« Absit reverentia vero »
Ne craignons pas de dire la vérité, c'est à partir de cette maxime d'
Ovide que l'auteur démarre son roman.
Oui mais, toute vérité est-elle bonne à dire ?
Ne laissons pas la réalité définir la vérité !
La réalité est-elle un critère de vérité ?
La réalité est le monde tel qu'il apparaît aux yeux de l'observateur, et la vérité est ce que l'observateur saisit de l'ordre du cosmos.
Vous me suivez ? Moi, je m'égare, je sens que je vais dérailler, vais-je trouver la bonne voie pour vous relater avec entrain l'aventure proposée par
Michel Moatti ? Car il est coutumier du fait, le bougre ! Il part d'une histoire vraie (réelle?) et invente une fin inédite. Il l'a fait pour Jack l'éventreur et pour Nordahl Lelandais, la fiction au service de la vérité (réalité?).
Deux psychopathes, on peut imaginer qu'il est facile d'entrer dans leur monde sans trop travestir la réalité (vérité?).
Là, il s'attaque à Darwin, ni plus ni moins ! Et se propose d'écrire le dernier chapitre, afin d'élucider la mort du célèbre naturaliste. « Sa » science vaincra-t-elle l'obscurantisme ambiant ? Evidemment, il va nous mener en bateau, sur le célèbre Beagle, pour suivre la piste d'une expédition qui a du chien.
Moi, c'est le premier chapitre qu'il m'est imparti d'écrire, dans le cadre de la masse critique du mois. Je sens que ce sera la critique du « moi », tant est aventureux de faire paraître la première chronique sur ce livre.
Comment rester dans le marrant quand on n'a pas le pied marin ? C'est un truc à se retrouver marron, juger le final d'une symphonie inachevée, c'est faire chou blanc avec Schubert…
Pourtant, il faut que je me jette à l'eau, ça va faire des vagues, le réel et le fictif, c'est comme le flux et le reflux, ça s'en va et ça revient, où est la vérité ?
Ben, la vérité est ailleurs, c'est bien connu, elle file sous x, anonyme pour rester inconnue. le cosmos va-t-il me faire une fleur ?
C'est un certain
Kevin Laland qui a proposé «
La symphonie inachevée de Darwin », entre créationnistes et évolutionnistes, il manque un chaînon, celui de l'apprentissage qui a contribué à l'évolution.
Moatti a lui aussi étudié tous les écrits de Darwin, mais il cherche juste à comprendre la fin de vie du naturaliste.
C'est donc un thriller, il refait le tour du monde pour tenter d'expliquer la maladie de Darwin, passe en revue tout l'équipage du Beagle, va de l'un à l'autre des principaux personnages de l'aventure pour faire évoluer le récit.
Au point d'en inventer plusieurs, dont Morgan Moss, le dessinateur et cartographe du bord.
C'est son carnet qui a été retrouvé, et qui déclenche toute l'enquête sur les événements survenus en mer.
Comment concilier les informations « véridiques » écrites de la main de Darwin dans ses différents ouvrages et la pure spéculation sur la vie (et la mort) de certains participants de cette circumnavigation ?
Je suis tenté de dire que c'est tout l'art de l'écrivain, nous embarquer dans une expédition diabolique au risque d'expédier les ingrédients de la recette par-dessus bord. Imagination et mystère côtoient données scientifiques et relations humaines. Un cocktail habile et décapant, entre suavité et amertume.
La première partie, qui s'intitule destination : désolation, comporte 300 pages sur les 450 du livre, il en reste donc 150 pour élucider le mal invisible.
C'est un tour du monde, il faut du temps pour décrire la lenteur de ce voyage épuisant. Oui, mais la première partie s'achève au Cap Horn, c'est à dire seulement au tiers de l'expédition. Les deux-tiers suivants du voyage sont expédiés à toute vitesse, Pacifique, Indien et remontée de l'Atlantique, trois océans c'est lent, mais là ça part à vau-l'eau. Galapagos, Maurice, Ste Hélène, faut pas qu'ça traîne !
300 pages pour présenter les personnages, montrer la vie à bord et la promiscuité qui renforce les tensions, ok. Mais alors, il aurait fallu au moins autant de pages pour la suite du voyage, peut-être l'auteur s'est-il dit que pour être lu il ne fallait pas que ce soit un pavé indigeste et rebutant.
Le découpage m'a gêné, c'est dommage, j'aurais aimé une description des lieux fréquentés plus élaborée, en tout cas plus équilibrée.
Par contre, la qualité littéraire de l'écrivain est indéniable, il écrit comme au 19 ème siècle, avec une habileté entre récit, description et dialogues. Ces derniers sont percutants, donnant un style enlevé à la monotonie du périple. L'alternance des chapitres racontés chacun leur tour par les personnages principaux, Darwin, le capitaine FitzRoy et le cartographe Moss, permet d'avancer dans le récit en reprenant les éléments de l'histoire sous des angles différents, un bon point de ce côté.
Maintenant, parlons des sens. Pas ceux de la circonvolution, mais les cinq qui exhalent les sentiments. Ils sont bien mis en évidence, notamment la description des rites alimentaires de cette époque, à faire frémir n'importe quel adepte de véganisme.
« Nous avons passé un portique de bois rouge et l'horreur nous a sauté au visage. Des employés en haillons nous entouraient, affairés à des tâches insensées. Certains portaient des baquets emplis de sang coagulé ; d'autres charriaient à plein bras, dans des sortes de paniers sans anses, des viscères opalins, dans un sillage d'infecte puanteur.
Nous sommes arrivés sur une vaste place, quadrillée par les mêmes barrières de bois que nous avions vues dehors. Des gauchos à cheval exterminaient là les boeufs et les chevaux destinés à l'alimentation de la ville. Les animaux étaient rassemblés et compressés par dizaines à la fois, dans des enclos qui s'étiraient à l'infini. Des hommes couraient derrière eux, armés de couteaux arqués, et coupaient les bêtes aux jarrets pour les empêcher de fuir. Celles-ci le plus souvent s'effondraient aussitôt, avant d'être tuées férocement. D'autres, blessées, cherchaient encore à fuir sur leurs seules pattes de devant, laissant derrière elles un sanglant sillon ».
Arrivé à ce stade de l'histoire, j'eus peur que « Le dernier chapitre » ne devînt « Le charnier de tripes ».
Même à bord du Beagle, l'atmosphère est délétère, pas d'accord ils s'engueulent et se quittent ventre à terre. Car il y a aussi le révérend Wilberforce qui ne manque pas de s'étriper avec Darwin.
« - Je parle de m'intéresser exclusivement à la vie et à ses transformations.
- Voilà qui est aussi vain que de vouloir vider les océans pour en admirer le fond !
- Ce sont les animaux que je veux vider pour les observer et les décrire, non pas les océans…
- Cette curiosité pourrait offenser Dieu, si elle revenait à surveiller Son oeuvre créatrice et à lui attribuer louanges ou critiques !
- Il n'y a rien d'offensant à observer la nature et à vouloir la comprendre. Vous-même, vous affrontez chaque jour cet élan de volatiles dans la maison de Béthanie. Où est l'offense, révérend ?
- Il n'y a pas d'inconnu dans le monde que nous a donné Dieu, Darwin… En quoi croyez-vous donc pour proférer de telles paroles ?
- Je crois en la complexité de la nature, voilà tout. Est-ce faire offense à Dieu que d'étudier cela ?
- Dieu me foudroie, Darwin ! Vous verseriez dans les sottises qui ont valu à votre compère français Lamarck les condamnations les plus vives de toutes les académies ? Cessez d'évaluer les desseins de Dieu. Contemplez simplement Son oeuvre…
- Il n'y a rien à évaluer, révérend : il s'agit simplement de comprendre et de lire directement dans le livre infini de la nature.
- le livre de la nature ? Vous êtes un véritable hérésiarque, Darwin. le seul livre de la nature est l'oeuvre divine.
- Voyons : ne serait-il pas possible, justement, que le Créateur Lui-même ait voulu confier à la nature le pouvoir de se gouverner elle-même ? de se convertir, de se transformer au fil des siècles ? D'évoluer ?
- Allons ! Rien n'évolue. le monde est stable. Dieu l'a voulu ainsi.
- Mes observations me poussent au contraire à noter quelques changements. Les sujets que j'observe sur la table, par exemple, ne sont…
- Vos pièces d'anatomie ? Ces dépouilles puantes que vous manipulez comme s'il s'agissait de pièces d'un jeu !
- Je me dirige tout droit vers une manière de penser qui me poussera bientôt à ne croire en rien qui ne soit prouvé. Je suis prêt désormais à abandonner toute idée préconçue pour suivre les faits, sans regarder le risque qu'ils imposent.
- le risque ? Vous jouez là avec votre damnation !
- La vérité seule m'impose ce choix, qui est celui de toute démarche sérieuse sur le chemin que j'ai choisi.
- La vérité ! Qu'est-ce que cela ? La vérité est-elle plus nécessaire que la foi, Darwin ? La discussion a trop duré. Je crois que mon vin de cerise vous tympanise la cervelle. Je vais m'allonger et essayer d'oublier vos sottises ».
Bon,
Michel Moatti s'en joue de la vérité. le mal invisible qu'il tente d'expliquer dans la deuxième partie du roman est sorti de son imagination. Je ne dévoilerai rien du cheminement de l'enquête. Il vous faut lire l'aventure dans son intégralité. Juste quelques mots-clé pour vous appâter.
Choléra, scorbut, belladone, le mystère s'éclaircira-t-il ?
Sola dosis facit venenum !
La faculté propre à l'humanité de complexifier et d'accroître continuellement son patrimoine culturel a évolué à partir de comportements d'apprentissage, d'innovation et d'imitation. La culture constitue le principal moteur de l'évolution de l'être humain.
La symphonie passe d'inachevée à fantastique. Darwin n'avait pas les moyens de tout expliquer. Laland a poursuivi son oeuvre. Moatti est dans la fiction. Son écriture peut être qualifiée de fantastique, mais j'ai trouvé son roman déséquilibré, inachevé. le cocktail aventures, sciences et polar est un breuvage particulier, qui ne respecte pas toujours le bon dosage. La fiction entraîne des frictions. le goût ne m'a pas totalement plu.
J'ai lu, j'ai bu, mais je ne suis pas convaincu.
"Il n'y a rien à évaluer, il s'agit juste de comprendre"...
Merci à Babelio pour cette masse critique et aux éditions
Hervé Chopin pour l'envoi de ce livre.