Comment rester dans la sobriété et la retenue quand il s'agit, pour une mère, d'évoquer ce "spazio bianco"- le titre italien du récit- cet espace blanc, entre vie et mort , entre venue au monde et accès à la vie, ce temps menacé, interminable, ce temps suspendu où son enfant prématuré est placé en soins intensifs dans un service de néonatalité?
Un 'spazio bianco' où chaque progrès est une mise en danger, chaque pas vers l'autonomie digestive, respiratoire, cardiaque , une épreuve de vérité ?
La narratrice du "Temps suspendu" évite soigneusement les pièges du mélo, de l'auto- apitoiement, de la dramatisation.
Son récit, même, ne manque ni de dureté ni de colère. Dans cette parenthèse éprouvante Maria, la narratrice, sait se ménager des pauses où faire exister, avec un volontarisme appuyé, sa vie de femme, de formatrice engagée socialement, dessinant ainsi les contours d'un caractère bien trempé- elle n 'est pas fille d'ouvrier communiste, élevée dans un quartier populaire de Naples, diplômée à la force du poignet , pour des prunes.
Pas d'émotion à fleur de peau, pas d'effusions. Une ironie parfois mordante, des échanges secs comme des reprises de volée, avec les médecins. Chacun reste dans son rôle: les bébés luttent, les mères attendent, les médecins soignent. Et c'est ce parti-pris de retenue, cette factualité qui m'a plu..et qui a dû aussi en désarçonner plus d'une.
Valeria Parrella m'a été "recommandée"si j'ose dire par
Elena Ferrante, dans son "Frantumaglia". C'est intéressant de découvrir des auteurs par filiations et rebonds: après
Simona Vinci, après
Michela Murgia, voici donc
Parrella, napolitaine, fille du peuple, intellectuelle , comme Ferrante, et féministe " comme elle, "de cette façon subtile qui ne se déclare jamais" Et elle ajoute, par la bouche de Maria : "J'avais progressé à ma façon parmi les hommes, pour ne me priver de rien. Mais je sentais qu'on avait toujours tout faux: en se mariant et en restant seul, en se fiançant et en aimant, en tombant amoureux et en s'épaulant , en se défiant, en gagnant et en perdant, en protégeant et en cherchant protection. Et que jamais je ne serais disposée à défendre rien de tout cela."
Le temps suspendu n'est pas le récit d'une souffrance de femme, c'est celui de la souffrance d'une femme comme celle-là : un récit pudique, lucide, parfois plein de dérision. Jamais convenu, jamais démonstratif.
Et qui cueille notre empathie à l'improviste. Sans la solliciter jamais.