Un sauvage retour du frère prodigue, un drame territorial et familial retors à souhait, une tragédie à tiroirs redoutablement poignante : en roman « hors cycle », du très grand Nesbø.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/11/16/note-de-lecture-
leur-domaine-jo-nesbo/
Os est un petit village du Telemark, en Norvège, à une trentaine de kilomètres de la ville de Notodden, et à cent cinquante de la métropole d'Oslo. C'est là que vit Roy, gérant d'une station-service franchisée, ex-fermier et propriétaire de quelques hectares de terres désolées à flanc de montagne, depuis la mort de ses parents dans un accident de voiture sur la route traîtresse et bordée de ravins descendant de leur maison au village proprement dit. Et voici que revient du Canada, tout auréolé de son MBA, de ses succès immobiliers et de sa superbe épouse barbadienne, son petit frère Carl, parti précipitamment quelques années plus tôt, au lendemain ou presque de l'accident, suite à une histoire d'amour ayant mal tourné avec la fille de l'homme le plus important du village. Pour cette bourgade qui se morfond doucement, et pour le terrain familial, Carl a un grand projet : ouvrir un complexe hôtelier ultra-moderne de villégiature de semi-luxe, pour attirer ici la riche clientèle de vacances et de week-ends d'Oslo et de plus loin encore. Dans une communauté d'apparence un rien étroite, où, dit-on et croit-on, tout finit par se savoir, comment ce projet va-t-il éclore, se développer, catalyser les ombres du passé et mettre au jour peut-être certains secrets que l'on croyait ignorés ou enfouis ?
En marge de sa fabuleuse série policière mettant en scène l'inspecteur Harry Hole, de la
police d'Oslo, dont le premier volume, «
L'homme chauve-souris », a été publié en 1997, et dont le douzième et dernier en date, «
le couteau », date de 2019, le Norvégien Jo Nesbø s'est déjà essayé, en sus d'autres projets extra-littéraires (et notamment musicaux), à de « petits » romans indépendants, d'une tonalité sensiblement différente, campagnards et nordiques («
du sang sur la glace » et «
Soleil de nuit », en 2015) ou résolument urbains et mondialisés («
Chasseurs de têtes » en 2009, par exemple). «
Leur domaine », publié en 2020 et traduit en français en 2021 par
Céline Romand-Monnier dans la Série noire de Gallimard, se démarque assez nettement de ses prédécesseurs, par son ampleur, par sa trajectoire parabolique de tragédie grecque reconstruite en drame shakespearien (le fait que l'auteur nous ait offert en 2018 sa propre version contemporaine de «
Macbeth » n'est ainsi sans doute pas un hasard), et pour son machiavélisme foncier ouvrant avec un immense brio des tiroirs à l'intérieur des tiroirs. Utilisant à merveille le somptueux monologue intérieur de Roy, avec ses silences et ses dissimulations volontaires ou involontaires, comme sa capacité à manier d'apparents coqs-à-l'âne qui n'en sont peut-être pas du tout, créant sous nos yeux une magie noire dure à la peine, nimbée de fulgurantes bienveillances souvent inattendues, entrechoquant drames familiaux intimes, avidités rampantes, ressassements haineux, tentatives d'échappée belle et ruses para-policières particulièrement retorses, Jo Nesbø nous propose ici un très grand roman, poignant sans pathos, violent sans complaisance, et particulièrement redoutable dans ses sinuosités.
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