagir avec un produit ou un service matériel, au service d'une meilleure qualité de vie pour les consommateurs – qui fait donc émerger la notion de « productivité » et ipso facto productivité pour le meilleur, dans l'économie familiale, les arts etc… puis le pire, le meurtre.
Intéressante quoiqu'un peu barbante thèse soutenue au fil d'une bibliographie sur le design (l'autrice est designer) abondante sur l'imprégnation de ce fameux « rapport qualité/prix », de l'éloge de la technique émergente à la fin du 19e siècle, de ce CAPITALISME (osons dire son nom même si pas une fois il n'est écrit) qui rapidement allait être la norme économique, politique et sociale de nos sociétés occidentales, voire mondiales.
Cependant, et en toute mauvaise foi – puisque je n'ai pas la culture ni les connaissances nécessaires pour expliquer pourquoi je ne suis pas complètement d'accord, cette thèse de l'émergence du tueur en série au moment de l'industrialisation me chagrine la cervelle.
J'eusse aimé que l'autrice explore plus avant la notion de « meurtrier sériel ». Parce que selon les thèses des plus éminents spécialistes, on devient « serial killer » en ayant commis au moins trois meurtres séparés par un intervalle de temps compris en quelques jours et plusieurs années. Et je ne vois pas en quoi l'industrialisation aurait quelque chose à voir avec la choucroute vu qu'on trouve des assassins de cet acabit bien avant Holmes.
Pensez-y un peu : Barbe bleue – Gilles de Rais (Cocorico bordel !), le bien-aimé compagnon d'armes de notre
Jeanne d'Arc nationale (15e siècle pour les buses), le plus grand meurtrier pédophile de l'Histoire de France (avant que l'église catholique ne nous donne de nouvelles références). Quid ? Point d'industrialisation. Des oubliettes bien pratiques. Cela suffisait bien.
Et cet indien, Thug Berham qui aurait assassiné plus de 900 personnes entre 1790 et 1840 en utilisant un foulard.
Et le nombre de femmes infirmières dès le début du 19e siècle qui ont expédié ad patres leurs patients… Allez voir sur le net, hashtag tueuSES en série. Vous allez voir si les femmes ne sont pas moins meurtrières et efficaces que les hommes.
Tout ça pour dire que la mention du premier tueur en série coïncidant avec la naissance de l'industrialisation ne suffit pas.
Il me paraît également logique de dire qu'à chaque avancée technologique ou sociétale, un petit malin diabolique utilise le système ; regardez Landru (pour y revenir, qui utilisa le système des petites annonces), ou Marc Zuckerberg qui profita de son réseau social pour tuer des milliards de famille (ok j'exagère), pour en profiter pour le pire - et l'un peu mieux parfois, ne soyons pas trop cyniques.
Pour chaque argument,
Alexandra Midal de démontre rien et se contente de brandir un unique exemple (je vous les liste, m'en manque une un truc de
Fritz Lang j'ai déjà oublié - du crime considéré comme un des beaux-arts
De Quincey (très bon essai), La Corde d'Hitchock (très bon film), L'Eloge du Crime de Marx – je croyais à cette mention que cela allait devenir un peu croustillant mais non – épicé-à-peu-près-tout).
Certes « souvent trop d'abondance appauvrit la matière », comme l'a dit
Boileau, mais cela rend aride la lecture et suspicieux.se sur l'hypothèse.
Et ce postulat de départ, « j'ai décidé de laisser de côté l'attrait morbide généralisé pour les faits divers », c'est présenter d'entrée de jeu une réflexion partisane mais non assumée tout au long de l'essai (parce que soyons clairs, si elle avait surfé sur cet attrait, certes morbide mais complètement humain, son essai se vendrait mieux hein).
En résumé, ce n'est pas une démonstration – ce que j'en attendais tout de même – mais une ébauche de raisonnement insuffisamment soutenu qui aurait pu être pourtant follement intéressant.