Que diriez-vous si vous vous retrouviez dans un coin perdu du Mexique et que vous tombiez sur un sanatorium rempli d'hybrides humains/animaux ?
A mi-chemin entre la science-fiction et le fantastique, ce roman se présente comme une réécriture du célèbre récit de SF avant-gardiste
L'Île du Docteur Moreau. Si vous ne connaissez pas l'oeuvre, il s'agit d'un roman sorti en 1896, écrit par
H.G. Wells, et racontant l'histoire d'un savant presque fou, le Docteur Moreau, qui s'adonne à des expériences plus que discutables sur son île tropicale : entre vivisection, transfusions sanguines et opérations chirurgicales, ils a pour ambition de transformer des animaux en êtres humains capables de parler.
Dans le roman de
Silvia Moreno-Garcia, on se retrouve au milieu de la jungle mexicaine, dans la province du Yucatán, dans la grande bâtisse où le Docteur Moreau effectue ses terribles recherches pour le compte d'un mécène peu scrupuleux, Hernando Lizalde, qui veut former une armée d'hybrides. Malheureusement, depuis quelques temps, les expériences de Moreau ne donnent plus grand chose, et Lizalde est à deux doigts de mettre un terme au financement de ses travaux.
De l'autre côté, on a Carlota, fille unique de Moreau, qui a grandi parmi les hybrides et les considère comme sa famille. Lupe et Cachito sont des frères et soeurs pour elle. Elle peut également compter sur le soutien de Montgomery Laughton, le mayordomo engagé par Moreau, un homme torturé par la perte de sa femme et sa soeur, dont le seul remède à ses maux se trouve au fond d'une bouteille d'aguardiente. Et puis il y a l'arrivée du beau Eduardo Lizalde, fils du mécène de Moreau, qui n'aura d'yeux que pour Carlota et dont celle-ci tombera sous le charme malgré les avertissements avisés de Montgomery. Dès lors, tout bascule.
Mon avis :
J'avais tant aimé
Mexican Gothic de SMG que j'attendais impatiemment la lecture de ce roman, promettant d'être riche en rebondissements. Malheureusement, la magie n'a pas vraiment opéré pour moi. Si la réinterprétation du roman de 1896 partait d'une excellente idée, la réalisation m'a semblé trop inégale pour être considéré comme réussie.
Tout en conservant l'essence de l'oeuvre originale, l'autrice a su apporter des éléments nouveaux et des perspectives inattendues qui enrichissent indubitablement l'univers de Wells. L'atmosphère mystérieuse qui règne autour du laboratoire de Moreau, les foetus expérimentaux dans des bocaux remplis d'un étrange liquide, les hybrides déformés qui peuplent les lieux, autant d'éléments qui participent à l'angoisse morale et existentielle du récit. le roman brille par sa capacité à remettre en question la nature de l'humanité, entre le Docteur Moreau qui ne voit en ces créations que des monstres permettant de servir ses intérêts, et Carlota qui tend vers plus d'humanité en les considérant comme ses pairs, ignorant totalement les différences qui les séparent. D'ailleurs, dès les premières pages du roman, on ne pourrait affirmer avec certitude que Lupe et Cachito ne sont pas humains. Ce sont juste deux enfants qui se chamaillent parfois avec Carlota et qui l'ont griffée ou mordue.
C'est au niveau du développement de l'intrigue et de la construction des personnages que le roman perd en cohérence. Certains protagonistes sont tout bonnement vides et caricaturaux. Montgomery, l'homme torturé qui pense à son amour perdu et qui noie son chagrin dans l'alcool, qui ne peut s'empêcher d'admirer la beauté qu'est devenue la jeune Carlota (soit dit en passant, elle n'avait que 14 ans et lui 29 lorsqu'il a été embauché, bonjour le malaise). La jeune Carlota, ingénue et candide qui obéit aveuglément à son père pour entrer dans ses bonnes grâces, qui tombe amoureuse du premier homme qui lui accorde un peu d'attention et couche avec lui parce qu'il lui a fait ses yexu de chien battu. Eduardo, bel éphèbe et dragueur comme pas deux, qui courtise la jeune femme à peine deux minutes et décide de l'épouser. Mais qui pique des crises de jalousie comme un gosse lorsqu'il se rend compte que Carlota plaît aussi à Montgomery.
Certains aspects de l'intrigue m'ont semblé forcés et peu naturels, si bien que j'ai parfois perdu l'immersion dans le récit. Si la plume de SMG est évocatrice et légère, j'ai trouvé que le rythme était assez inégal. Les deux premières parties sont relativement lentes, tandis que la troisième partie s'enchaîne à toute vitesse.
En fin de compte,
La Fille du Docteur Moreau aurait pu être une relecture audacieuse d'une oeuvre classique de la SF, mais tape à côté. Si le roman brille d'une réinterprétation créative, ses lacunes en termes de développement et de construction des personnages l'empêchent d'atteindre son plein potentiel. Ce qui est très dommage, étant donné la capacité de l'autrice à créer des univers fantastiques fascinants.