Difficile aujourd'hui de concevoir pourquoi un ouvrage comme «
Les filles de la campagne » a pu être perçu, au moment de sa parution, comme aussi sulfureux et susciter une telle levée de boucliers. L'Église, alors toute puissante, ne supportant pas d'être présentée sous un jour peu reluisant ? Sans doute en partie. Mais, au-delà, c'est sans doute la volonté délibérée de la narratrice et de son amie de s'afficher comme totalement libres qui aura le plus scandalisé.
Liberté d'ailleurs illusoire. Ayant perdu sa mère, « nantie » d'un père alcoolique et violent, vivant dans des conditions extrêmement précaires, Cathleen, peut envisager un avenir beaucoup plus chatoyant quand elle se voit attribuer une bourse d'études. Malheureusement, l'institution religieuse qui l'accueille, en compagnie de son amie Baba, est une véritable prison, rigide et étouffante, dont elles se feront finalement délibérément renvoyer. Et, quand elle se retrouve à Dublin, c'est pour y vivre dans un logement misérable et y travailler comme vendeuse dans une épicerie. C'est bien loin de ce dont elle avait rêvé.
Le seul véritable rayon de soleil dans son existence, au cours de toutes ces années, c'est ce « gentleman » qui est riche, qui est marié, qui s'est épris d'elle (qui le dit en tout cas) et sur lequel elle fonde bien des espoirs. Espoirs amoureux. Espoirs d'une vie meilleure. Espoirs qui s'avéreront finalement vains. Il aurait pu lui donner accès à un « autre monde ». Ce ne sera pas le cas.
Milieu social et aisance financière ont, à l'évidence, leur importance dans ce texte. le père de Baba est vétérinaire. Sans doute est-ce en partie pour cette raison qu'elle peut se permettre de traiter son « amie » Cathleen, d'un milieu moins favorisé, avec désinvolture et arrogance. Comme si ça allait de soi. Et c'est sans doute aussi pour cette même raison que Cathleen accepte sans broncher les différentes humiliations que Baba lui fait subir. C'est Baba qui prend les décisions. C'est elle qui mène le jeu. Cathleen ne fait que suivre. Et à leurs yeux, à l'une comme à l'autre, cela va de soi. Baba a, à l'évidence, une personnalité dominatrice, Cathleen une personnalité soumise. La différence de statut social ne fait qu'exacerber entre elles ces traits de caractère initiaux.
Il y a, paradoxalement, beaucoup d'humour dans ce texte, mais un humour souvent larvé, voilé, dont la fonction semble être essentiellement de prendre de la distance avec ce qui est raconté. Probablement parce qu'il s'agit d'un récit partiellement, et souvent douloureusement, autobiographique.
«
Les filles de la campagne » est le premier tome d'une série de trois. J'avoue être extrêmement curieux de lire les suivants.