Les mémoires de mon ami

Une pure merveille !


Chef-d'oeuvre total !


Je pense qu'une adaptation cinématographique de ce court mais tellement riche roman devrait être réalisée d'urgence , en noir et blanc ou en couleur dans le style de Clouzot.


Ce qui m'a frappé dans ce livre boulversant c'est son extraordinaire puissance et sa gradation progressive , je l'ai lû d'un traite , de 22h à 6h du matin , ébloui , boulversé et le coeur qui bat , sans m'arrêter.


Pour vous mettre l'eau à la bouche il s'agit d'un homme qui récupère par la femme d'un ami , à qui il ne parle en réalité jamais , et à qui ils ont toujours promis de se voir , un " journal intime " , sorte de " mémoires " de la vie extraordinaire de cet homme qu'il a souvent croisé sans vraiment discuter et dont il va découvrir la vie , et c'est parti !


Je ne peux pas aller plus loin dans l'analyse de cette merveille car je veux vous préserver la surprise de découvrir vous même cette magnifique oeuvre, et ainsi garder sa puissance sauvage, vivante , boulversante et palpitante ,  intacte !

Je peux en revanche vous parler de l'homme Octave Mirbeau et du contexte historique très riche et important dans lequel ce texte a été écrit.


Octave Mirbeau a été un des plus nobles et forts dreyfusards (avec Zola ).
Il éreinte l'armée , les tartuffes , les hypocrites, l'antisémitisme ,et y va à fond la caisse.
Les écrits " dreyfusards " de Mirbeau sont rarement mis en avant et quasiment introuvables , ils ont été édités mais ce sont des raretés oubliées par les faiseurs de roi de la renommée littéraire...
Pourquoi ?
La même chose est arrivé à ce , paradoxalement ,  très long et riche très court petit géant livre , il a été marginalisé , censuré par une sorte de silence étrange qui s'éclaire par les enjeux et les thèmes même du livre.


Sur internet les informations sur ce livre énorme sont réduites et parcellaires, vous pouvez " apprendre " que ce chef d'oeuvre a été serialisé en épisodes dans un journal , certes, mais très vite vous vous apercevrez que le informations disponibles sur ce chef-d'oeuvre sont quasi-inexistantes et on vous fera comprendre, alors que ce n'est pas vrai , que nous avons affaire là à un petit livre , peu important , qui plus est ce qu'on appelle un " livre de circonstances " sans intérêt et dont on peut se permettre de passer totalement et gentiment à côté car le génial Mirbeau est ailleurs ...


Faux !


Ne jamais se fier aux apparences , un des enseignements du livre d'ailleurs ...


Certains des livres marginalisés et méconnus dont on parle dans des critiques écrites rapidement ou en revue ou sur internet dissuadent de lire certains livres , pour mieux les chasser et dissuader les lecteurs, et ce sont ceux là mêmes qui m'ont paradoxalement le plus marqués , une méthode de racalibrage cognitive que je peux vous proposer , éventuellement , pour découvrir de bons livres c'est de lire les livres dont on essaye de vous convaincre qu'ils sont "
-  -secondaires "
-  peu importants " 
- non essentiels "
  -anecdotiques "
tous ces livres classés dans la catégorie
- d'ont on peu très bien se passer "
etc et de justement , et à cause de celà , aller vous faire votre propre opinion indépendante sur , précisément , ceux là même qu'on vous dit de ne pas lire.


On peut aussi tout simplement lire des livres d'ont on parle peu ou des livres " dits " et classifiés comme
" polémiques "
" controversés "
" discrédités "  ou d'ont on dit du mal , peu , ou rien.
Heureusement que les éditions de " l'arbre vengeur " sont là !


Go ! pour les tortues de lois masson ensuite et les 21 jours d'un neurasténique de mirbeau toujours édités par cette maison d'édition d'un arbre muni d'une tronçonneuse...


Alors pourquoi ce chef d'oeuvre a-t-il été " oublié " ?


La raison s'explique au coeur de l'affaire Dreyfus elle même.
Mirbeau est un Dreyfusard exigeant , mais il comprendra très vite qu'il s'agit de politique et d'hypocrisie et que Dreyfus est un prétexte politique.
M
Et don Mirbeau dans ce livre défendra tous les innocents accusés à tort !
Comment ? un breton ? Un belge ? Un suisse ? Un français ordinaire ? Mais c'est qu'on s'en fout !
Mirbeau ne s'en fout pas , ah non ! Mais moi ! Mirbeau !
Je défends tous les innocents de France ! Ceux sans voix , accusés à tort par un système judiciaire injuste , persécuteur , au service des puissants !


Les dreyfusards de carrière grincent des dents , ils ont voulu " judaïser " l'innocence et la culpabilité elles mêmes , avaient des objectifs politiques très précis en tête, - d'abord purger l'armée des derniers éléments de la noblesse - et voilà que ces Dreyfusards bourgeois , ces socialistes de salons et de foire , se rendent compte que mirbeau défends TOUS les innocents accusés à tort et universalise la souffrance de dreyfus à tous les marginaux, tous les pauvres, tous les persécutés ; la bourgeoisie Dreyfusarde ne souhaite pas libérer les prisons , encore moins universaliser le cas dreyfus à tous les démunis et malheureux de France ! d'autant plus qu'elle a fondé sa domination et son pouvoir sur l'iniquité et l'abus judiciaire, celui que le Dreyfusard Mirbeau éclate éreinte et broie , celui qui étrangle l'innocent et qui le noie !


Sans un gramme d'antisémitisme et sans rien abandonner du Dreyfusisme sincère qui était le sien , Mirbeau règle ses comptes , sans agressivité , sans violence, d"une magnifique politesse et élégance même,  tout simplement,  en écrivant à l'égard des tartuffes et des menteurs qui étaient dans son camp , un super petit roman...


Alors on a fait disparaître l'immense chef-d'oeuvre sous " la loi du silence " , l'omerta fonctionnant d'autant mieux qu'on celebra
l'auteur du jardin des supplices et des mémoires d'une femme de chambre...


Oui il faudrait un jour faire un pendant sous forme de film au "J'accuse " de Polanski avec " les mémoires de mon ami " , il faudrait un jour , oui , adapter pour le cinéma le chef d'oeuvre "  les mémoires de mon ami " , chef d'oeuvre " Dreyfusarde " si on veut , mais qui aura cette particularité et cette singularité qui est que si ce film est réalisé un jour par un cinéaste de talent celui-ci aura , lui , une signification plus forte à base d'universel et non de particulier et qui est le seul Dreyfusisme acceptable.


Seul dans sa solitude d'écrivain génial et isolé , Mirbeau avec ce livre immense et négligé , lui ,  Mirbeau ! se retrouve paradoxalement être le seul Dreyfusard honnête , sincère , réel et authentique.
Et celà, en plus de ce chef-d'oeuvre , est tout à son honneur.

J'imagine Mirbeau dans la société d'aujourd'hui, lui d'un octave au dessus, non j'hallucine ..

Je conçois que vanté par ses pairs contemporains les plus grands, on devienne presque jaloux de son style qui n'appartient qu'à lui, à la lecture de son oeuvre, on est littéralement projeté dans sa manière d'écrire, il nous embarque sans ménagement, avec la caractère impulsif qui prédominait chez lui, pourrait-on même dire, et quand il nous parle de manuscrit remis par la femme d'un ami tout relatif puisqu'il le voyait une fois tous les cinq ans et qu'il éprouvait même de la gêne en le rencontrant, on est subjugué.. On voit tout de suite qu'on a affaire là à un écrivain "occupé"..

Ce manuscrit, les mémoires de son ami qui vient de disparaître, lisons plutôt :

"Je l'ai trouvé dans un tiroir, ce matin.. Lui aussi, monsieur, il écrivait !.. Il écrivait ses mémoires !.. J'aurais pensé à tout de sa part, excepté à cela.. il n'avait pas l'air de quelqu'un qui écrit des livres, bien sûr !.. Car, enfin, vous qui le connaissiez beaucoup, vous qui étiez son meilleur ami, vous devez savoir qu'il n'était pas fort, le pauvre homme !..

Je m'inclinai avec un geste vague, qui pouvait être aussi bien un geste d'acquiescement qu'un geste de protestation.."

Ah! ce qu'il en a commis des bêtises, dans sa vie, non par méchanceté - il n'était pas méchant pour deux sous - mais parce qu'il n'avait pas de jugement.. pas d'intelligence !.. C'était enfin.. quoi, c'était rien du tout !
Et elle soupira.."

Une plume brillante aiguisée comme une lame. Parfois glaçant et profondément amoral, ironique à souhait. Ce chef d'oeuvre du second degré secoue sévèrement nos considérations "Humanégoïstes" si contemporaines.
L'auteur tape de tous les cotés, la justice, la bêtise et sa mauvaise foi est tout à fait contaminante.

On retrouve un peu la philosophie d'un Brassens dans "la mauvaise réputation" ou " l'Hommage à Don juan" avec un cynisme plus affirmé.

Amusant pour un roman écrit en 1899 !