Tout simplement fantastique! Voici la traduction d'un passionnant traité de logique boudhiste par un grand sage indien, qui en quelques dizaines de pages tout au plus (le reste étant, comme le veut la tradition de transmission , un ensemble de commentaires et d'interprétations de différents successeurs) nous démontre par A+B qu'absolument rien n'existe; chaque chapitre s'attache à démontrer l'absence d'existence propre de tout phénomène; la naissance, le mouvement, le temps, les émotions..tout y passe et cette démonstration, que l'on soit boudhiste ou non, ne peut que laisser pantois.
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Chap. 18, Analyse du je et des phénomènes.
1.
Si le je était les agrégats,
Il serait sujet à la production et à la destruction.
S'il était autre que les agrégats,
Il n'aurait pas les caractères des agrégats.
2.
Si un je n'existait pas,
Comment un mien existerait-il ?
Puisque je et mien sont apaisés,
Les conceptions d'un je et d'un mien sont anéanties.
3.
Celui qui est sans appréhension d'un je et d'un mien
N'est pas non plus existant,
Celui qui voit l'absence d'appréhension d'un je et d'un mien
Ne voit pas.
4.
Lorsque est détruite l'idée du je et du mien
Relativement à l'interne et à l'externe,
L'appropriation prend fin
Et, avec sa destruction, la naissance est détruite.
5.
La libération a lieu par l'élimination des actes et des passions,
Les actes et les passions proviennent des imaginations,
Celle-ci de la pensée discursive.
La pensée discursive est arrêtée par la vacuité.
6.
Les Eveillés ont mentionné : "Le je existe",
Ils ont aussi enseigné : "Le je n'existe pas",
Mais ils ont encore proclamé
Que n'existe aucun je ni non je.
7.
L'objet d'expression disparaît
En se détournant du domaine de la pensée.
Non produite, non détruite,
La nature des choses est comme l'au-delà des peines.
8.
Tout est vrai, non vrai,
Vrai et non vrai,
Ni vrai ni non vrai,
Tel est l'enseignement de l'Eveillé.
9.
Non connue par l'intermédiaire d'autrui, apaisée,
Non élaborée par la pensée discursive,
Non conceptuelle, sans diversité,
Tels sont les caractères de l'ainsité.
10.
Ce qui apparait en dépendance d'une chose,
Cela n'est pas cette chose
Et n'est pas non plus différent d'elle.
Par suite, il n'a a ni annihilation ni permanence.
11.
Ni identité, ni diversité,
Ni anéantissement, ni permanence,
Tel est le nectar de l'enseignement
Des Eveillés, protecteurs du monde.
12.
Que les parfaits Eveillés n'apparaissent pas
Et que les Auditeurs aient disparu,
La sagesse fondamentale des Eveillés solitaires
Se produit en l'absence de soutien.
Début du premier chapitre, passage qui évoque ce que Kant aurait appeler "illusion transcendantale".
Il faudrait, à ce point , expliquer les deux formes de négation, mais cela a déjà été développé ailleurs.En bref, un négatif non affirmatif est la négation par la pensée de l'objet à réfuter sans que soit suggéré un autre phénomène positif; par exemple : absence de nature propre.Un négatif affirmatif est une négation impliquant l'existence d'un autre phénomène positif; par exemple, lorsqu'il est dit:"Le gros Devadatta ne mange pas durant la journée", la phrase impliquant qu'il se nourrit une fois la nuit venue, en raison de son embonpoint !
Ici, les quatre négations des quatre formes de production ( par soi, par un autre, par soi et par un autre, ni par soi ni par un autre) sont des négatifs non affirmatifs, et l'absence de nature propre de la pousse (végétale) en est également un: la connaissance dialectique qui établit l'absence de nature propre n'établit ni directement ni indirectement l'existence de cette absence de nature propre.Pourtant, sans dépendre d'autres moyens de connaissances indirects, cette conscience de raisonnement est à même d'engendrer l'intelligence qui s'oppose directement au mode d'appréhension et à la surimposition qui entretient le doute que l'absence de nature propre de la pousse équivaut à son inexistence.C'est un point très important que l'on n'exposera pas présentement.Qu'il suffise de savoir qu'au moment de pratiquer la vue, le danger est grand de considérer ce négatif non affirmatif, l'absence de nature propre, comme un négatif affirmatif.
Non connue par l’intermédiaire d’autrui, apaisée,
Non élaborée par la pensée discursive,
Non conceptuelle, sans diversité,
Tels sont les caractères de l’Ainsité [tathatā].
Quoiqu’elle ne constitue pas un objet d’expression, si nous voulons la caractériser en nous plaçant selon la convention, la vérité du monde, l’Ainsité possède cinq attributs :
1) Ce n’est pas un objet que l’on pénètre uniquement par l’enseignement d’autrui, mais elle est comprise par soi-même au moyen de la sagesse fondamentale immaculée, qui la perçoit selon le mode de la disparition des apparences dualistes ;
2) « apaisée » veut dire « libre de nature propre » ;
3) elle n’est pas élaborée – c’est-à-dire exprimée – par la parole qui développe des significations ;
4) la pensée conceptuelle, c’est le mouvement de l’esprit ; « non conceptuelle » car, manifeste, elle est libre de concepts ; comme le dit un soutra : « Qu’est-ce que la vérité ultime ? Là où le mouvement de l’esprit est absent, à quoi bon les mots ? » ;
5) « sans diversité » signifie que l’Ainsité de tous les phénomènes est du même ordre.
Tels sont les caractères de l’Ainsité, exprimés pour écarter les idées erronées. (XVIII, 9, avec commentaire de Lama Tsong Khapa, p. 172)
Nous appelons vacuité
Ce qui apparaît en dépendance.
Cela est une désignation dépendante.
C’est la voie du milieu.
Puisqu’il n’existe aucun phénomène
Qui ne soit une production dépendante,
Il n’existe aucun phénomène
Qui ne soit vide.
Pour nous, toutes les présentations sont rationnelles car nous affirmons que ce qui apparaît en dépendance a le sens de vacuité de production inhérente. Selon les Questions d’Anavatapta :
Ce qui naît de conditions n’est pas né,
Cela n’a pas d’être en soi de production.
On appelle vide ce qui dépend de conditions.
Celui qui connaît la vacuité est vigilant. (XIV, 18-19, avec commentaire de Lama Tsong Khapa, p. 226)
Afin de détourner du mal les disciples inférieurs qui nient la causalité des actes noirs et blancs et pensent que le je ou l’être vivant ne vient pas d’une vie antérieure et ne passe pas dans une vie future où il éprouvera les effets plaisants et déplaisants de ses actes, pour ceux-là l’Éveillé a parfois enseigné l’existence du je.
Pour ceux qui accomplissent le bien et évitent le mal mais sont liés fortement par la vue d’un je ou soi et, quoique parvenus très loin, ne transcendent pas les trois mondes et ne parviennent pas à la cité de la libération, afin de relâcher les nœuds de la vue du destructible et d’engendrer en eux l’aspiration à l’au-delà des peines, pour ces élèves il a exposé le non-soi, l’absence d’un je indépendant, autosuffisant.
Enfin, pour les personnes qui ont obtenu la maturation des germes et adhèrent à la profonde doctrine grâce à une accoutumance antérieure, pour ces disciples supérieurs capables de pénétrer le sens de sa parole, il a proclamé l’inexistence selon une nature propre du je et du non-je. (commentaire de Lama Tsong Khapa, p. 169)