Je serais tentée de comparer cette lecture à une belle sinusoïde, avec ses creux d'ennuis et ses bosses d'intérêts fiévreux.
Les creux s'expliqueraient par des lenteurs, avec parfois le sentiment de pages à combler. Des détails sans aucune importance, des phrases sur des gestes insignifiants, ternissent de nombreux passages et soulèvent donc une pointe d'exaspération.
Heureusement, les bosses, peu présentes dans les 150 premières pages, se rapprochent sensiblement par la suite pour se bousculer dans le dernier quart. J'ai donc terminé ce beau volume fébrilement, sans renier ses nombreuses qualités.
Dans un petit labo de l'entreprise pharmaceutique Vogel, Marina apprend le décès de son collègue Anders parti trois mois plus tôt en Amazonie. Une lettre annonce maladroitement la perte d'Anders comme un contretemps face à la poursuite d'un travail, au même titre que des pluies diluviennes. Cette missive est, à l'image de sa rédactrice, le docteur Annick Swenson, sans aucune empathie.
Le directeur de Vogel, accessoirement amant de Marina, lui demande d'aller au Brésil, sur les traces d'Anders mais surtout à la recherche de ce docteur Swenson dont il finance les recherches pour mettre au point un médicament qui rendrait les femmes fertiles jusqu'à un âge plus avancé.
Mais c'est surtout à la demande de la femme de son collègue, qui ne peut accepter cette perte brutale et inexpliquée, que Marina s'envole pour Manaus. L'arrivée dans l'atmosphère gorgée d'humidité et l'assaut des insectes lui donnent un avant-goût de la jungle. Mais la rencontre avec le docteur Swenson se fera désirer un bon moment car, pour ne pas être dérangée intempestivement dans son travail, cette dernière a supprimé tous moyens de communication et garde secret le lieu où elle mène ses recherches sur les Lakashis, plus spécialement sur les femmes amazoniennes de cette tribu qui donnent naissance jusqu'à la fin de leur vie.
Il faut que je reste honnête et que je précise que dans les creux d'ennuis se détachent des petites précisions qui ont un intérêt certain dans la dénonciation de l'auteure. C'est le cas des cauchemars qui hantent Marina dès qu'elle prend son antipaludéen mais leurs redondances n'étaient pas indispensables.
En revanche, je suis en admiration sur la capacité de l'auteure à délivrer la sécheresse des propos du docteur Swenson, son absence de compassion et de bienveillance. Elle fait également ressortir la nervosité de Marina face à elle, son regret lourd à porter, celui d'avoir interrompu sa spécialité en obstétrique alors qu'elle était son élève. L'évolution de la relation de ces deux femmes est remarquablement mise en scène. C'est un très bel aspect de cette lecture, avec également une petite pointe d'attendrissement envers Easter, ce petit garçon sourd aux multiples égards.
Ce roman dénonce l'intérêt uniquement mercantile des entreprises pharmaceutiques qui privilégient les médicaments de confort, bien plus juteux, à ceux de survie de populations pauvres.
Il nous emmène dans les multiples affluents du Rio Negro, à la découverte de cette tribu et de ses enjeux.
Il ne m'a pas du tout donné envie de me baigner dans la rivière où l'eau est épaisse et opaque !
Je lui laisse également gentiment ses insectes qui dansent, ses serpents qui étouffent, ses fourmis invasives. Je ne regrette pas ma persévérance à le terminer car il m'a finalement offert un voyage scientifique et botanique fort intéressant.
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Après la mort étrange d'Anders Eckman dans la forêt amazonienne, Marina Singh, sa collègue pharmacologue est envoyée à Manaus par Mr Fox, le directeur de l'entreprise pour y continuer les recherches sur les femmes Lakashis qui développent des grossesses jusqu'à un âge très avancé, une particularité qui aiderait les recherches sur la fécondité, menées par le Dr Swenson. Cette scientifique de grand renom mais énigmatique, qui n'a pas communiqué sur l'avancée des recherches depuis plusieurs mois, n'est pas une inconnue pour Marina, c'était son professeur lors de ses études en gynécologie obstétrique. Une autre motivation anime Marina; proche de la veuve d'Anders, elle s'est engagée à faire la lumière sur ce décès suspect. Dès son arrivée, la jeune pharmacologue est bloquée quelques mois à Manaus par les Bovender, un jeune couple qui semble faire barrage à une éventuelle confrontation avec l'étrange Dr Swenson. Cette dernière, déifiée, finit par se manifester et accepte de mauvais gré de partager ses recherches... Désormais incorporée à une équipe disparate, Marina va découvrir une ambiance proche de celle d'une secte avec à sa tête la toujours omnisciente Dr Swenson...Dépourvue de tout sentimentalisme, acquise à la science, froide et lucide, elle fait preuve néanmoins d'une connaissance très approfondie des tribus voisines et, loin d'être politiquement correcte, prend leur défense bec et ongles...
Anatomie de la stupeur est un roman d'anticipation et un thriller insidieux, vénéneux, mêlant éthique scientifique, choix de rentabilité, protection des minorités et recherche sur la fécondité, dont l'intrigue dénonce les intérêts mercantiles des grandes industries pharmaceutiques en recherche de profits au détriment des populations autochtones. le rythme est lent, comme le cours du fleuve, l'environnement étouffant et les relations dans l'équipe restent mystérieuses, l'objet des études sur la fécondité, semblant masquer des recherches d'un autre type.
Je découvre avec plaisir Ann Patchett avec ce roman assez dense, au rythme ralenti par quelques digressions au début du roman, qui ont toutes leurs justifications par la suite mais qui m'ont quelque peu désarçonnées...Ce bémol mis à part, Anatomie de la stupeur est très riche d'informations mettant en lumière de façon intelligente les rapports de force entre recherche et retour sur investissement et ce, dans l'environnement fragilisé de la forêt amazonienne.
Une lecture qui fait réfléchir.
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Si vous n'avez pas peur des moustiques, de la saison humide au Brésil où pluie et chaleur s'alternent, des insectes en tout genre, ce roman est fait pour vous !
Marina Singh part sur les traces de son ancien mentor au Brésil.
Un roman qui ne pouvait que m'attirer, en plus du titre et de la couverture de l'édition de poche, par son côté entreprise pharmaceutique car mon père était le pdg d'une de ces boîtes et que j'y ai bossé une année! Et l'alchimie fut au rendez-vous.
Anatomie de la Stupeur est un livre juste, profond sur les sentiments humains et réaliste sur l'ambiance moite et la jungle amazonienne.
Petite anecdote : ce roman m'a fait penser au fils aîné de ma belle mère qui a le mal de mer sur une planche de surf.
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Laissez vous tenter par ce voyage au Brésil en compagnie d'une poignée de médecins chercheurs un peu fous. Après une entrée un peu compliquée-pour moi- dans ce monde pharmaceutique, au Minnesota, je me suis laissée entraîner dans l' histoire étrange de ce médecin disparu, et finalement ai apprécié cette plongée dans la forêt amazonienne où pullulent mygales, serpents, fourmis et autres créatures sur lesquelles on redoute de poser le pied. Les personnages , en quête de vérité et de découvertes, ont su m'apprivoiser quand j'entrais dans leurs aventures à petits pas...
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Si la romancière américaine [...] se revendique du « véganisme », mouvement qui proscrit toute utilisation alimentaire et industrielle des animaux, son roman n’en est pas moins urticant et savoureux à la fois.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Cette Anatomie de la stupeur porte bien son nom : un roman parfaitement dépaysant qui promène de la froideur du Minnesota aux moiteurs et bruissements de la forêt amazonienne.
Lire la critique sur le site : Chro
Dans son sixième roman, Ann Patchett envoie une jeune chercheuse dans une tribu amazonienne. La confrontation avec un monde insoupçonné sera aussi confrontation avec ses propres limites.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
"Une fois, je me suis adossé à un arbre et une fourmi balle-de-fusil m'a piqué à travers la chemise, sur l'épaule. Vous la connaissez peut-être sous son nom scientifique, Paraponera ? Il enleva ses lunettes qui ne lui étaient plus d'aucune utilité sous la pluie et les rangea dans la poche de sa chemise. Il n'y en avait qu'une, de la taille d'un ongle de pouce, mais je suis resté cloué au lit pendant une semaine".
Le temps pressait. S'ils attendaient plus longtemps, les fils Eckman commenceraient à paniquer, un professeur les raccompagnerait dans l'école et leur demanderait d'attendre à l'intérieur. Ils s'imagineraient alors que leur mère est morte, ce à quoi les enfants pensaient en premier : à la perte de leur mère.
‘Vous aurez tout le temps que vous voulez, ne comprenez-vous pas ? C'est ce que les Lakashis nous offrent. Si je peux avoir un enfant à soixante-treize ans, pourquoi ne pourriez-vous pas alors en avoir un à quarante-trois ou quarante-cinq ? Je vais vous dire la vérité, Dr Singh, ce que j’ai découvert sur ces arbres n'a rien à voir avec ce que je pensais, rien à voir avec ce que votre entreprise pharmaceutique pense obtenir non plus. Il s'agit de quelque chose de bien plus grand, de bien plus ambitieux que tout ce qu'on avait pu espérer. C'est la grande leçon de science que le Dr Rapp a tirée en Amazonie : Ne pas se focaliser sur ce que nous cherchons pour ne pas rater ce que nous pourrions vraiment trouver.’ (p. 296)
Il y avait de la circulation sur le rio Negro, des chalands, des remorqueurs, des bateaux-taxis aux toits de chaume pourrissants dans lesquels des hirondelles de rivage s'étaient nichées, des pirogues contenant des familles entières (des sœurs et leurs bébés, des frères, des cousins, des grands-pères et des tantes, ombrelles à la main).
Il n'est pas facile d'avoir en confiance en soi dans la jungle, dit-elle. Certaines personnes arrivent à s'adapter avec le temps, mais d'autres n'y réussiront jamais. C'est tout simplement trop différent. On ne peut plus se rattacher à ce que l'on connaît déjà.
Bande annonce du film Bel Canto (2018), adaptation du roman d'Ann Patchett