La galaxie cannibale s'ouvre sur Joseph Brill, plein d'autosatisfaction médiocre. Certes, il est intelligent, maitrise plusieurs langues, a fondé sa propre école pour juifs sur les bords d'un lac du Midwest américain. Pourtant, il était destiné à accomplir de grandes choses. Jeune, à Paris, il a survécu à la rafle du Vel d'Hiv et à la Shoah. Ça aurait pu tourner au mélodramatique mais c'était mal connaître l'autrice
Cynthia Ozick. Que quelques pages, elle va à l'essentiel et continue son histoire. Brill lisait de grands auteurs, s'intéressait à l'astronomie, visait les étoiles. Maintenant, bien des décennies plus tard, il espère que ses pupilles accompliront de grandes choses à sa place – et se souviendront de lui une fois là haut. Toutefois, l'admission de la jeune Beulah Lilt vient le troubler.
Cette fillette ne se démarque pas du tout : elle ne participe pas en classe, ne s'intègre pas à un cercle d'amies. La mère ne semble pas s'en inquiéter et cela trouble encore plus le pauvre Brill qui insiste pour la rencontrer. Leurs échanges débordent du cadre scolaire, Hester Lilt étant philosophe, ils parlent d'histoire, de religion, même de métaphysique. D'ailleurs, le titre,
La galaxie cannibale, vient d'un de ces échanges, Lilt s'en servant pour comparer le fonctionnement de l'univers au comportement des individus. Les années passent mais, pour Brill, le temps commence à manquer. Malgré des inclinaisons ou plutôt des affinités intellectuelles avec la philosophe, il se tourne vers la jeune, jolie et fertile assistante-réceptionniste. La réplique de Lilt est foudroyante. « Ce n'est pas une femme que vous voulez. Ce n'est pas un enfant que vous voulez. C'est vous-même. Votre propre continuation. Votre propre rédemption. Vous vous mettez au centre. Vous pensez à la mort. Vous voulez être immortel. » (p. 169)
Et, en effet, l'école
Edmond-Fleg n'est plus assez, il lui faut un fils qui saura monter vers les étoiles. Et ce fils semble renfermer les promesses tant désirées… pour le moment. Même une lettre de son successeur, annonçant mille changements, en d'autres mots tout le legs de Joseph Brill ne l'émoit pas autant qu'on aurait pu le croire. C'est plutôt l'ascension de Beulah Lilt, l'inconsidérée, qui le tourmente sans fin. Comment une fille aussi terne a-t-elle pu devenir une artiste peintre particulièrement articulée ? Comment peut-elle passer sous silence toute l'éducation qu'il lui a prodiguée ? C'est un vol ! Hester savait que sa fille accomplirait de grandes choses et l'a tu.
L'histoire juive, bien qu'elle contienne quelques grands héros, est surtout grouillante d'hommes humbles et résilients (comme Job) ou bien de comiques pratiquant l'autodérision (comme
Woody Allen). Dans toute son oeuvre, l'autrice américaine
Cynthia Ozick penche vers ses derniers. Et c'est marquant dès ses premiers romans,
La galaxie cannibale étant son deuxième à être publié. Ses personnages, à commencer par Joseph Brill, sont à la fois très réalistes et très caricaturaux. En effet, bien qu'il soit attachant avec ses espoirs déçus, ses manies dépassées et ses indécisions, surtout ses choix, il peut paraître ridicule. Sa vie pathétique se transforme en parodie et on peut en dire autant des autres personnages. Toutefois, même dans la comédie on peut tirer un enseignement…