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EAN : 9782251455082
160 pages
Les Belles Lettres (20/10/2023)
3.5/5   7 notes
Résumé :
Nous n’arrivons même plus à nous mettre d’accord sur les faits. Il y aurait des faits « CNews » ou « Fox News », et des faits « médias mainstream » ou « politiquement corrects ». L’échange public des opinions est miné par cette conviction : À chacun ses faits. Vraiment ?

Le travail de recueil de « faits », par une subjectivité soucieuse de les transmettre à d’autres subjectivités, ne renverrait à aucune histoire riche de sens ? Sait-on seulement tout ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
La quatrième de couverture commence par ces mots : « Nous n'arrivons même plus à nous mettre d'accord sur les faits. » La première question que je me suis posée fut, en commençant ce petit opus de 158 pages : Mais avons-nous jamais été d'accord sur les faits ?

Il me revient à l'esprit une discussion avec une amie de confession juive lors des massacres de Sabra et Chatilla en 1982. Pour mémoire, voici ce qui s'y était passé, selon Wikipédia : « le massacre de Sabra et Chatila a été perpétré du 16 au 18 septembre 1982 envers des Palestiniens du quartier de Sabra et du camp de réfugiés palestiniens de Chatila situés à Beyrouth-Ouest par les milices chrétiennes des phalangistes lors de la guerre civile libanaise et l'intervention israélienne au Liban. Selon les estimations, le massacre fit entre 460 et 3 500 victimes. » La discussion qui fit rage dans les médias d'alors était de savoir si Israël pouvait être tenu ou non pour co-responsable de ces massacres. Et sans surprise, selon le « camp » des uns et des autres, Israël était naturellement co-responsable ou totalement en dehors du coup. La discussion avec mon amie d'alors refléta sans surprise ce différend. Je compris alors qu'il n'existe pas de faits, mais « seulement » des opinions sur des faits.

Et nous voilà entrés de plain-pied dans cet essai.

L'objectif de ce petit opus de Géraldine Muhlmann (GM) est de réfléchir à la façon dont opère la fabrication de l'information (le journalisme, pour faire court) dans notre pays et dans le monde occidental pour tenter de rapporter des « faits » aux citoyens, aux lecteurs, aux spectateurs, aux internautes, d'en comprendre les évolutions et de saisir quels sont les impacts de la multiplication des supports d'information qui envahissent nos vies (ce qu'elle nomme la virtualisation du monde). Il ne traite pas de ce qui se passe dans les systèmes politiques illibéraux ou dictatoriaux.

L'auteure est diplômée d'écoles de journalisme française et américaine et agrégée de philosophie de Normal sup. Elle est enseignante à la Sorbonne, journaliste, écrivaine et anime depuis des longtemps diverses émissions à la télévision et à la radio. Elle anime en particulier avec un immense talent l'émission « Avec philosophie » chaque jour sur France Culture. Voilà pour les présentations.

Quelques remarques sur la forme d'abord : GM consacre de très nombreux passages à l'histoire du journalisme américain (en 1830 à nos jours) et notamment à l'invention du concept de reporter : ce « témoin des faits ». J'ai trouvé que l'auteur avait la main très lourde sur ce point. Les citations, les ouvrages et références américaines viennent obérer la pertinence du propos s'agissant de la presse telle qu'elle existe dans notre pays. Trop d'exemples sont tirées de l'histoire américaine et semblent peu transposables à l'analyse appliquée à la situation française. A l'inverse, lorsque l'auteure « décortique » l'émission de Cyril Hanouna, TPMP, (p. 76) le passage est extraordinairement éclairant. Même chose pour les grands JT de la télévision (p. 61). J'aurais vraiment aimé d'autres exemples de ce type.

De surcroît, le recours systématique à de très nombreux mots, expressions, citations en américain m'a semblé exagéré. Non, que je ne comprenne pas l'anglais (j'ai passé 7 ans aux États-Unis), mais l'auteure semble nous dire que notre langue n'est pas en mesure d'exprimer avec exactitude la complexité du propos. Prisme étonnant.

Sur le fond : de très nombreux concepts importants sont étudiés avec une certaine minutie et un salutaire recul historique. Et c'est heureux : notion de « matière factuelle » ou factualité, « d'observateur impartial » -- beaucoup plus complexe qu'on ne le pense généralement --, de confiance (dans la vérité d'un témoignage), de l'idée que se fait une rédaction de son « public » et de ses centres d'intérêt, notion d'usage de l'outil statistique pour construire des faits en matière d'étude des phénomènes du vivant, comme on dit en biologie, enfin l'opposition de nature entre « récit » et « discours ».

On le voit, les concepts abordés sont nombreux et naturellement extrêmement importants lorsqu'on se propose d'étudier de tels sujets. La formation philosophique de l'auteure est d'un grand secours en la matière. C'est en cela que l'ouvrage est intéressant.

Mais ce prisme philosophique est aussi une grande faiblesse.

GM ne fait aucun recours aux travaux des scientifiques qui ont déjà alimenté ce débat complexe : je pense au physicien Boltzmann, longuement repris pas l'immense Ilya Prigogine, et qui a puissamment montré que seul l'outil statistique permet de rendre compte de certains phénomènes non pas comme une approximation construite mais comme seul outil scientifique compatible avec la complexité du phénomène observé. Et je pense naturellement aux travaux du sociologue Gérald Bronner et à ses fameux biais cognitifs. Difficile de comprendre ce qui est à l'oeuvre sans une connaissance de ces biais.
Et puis lorsqu'on parle de « virtualisation du monde », il est quand même étonnant de ne pas citer Ray Kurzweil et le fameux postulat de Moore. Dès 2005, tout ou presque a été dit sur les conséquences inévitables de la numérisation du monde et notamment des processus de production numérique de l'information. Étonnant !

GM voit juste lorsqu'elle dit que « la souffrance sociale [naît souvent] du désir de « simple » ». Oui, le monde est atrocement complexe, c'est pourquoi le désir de vérités simples n'y trouve jamais son compte. « Je me demande, écrit GM, si ce n'est pas plutôt, ou avant tout, la détestation du monde tel qu'il va ; avec son incertitude, qui s'épanche jusqu'à produire une incessante difficulté à juger ; aves ses « matériaux factuels » qui inquiètent tout raisonnement simple, [et qui créent] cette « souffrance » […] ».

L'auteure termine sur ce facteur explicatif majeur de la « crise » du journalisme actuelle qu'est la notion de « monde hostile ».

Réfléchissant aux mêmes sujets, Alain Duhamel, dans son dernier ouvrage propose l'explication suivante : le monde évolue à très grande vitesse. Chacun est soumis à un torrent planétaire d'informations instantanées que personne ne peut vraiment absorber à l'exception des esprits bien « préparés », écrit-il. Seuls ceux-ci semblent en mesure de faire face à ce phénomène sans en conclure que le « monde est nécessairement hostile ». Une explication que GM aurait pu fournir tant elle connaît bien ces sujets.

En conclusion, un ouvrage un peu curieux, touffus, riche, utile par ces temps de réseaux sociaux envahissants, mais qui se perd quelque peu dans les méandres de considérations philosophiques très – trop ? – nombreuses et dans une absence de considération – ou de connaissance ? – des outils scientifiques mis à notre disposition par les chercheurs des deux derniers siècles.
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Une personne disait avoir une autre perception des faits après voir vu un "bout à bout" assemblé par l'armée israélienne sur les massacres du 7 octobre. Elle avait ressenti corporellement la réalité factuelle auparavant perçue en mots seulement. Voir lui avait permis d'être "touchée" par un fait qui maintenant s'imposait à elle.
Ce témoignage énoncé à la radio intervenait dans un débat sur la scène politique belge à propos de la diffusion possible de ces images choc au parlement fédéral.
Deux points de vue différents étaient exprimés sur cette question, qui jamais n'a été élargie à la possibilité de montrer aussi des images de Gaza, ce qui aurait élargi la matière factuelle. Il est plus simple de réduire le débat afin de centrer la discussion sur un énoncé simple; un propos complexe nuit à l'audience.
Ces deux exemples mettent en jeu plusieurs notions abordées dans l'essai essentiel de Géraldine Muhlmann : importance du corps dans la réception d'une information, prédominance du discours sur le récit ; simplification; impartialité, sources plurielles ... La notoriété de l'énonciateur du transmetteur-rice des faits importe également : est-il/elle digne de confiance ?
Le journaliste que je suis a apprécié les nombreuses références à la presse anglo-saxonne, puisées dans Une histoire politique du journalisme XIXè-XXè siècle, autre ouvrage de l'auteure. Exactitude, objectivité, honnêteté, curiosité, telles sont les qualités d'une information curieuse et soucieuse de saisir le sens commun d'un fait, son "human interest ". La philosophe s'attache longuement à cerner l'impartialité, difficile à poser si l'on admet qu'un fait est toujours construit !
La tendance à privilégier la discussion au récit, amène subjectivité et dépréciation des faits, phénomène amplifié sur les réseaux sociaux où des montagnes d'avis, réactions etc... relèguent la matière factuelle à l'arrière-plan. Les faits deviennent un sujet de conversation, surtout les informations bidon (fake news), monnaie courante à l'ère nouvelle de l'intelligence artificielle et du complotisme péremptoire. La fragilisation du fait guette !
Le regard de l'essayiste brasse large, invite les penseurs à préciser la dimension sensible de la factualité, puisque nos sens captent l'information en premier. C'est d'abord au corps que la vie s'impose, disait Nietzsche.
Le sérieux de l'ouvrage force le respect, rebute parfois, relance souvent l'intérêt grâce aux expériences vécues, aux études résumées - notamment sur la personnalité autoritaire -, aux histoires croustillantes sur la récolte de faits, leur traitement et leur impact.
Géraldine Muhlmann est assez pessimiste sur l'avenir de l'information au sens large. Elle constate un rétrécissement de la curiosité et un recul de la réflexion au bénéfice de l'immédiateté. Son propos élude une conclusion espérée ; elle regrette finalement un trop de réalité et moins de réel sensible. La productrice de l'émission "Avec philosophie" sur France Culture déplore la mise en danger de notre nuit mentale celle qui désigne notre obscurité intérieure, profonde, dispensatrice d'une liberté d'inventer.
Ma question sur le fait de la semaine, l'hôpital de Gaza est-il une base du Hamas ?


Lire à ce sujet l'excellent numéro (469) de le 1 Israël-Palestine : La guerre des opinions, notamment les propos du directeur de l'information de l'Agence France Presse. (https://le1hebdo.fr/).



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critiques presse (2)
Telerama
28 décembre 2023
La journaliste et professeure de philosophie interroge notre rapport contemporain aux faits, à l’heure du flux d’opinions circulant sur les réseaux sociaux et de la défiance généralisée envers l’information.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeMonde
20 novembre 2023
Le titre, "Pour les faits", indique d’emblée son objectif : plaider pour l’impartialité, valeur qui a construit le journalisme des temps modernes.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
L'impartialité, c'est, je crois, un travail permanent sur soi. Un travail pour que l'ensemble des "sensations" que l'on a, en tant que témoin, et que l'on va rapporter dans un récit, déploie tout son potentiel d' "universalisation", c'est-à-dire soit le moins possible rivé à la singularité d'un "moi" : d'un moi qui ressent les choses trop singulièrement, et aussi d'un moi qui tend à juger trop immédiatement les choses ressenties.
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La conversation mange l’espace médiatique, y compris ses pans les plus traditionnels, comme si l’ambiance des réseaux sociaux donnait le la, malgré tout. Pour le dire autrement : nous apprendre comment juger, tout le monde s’y met toute la journée ; nous apprendre toujours plus de choses sur la réalité dont on parle, c’est plus rare.
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Les faits, donc, se retrouvent pris dans un registre de parole qui est très majoritairement celui du « discours » : qu’il s’agisse d’un discours d’analyse, d’argumentation, de débat, de commentaire quelconque, de conversation de bon aloi ou un peu tendue. Cela peut être éclairant, certes. Mais c’est malgré tout autre chose que l’évolution d’un « récit », venant toujours préciser davantage les faits, jusque dans le détail, soucieux de restituer la complexité de la situation telle qu’elle apparaît à un reporter, à un enquêteur.
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Aussi "intelligente" que soit une IA, l'idée qu'elle puisse avoir une "volonté" propre n'a, pour l'instant, pas de sens, et selon certains chercheurs elle n'en aura jamais.
Si, dans telle ou telle situation, une IA était amenée à « prendre le pouvoir » sur les humains, scénario typique de science-fiction, ce serait en ayant été programmée à le faire par des …humains
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Il y a tant de faits. Et tant de manières de faire la lumière sur les uns, de laisser les autres dans l'ombre. De changer l'axe de la lumière. Nous ne pouvons pas tout savoir ni tout retenir. Ainsi, il arrive que certains faits aient "vécu", comme on dit joliment en français.
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Vidéo de Géraldine Muhlmann
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