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4,17

sur 413 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Très beau roman que cette légende d'un dormeur éveillé! Si j'ai trouvé quelques longueurs dans la première partie j'ai ensuite été captivée par ce tourbillon autour de Robert Desnos.Je me suis laissée embringuée dans les nuits festives des noctambules de la Belle Epoque, par leurs débats tant poêtiques que philosophiques, attendrir par les peines de coeur de ces érudits si dépendants de leurs muses, par leurs passions aussi dévorantes qu'essentielles à leur vie! Mais surtout je me suis révoltée avec Prévert, Artaud,Eluard, Picasso ,Desnos etc...face à l'Occupation et la noirceur, la petitesse de certains personnages avides de pouvoir, jaloux de l'honneur et du courage des autres au point d'en oublier d'être des hommes parmis les hommes.
C'est un hymne poignant à l'amour, à l'amitié, à la dignité et à la liberté. Je le recommande vivement car il est riche d'enseignement et tristement bien d'actualité...
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Le dormeur éveillé, c'est Robert Desnos (nommé ainsi par André Breton dans un petit film de Jean Barral fait après sa mort). Tout ce que je savais sur lui c'est que c'était un poète et qu'il était mort dans un camp de concentration. Autant dire rien. J'ai suivi le conseil de Gérard Collard, d'autant que j'avais apprécié La part des flammes sur l'incendie du Bazar de la Charité du même auteur. Bien m'en a pris.
J'ai appris beaucoup non seulement sur Desnos mais aussi sur toute l'époque, sur les surréalistes, sur Jean-Louis Barrault et Madeleine Renault, Prévert, Foujita et beaucoup de femmes dont j'ignorais tout, dont Youki sa compagne infidèle et souvent rosse mais qui fera tout pour adoucir ses jours après son arrestation. C'est d'ailleurs à elle que Gaëlle Nohant donne la parole dans la dernière partie….
Le personnage de Desnos est complexe, exigeant, attachant,distribuant volontiers des coups, fan de Fantômas et de tant de choses, aimant profondément la vie. Et sa vie va au-delà de ce que j'imaginais.
Une biographie romancée prenante et un destin découvert et qui m'incite à lire sa poésie.
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malgré les douleurs abominables causées par les nazis aux français en camps de concentration : hommes, femmes et même les enfants
l'écriture est belle et l'histoire vraie.
On se retrouve pendant la guerre de quarante avec des poètes, des écrivains et des histoires d'amour.
Une auteur excellente.
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Un exemple parfait de mes lectures préférées ! Une biographie romancée, centrée sur une figure de préférence artistique, élargie d'une palette de personnages tout aussi emblématiques, avec cette délicieuse impression d'avoir appris, sans s'être pris la tête, d'avoir mieux compris des parcours de vie, des bouts de poésie, comme ici, d'avoir cotoyé un monde particulier rendu bien vite familier. En cela, Gaëlle a parfaitement réussi.
De son écriture soignée, fouillée, inspirée, elle me projette dans le Montparnasse de l'entre-deux guerres, dans des lieux réputés, des cabarets, des troquets. J'y apostrophe Desnos, et sa bande de potes surréalistes. Je m'offusque de l'autoritarisme de Breton, leur chef de fil et assiste au délitement de leur mouvement.
Je me désole des déboires amoureux de ce "dormeur éveillé": avec Yvonne, qui se meurt, Youki qui s'en va souvent voir ailleurs, Bessie la sacrifiée.
Je le suis en Espagne, à la rencontre de Neruda, de Garcia Lorca ( bientôt fusillé par les franquistes), à Paris dans les coulisses radiophoniques et théâtrales avec J-Louis Barrault et Artaud. Période festive avant que la peste brune n'étende ses griffes, n'avilisse les esprits, ne meurtrisse coeur et corps.
De retour après 9 mois de captivité, je le retrouve critique littéraire et musical dans un Paris occupé, affamé, aux libertés bafouées, dans une position inconfortable et risquée, au sein d'un journal où il a le cran de fustiger Céline et son antisémitisme outrancier et ordurier. Parallèlement, il adhère au réseau AGIR, fournissant renseignements et faux papiers et sera finalement arrêté en février 44, déporté, emporté par le typhus l'année d'après.
La dernière partie, qui laisse la parole à Youki et à son désarroi, sa douleur, son espoir de le revoir, étant plus intimiste, n'en demeure pas moins, vu le contexte, reliée à la souffrance universelle, évoquant notamment les conditions de détention dans les camps de concentration, le retour des survivants, moribonds, la disparition de tant d'autres, des millions.

Ayant déjà pu apprécié 2 autres romans de Mme Nohant, je dois reconnaître que celui-ci, comme un mets sublimé par un chef étoilé, est une petite merveille ! Une telle excellence, omniprésente, tant dans la forme que dans le fond, mérite bien un 5 étoiles !

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Voilà un livre comme je les aime !
« Légende d'un dormeur éveillé » c'est un voyage dans la première partie du 20ème siècle. J'ai choisi la version audio de ce livre et j'ai pris grand plaisir à écouter cette biographie romancée de Robert Desnos écrite par Gaëlle Nohant.
Le très beau titre évoque bien le poète car le dormeur éveillé c'est le terme utilisé par André Breton à l'occasion du film hommage tournée en 1958 sur Robert Desnos.
Il faut dire que le surréalisme fait partie de son histoire et même s'il s'est fâché avec André Breton il a gardé une franche amitié avec un grand nombre de surréalistes comme Jacques Prévert et Paul Eluard.
Il faut dire que Desnos ne cessera pas d'innover en inventant de nouvelles formes de création tout au long de sa vie. Au début de la TSF il va diriger les pièces radiophoniques sur Fantômas dites par Antonin Artaud, écrire une complainte avec une musique de Kurt Weill, exercer le métier de critique mais son désir le plus cher, intraitable, est celui d'être poète.
Et ses proches l'encourageront toujours, conscients de son génie : Man Ray et Kiki de Montparnasse, la chanteuse Yvonne Georges son premier amour rencontrée au boeuf sur le toit, Henri Jeanson, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, et sa plus grande passion Youki.
Mais la montée du nazisme n'échappe pas à ces artistes lucides, dès les années 30 et la guerre d'Espagne. Desnos trouvera un frère en Garcia Lorca qu'il a rencontré grâce à Pablo Neruda. Sa mort le touchera profondément.
Fou de liberté et haïssant la guerre, il mènera dans le Paris de l'occupation une double vie de poète résistant et de journaliste exposé à la censure hitlérienne. Impliqué dans le réseau Agir il sera déporté en 1944 et je ne peux pas m'empêcher de penser aux vers d'Aragon « Je pense à toi Desnos, qui partit de Compiègne… ».
J'ai été émue d'autant plus que la dernière partie est celle du journal de Yuki qui raconte tout ce qu'elle sait sur sa déportation et sa mort, celle d'un poète inoubliable qui a écrit des poèmes pour les enfants pendant la guerre comme « La fourmi de 18 mètres » et qui aida ses amis déportés avec lui en leur lisant les lignes de la main pour leur donner un avenir... J'en suis encore bouleversée.


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Jalonné des vers de Desnos, ce livre est tout à la fois une biographie et un roman, où nous suivons le poète entre les années 20 et la fin de la guerre, pas à pas, au gré de sa vie agitée mais toujours dominée par l ‘écriture et par l'amour. Malgré l'ambition du projet, Gaëlle Nohant réussit parfaitement à nous immerger dans l'univers de Desnos : elle nous plonge dans son quotidien, elle nous berce de ses vers, mais surtout elle manie elle-même la langue avec beaucoup de justesse, de délicatesse et de poésie. Impossible de faire la différence entre la vie réelle du poète et sa vie romancée, tant les évènements sont racontés avec fluidité, et nous rencontrons comme des amis de toujours les personnages qui peuplaient sa vie de tous les jours : Aragon, Breton, Eluard, Foujita, Picasso, Neruda, Garcia Lorca. Nous suivons les péripéties de ces artistes fauchés, ou tout justes célèbres, dans un Paris qui ressemble à un village que tous connaissent par coeur et, entremêlés à leurs destins, celui de la France qui s'apprête à vivre la Seconde Guerre mondiale, puis l'Occupation, et la dernière partie, consacrée à la déportation de Desnos, nous est en grande partie contée par le journal de Youki, son grand amour. Si j'ai été grandement émue par ces dernières pages pour des raisons personnelles, je l'ai été aussi pour le message sans cesse renouvelé de Desnos, au travers de son attitude tout au long de sa lutte de résistant puis de sa déportation : « plutôt dupe que salaud » et son parallèle « en définitive, ce n'est pas la poésie qui doit être libre, c'est le poète ».
Ce roman est une réussite, tant il réalise avec harmonie et subtilité le lien entre fiction et réalité pour évoquer un homme qui a écrit : « Pour le reste je trouve un abri dans la poésie. Elle est vraiment le cheval qui court au-dessus des montagnes ».

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Vibrant hommage à Robert Desnos, poète engagé et résistant français. A la liberté de penser et d'aimer.

« La poésie, le théâtre, la peinture et la musique peuvent triompher de la peur et de la haine, créer des ponts entre les hommes ».

Robert Desnos, poète surréaliste, nous est raconté dans cette poignante biographie romancée.

Lire « Légende d'un dormeur éveillé » c'est entrer dans la monde de Robert Desnos, avant-gardiste, sa vie riche d'évènements, effervescente et aux mille facettes, journaliste, poète, résistant ; c'est plonger dans le milieu artistique du Paris des années folles à l'Occupation.
Partir à la découverte des artistes et de leurs muses, doux et fervents rêveurs, idéalistes, amoureux, peintres, poètes, musiciens, photographes ; partager leurs déambulations dans le milieu des surréalistes, de virées nocturnes en terrasses parisiennes à La Coupole, aux Deux Magots…

Un roman où l'on croise André Breton, Jean-Louis Barrault, Eluard, Aragon, Prévert, CocteauNeruda et Garcia Lorca, et puis Youki, muse et grand amour De Robert.

« […] la poésie est éphémère comme la vie, elle passe et traverse ceux qui savent la percevoir ».

liberté, liberté tant chérie des surréalistes, dans un Paris de fêtes et d'extravagance fougueuse, de folie et de gaieté, avant que le spectre de la Seconde Guerre mondiale ne se rapproche, que le ciel ne Paris ne s'assombrisse avec le Régime de Vichy, et l'envahisseur nazi…
La menace explose et la vie parisienne change d'allure. Une autre nuit que celle surréaliste s'empare alors de ce monde et Robert Desnos, journaliste et poète, poursuivra son engagement et ses idéaux, fera partie de ceux entrés dans la Résistance au péril de sa vie.
*
A la lecture de ce roman, j'ai ressenti toute l'admiration de l'autrice pour le poète ; l'atmosphère, flamboyante, lumineusement restituée et la dernière partie, déchirante, très forte émotionnellement.

J'ai aimé m'imprégner de cette ambiance parisienne, artistique, me balader Rive Gauche, l'esprit bohème ;
Lire cette urgence de vivre vertigineuse chez ces personnages, leur enthousiasme, leurs idéaux et leurs désillusions aussi, et surtout le courage et l'espoir ;
Découvrir la vie de Robert Desnos, romancée et racontée par Gaëlle Nohant, plume que je continue d'apprécier, fut enrichissant.
C'est fourni en références et sources littéraires, et les citations et extraits des oeuvres de Robert Desnos parsèment tout le roman.
*
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Un très beau livre. Une biographie très riche autant en détails qu'en émotions. Un roman très bien construit qui nous accroche et ne nous lâche pas. Et surtout un bel hommage qui m'a fait découvrir le poète et journaliste Robert Desnos, un homme entier et admirable.
J'ai lu ce livre très lentement, savourant sa lecture au fil des jours et je l'ai terminé avec regret. Il est dense, l'auteure s'est énormément documentée pour nous donner tous ces détails et à romancé le récit de façon à nous offrir un récit clair et très intéressante, mais aussi je suppose à remplir les espaces où la documentation manquait.
L'histoire de Desnos est magnifique, un homme engagé et sans compromis. Un talent à l'état pur qui avait une ligne conductrice et une étoile qui le guidaient.
Et que dire de tous ces personnages qui l'entouraient ou qui le croissaient ? J'ai cotoyé avec ce livre des grands noms, certains de mes idoles, dans leur quotidien : Picasso, Neruda, García Lorca, Eluard, etc. J'ai rencontré les surréalistes et leur révolution. Et j'ai vécu à côté de Desnos tous ces personnages typiques de ces années folles comme sa compagne Youki.
Enfin l'histoire se situe d'abord entre les deux guerres avec une première partie dans ces années d'insouciance qui nous emmène petit à petit à travers la grande crise et la montée du fascisme vers la deuxième guerre mondiale. Chaque étape est décrite avec minutie en arrière plan de l'histoire de Desnos. Et je dois dire que c'est très fidèle et captivant.

En somme un livre magnifique et bouleversant.
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Livre lu dans le cadre du Prix Elle des lycéennes 2018.

Légende d'un dormeur éveillé relate la vie de Robert Desnos, le poète, l'amoureux, le résistant… J'appréhendais au départ un roman froid et impersonnel, une simple biographie sans profondeur mais remplie de détails superficiels ; je me trompais complètement. Gaëlle Nohant réinvente totalement la vie de Desnos ; à travers sa plume, le poète renaît et revit sous nos yeux, non pas comme un héros, mais comme un homme. L'auteure a dans ce livre exécuté un travail colossal : elle s'est renseignée avec une grande précision, parcourant d'innombrables oeuvres qui retracent la vie de Desnos, ou bien de ses proches, pour mêler la fiction au réel et en faire quelque chose de vrai, le plus proche de la réalité possible, tout en restant marqué par son propre point de vue. Comme elle le dit, ce Robert Desnos est « le sien ». J'ai trouvé ce roman très chaleureux et très vivant, il m'a beaucoup touchée. C'est brillant, émouvant. En refermant le livre, j'ai eu l'impression d'avoir rencontré, connu, aimé et perdu un homme en quelques instants. Repose en paix, Robert Desnos...
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« Il n'y aura pas de connaissance véritable de Desnos tant qu'on n'en aura pas établi la légende. (il est bien entendu, en ce qui le concerne, que tout ce qui est légendaire est vrai) » Raymond Queneau, Revue Simoun

Un mille-feuille. Je ne vois pas meilleure image que ce grand classique de la pâtisserie française pour décrire ce délicieux roman, si riche et si magnifiquement construit, offrant des couches successives de lecture pour nous régaler.
La couche de base est celle consacrée à Robert Desnos. Par la magie de sa plume, Gaëlle Nohant va nous faire découvrir la vie de ce poète et nous prouver que s'il est un peu oublié de nos jours, c'est bien à tort. le récit commence en 1928 au moment où Desnos revient en France, après avoir assisté à La Havane au Congrès de la presse latine. Dans ses bagages, il ramène un passager clandestin, Alejo Carpentier. Grâce à son nouvel ami, il va non seulement réussir à fuir le régime du dictateur Machado, mais trouver à Paris un refuge, un emploi et une communauté d'artistes en pleine effervescence. Les compositeurs travaillent avec les peintres, les écrivains avec les cinéastes, les photographes avec les musiciens. Sans oublier leurs muses, modèles, épouses, inspiratrices. La fièvre créatrice s'empare de chacun d'eux, l'émulation est permanente, les rendez-vous presque quotidiens…
« Tandis qu'il marche vers l'atelier de Man Ray, Robert repense à la soirée d'adieux que Man et Kiki ont donnée pour lui avant son départ pour Cuba. Comme elle lui semble loin! Yvonne était la, ils ont bu des vins délicieux, son amour riait, Kiki a chanté et il a récité des vers de Victor Hugo. Oui c'est ça, il s'en rappelle maintenant, parce que Kiki a fini par lui réclamer gentiment: « du Desnos, du Desnos! » Alors il a sorti une feuille froissée de sa poche, dépliant le récit en forme de poème qu'il avait écrit à une table du Dôme. En lisant, il les sentait suspendus à sa voix, il entendait la densité du silence de Man Ray, son excitation. Quand il a terminé, le photographe lui a dit avec son accent inimitable:
– Robert, ton poème c'est un film, tu sais? just the script I was looking for. Nothing to change.
Se levant pour finir son verre, d'une démarche que l'ivresse rendait chancelante, l'Américain a demandé à Robert s'il l'autorisait à mettre ses mors en images. Kiki applaudissait, ravie :
– Quelle idée merveilleuse! Je veux participer, Man. Laisse-moi jouer la femme fatale.
Man a hoché la tête en souriant, et Yvonne a souligné qu'avec Kiki la brune, il fallait un blond, pourquoi pas André de la Rivière ? Et pour jouer l'intrus qui enlève Kiki au héros, qui mieux que Robert lui-même ?
¬– On va tourner la dernière scène après Cuba, Bob, a réfléchi Man Ray. Better this way. Je promets, le film est prêt quand tu reviens.
Ce projet euphorise le poète. Depuis toujours, les écrans de cinéma sont le prolongement de ses rêves. »
De cette manière, on voit L'Étoile de mer naître et le rôle moteur qu'y joue la passion amoureuse.
Grâce à un travail documentaire exceptionnel, les femmes qui ont traversé sa vie son ici incarnées, à commencer par Yvonne George pour laquelle il brûle d'une passion d'autant plus intense qu'elle n'est que fantasmée et que la chanteuse et comédienne belge sera emportée dans la mort dès 1930. L'ironie du hasard veut que ce soit lors de son ultime gala qu'il rencontre Foujita et son épouse Lucie Badoud, que le peintre japonais appelle Youki. Desnos s'éprend presque instantanément d'elle. Commence alors une sorte de ballet amoureux à trois avant que Foujita ne regagne définitivement le Japon et que Youki n'emménage chez Robert Desnos, ne devienne sa femme et ne l'accompagne jusqu'à ce moment tragique où il partira pour Auschwitz. « Quand il eut passé le pont, les Fantômes vinrent à sa rencontre. »
On n'oubliera pas non plus la courte apparition de la chanteuse de la Nouvelle-Orléans, Bessie de Saussure, qui séduira aussi le poète sensible aux belles voix.

Mais revenons à notre mille-feuille. La seconde couche, tout aussi riche et intense nous plonge au coeur de la création artistique avec une impressionnante liste d'artistes qui se côtoient, s'aiment avant de se détester cordialement, mais sentent combien ils sont complémentaires. de Montmartre on passe à Montparnasse et, nonobstant quelques excès, on essaie sans cesse d'explorer de nouveaux domaines. Ainsi « Robert n‘entend pas limiter sa poésie à un seul support. Pour lui, l'écriture est ce territoire mouvant qui doit se réinventer sans cesse, demeurer une insurrection permanente, une fontaine de lave, des corps joints dans la danse ou l'amour, une voix qui descelle les pierres tombales et proclame que la mort n'existe pas, une expérience sensorielle. » Les surréalistes sont alors au faîte de leur carrière. Un groupe qu'André Breton entend régenter, quitte à attaquer tous ceux qui n'entendent pas suivre le dogme qu'il a édicté. Pour l'auteur de Nadja, Robert « a renié le surréalisme, il s'est vendu à la presse bourgeoise, il a démenti les espoirs placés en lui et stagne désormais dans sa poésie rétrograde et ses alexandrins boiteux, par faiblesse de caractère et auto-complaisance. Pour faire bon poids, André a crû bon d'ajouter une anecdote pleine de sel qui dépeint Robert comme le poivrot de service. Et puis il y a cette phrase si blessante : « Depuis lors, Desnos, grandement desservi dans ce domaine par les puissances mêmes qui l'avaient quelque temps soulevé et dont il paraît ignorer encore qu'elles étaient des puissances de ténèbres, s'avisa malheureusement d'agir sur le plan réel où il n'était qu'un homme plus seul et plus pauvre qu'un autre, comme ceux qui ont vu, je dis : vu, ce que les autres craignent de voir et qui, plutôt qu'à vivre ce qui est, sont condamnés à vivre ce qui “fut” et ce qui “sera”. »
Robert sort en claquant la porte. Marcher, c'est la seule chose à faire quand il n'est que rage. Marcher, tandis que son esprit martèle au rythme de ses pas les mots auxquels plus tard il lâchera la bride. Sa colère est un miroir traversé d'un poing sanglant qui l'étoile en milliers d'éclats meurtriers. Il y a des mois qu'il s'est éloigné du groupe surréaliste, et il sait que la survie du clan repose sur le rejet des individus qui cessent de croire en lui. Mais il n'a pas mérité un tel rejet.
Dans quelques heures, comme presque tous les soirs, il ira retrouver Prévert, Bataille, Masson, Queneau et les autres excommuniés aux Deux Magots. Ils décideront quelle forme donner à cette fureur, comment la pétrifier sous forme d'arme blanche, d'arme de poing, de poing serré. » Là encore, on aimerait raconter tous les épisodes qui vont suivre, les affinités électives, le rôle de la presse et des revues, mais aussi de la radio qui permet à Robert Desnos d'offrir aux Français quelques grands moments de poésie et quelques souvenirs mémorables tels que cette journée Fantômas. Si le bouillonnement intellectuel est quelquefois noyé dans l'alcool et les paradis artificiels, c'est que constamment on cherche les limites et comment les franchir. On aimerait aussi retracer les samedis dans le nouvel appartement qui ont été érigés en rituel par Robert et Youki et qui accueillent semaine après semaine les amis, les frères Prévert, les Fraenkel, les Jeanson et Alejo et les amis des amis, on aimerait aussi revenir sur la création des Artistes Révolutionnaires, sur les belles rencontres comme celle avec Garcia Lorca, par exemple. C'est peut-être à ce moment que Robert pressent sans doute que les poètes doivent s'insurger face aux périls qui montent, s'engager dans le combat politique.

La troisième couche du mille-feuille, celle qui nous dépeint l'histoire du monde, la montée des périls et cette guerre qui arrive peut à priori vous sembler indigeste. Rassurez-vous, il n'en est rien. Ce sont mêmes les plus belles pages du livre. Car nous sommes alors confrontés au combat essentiel, celui où l'on peut – on doit? – mourir pour des idées, celui où les sentiments sont transcendés par l'urgence, celui où la colère face à l'injustice vous remue corps et âme. « La poésie, le théâtre, la peinture et la musique peuvent triompher de la peur et de la haine, créer des ponts entre les hommes. Même si le temps presse, il est encore temps.
Insiste, persiste, essaye encore.
Tu la dompteras cette bête aveugle qui se pelotonne. »
Depuis 1933, on suit la montée du nazisme avec l'édiction des lois qui déchoit les juifs de leur nationalité et de leurs droits civiques, la montée du fascisme et l'envahissement de l'Éthiopie par Mussolini, la Guerre d'Espagne et ce combat inégal entre une armée organisée et des partisans aussi désarmés que novices, la montée de l'extrême-droite en France qui ne va pas hésiter à s'en prendre physiquement à Léon Blum après l'avoir copieusement insulté et va refermer la parenthèse du Front populaire et préparer le terrain aux troupes allemandes.
L'évidence s'impose alors très vite à Desnos: il faut résister. Après sa mobilisation, il part au front, est fait prisonnier puis libéré. Une fois encore, il entend mettre ses mots au service des valeurs universelles dans les colonnes d'Aujourd'hui fondé par Henri Jeanson. Même après la mise sous tutelle par les autorités allemandes, il essaiera de conserver une liberté de parole. Mais l'ennemi aura le dernier mot. Sauf que l'ennemi est à chercher dans les rangs des aigris, des jaloux, des revanchards et non dans ceux des envahisseurs allemands. Une histoire française qui fait tant de mal. Dramatique, terrible, bouleversante. Dont le journal de Youki retrace les ultimes épisodes…
« de toi, je n'ai rien oublié. Ce geste, quand tu te penches et enlèves tes lunettes pour m'embrasser. L'odeur de tes cheveux, le goût de ta salive, la brûlure de tes mains. le désir qui te change imperceptiblement, donnant un éclat fauve à tes prunelles. La ferveur. Tes yeux traversés d'orages et de tendresse après la jouissance. le poids de ton corps sur le mien.
Pardonne-moi de m'arrêter là, c'est trop douloureux. »

Entre les couches de pâte feuilletée, notre mille-feuille tient grâce à la crème pâtissière, à l'écriture de Gaëlle Nohant. Au moins depuis La part des flammes, on sait avec quel talent elle parvient à dépeindre une atmosphère, à camper des personnages, à entraîner le lecteur dans une histoire. En suivant Robert Desnos, elle devient magicienne, parvient à nous hypnotiser et à nous transformer en dormeurs éveillés. Je prends le pari qu'en refermant cet extraordinaire roman vous serez tous devenus des inconditionnels de Robert Desnos et que vous aurez envie de (re)découvrir son oeuvre dont les plus beaux vers parsèment le livre. Peut-être même voudrez-vous adhérer à l'association des Amis de Robert Desnos? Mais vous serez aussi devenus des inconditionnels de Gaëlle Nohant et irez courir chez votre libraire acheter ces deux autres romans disponibles en livre de poche.
Lien : https://collectiondelivres.w..
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