De 1969 à 1975,
Georges Perec se lance dans un vaste chantier (comme il en a souvent l'idée et l'habitude) qui est de décrire un lieu dans Paris, lieu qui est important pour lui, soit qu'il y a vécu, soit qu'il y passe souvent ou qu'il l'a largement fréquenté.
le but est de décrire l'endroit de visu, comme ses « tentatives d'épuisement d'un lieu » et d'écrire une version « souvenir » à n'importe quel autre endroit. Pour ne pas être tenté d'aller voir ce qu'il a déjà écrit, Perec s'est proposé d'enfermer tout cela dans des enveloppes scellées.
Pour le lecteur, c'est assez étrange. Jamais on n'a lu pareil ouvrage (en tout cas à ce que j'en sais) et très vite l'idée d'enquête se met en place. On regarde le plan de Paris inclus dans la très belle édition de la collection « librairie du XXIe siècle » des éditions du Seuil. On peut aussi consulter le fameux « carré latin d'ordre 12 » oú alternent « réel » et « souvenir ». On se promène dans Paris, du nord au sud, d'est en ouest et on peut comparer les souvenirs. Il m'est même arrivé d'utiliser un moteur de recherche célèbre pour avoir une vue de certains
lieux de nos jours, à la recherche des indications que Perec a données il y a plus d'un demi-siècle. Forte a été -comme l'auteur l'a fait- de laisser tomber cette lecture en se disant « à quoi bon » ? Après tout ce sont les souvenirs personnels de Perec, des verres qu'il a bus ici et là avec tel ou tel, ses souvenirs d'enfance et ses amours contrariées. C'est le roman de sa vie. On touche l'homme tellement intimement qu'il en devient un personnage qui nous ressemble sous bien des aspects et le plus vrai étant cette paresse qui s'installe, ce chantier semble vite devenir un véritable pensum pour l'écrivain. Il prend du retard sur son programme, il a d'autres choses à faire, notamment prendre part à la réalisation d'un film sur «
un homme qui dort », si bien qu'il craque cinq ans avant l'échéance qui devait être 1981, l'année 1973 ayant été gommée de « l'agenda » sur le carré latin de type 12.
Voyage dans l'espace et le temps, comment Paris a-t-il évolué dans cette décennie des années soixante-dix ? Ce sont des immeubles grand standing qui remplacent les vieilles bâtisses haussmanniennes, des boutiques qui disparaissent, le porno qui s'installe, et au passage, on note le nom de chanteurs et comédiens de l'époque via les colonnes Morris dans l'oeil de l'auteur qui liste les numéros de rue pour dire ce qui s'y trouve, un cordonnier, une poissonnerie, une boucherie chevaline… Il sera même pris à parti par une bignolle zélée qui lui dit que c'est illégal, bientôt soutenue par le reste du quartier présent. Prendre des notes dans la rue peut être un métier dangereux et surtout on n'aime pas trop les écrivains.
Comme toujours avec Perec, on se fait avoir par son acte créatif. Comme on s'embarque. On abandonne. Et puis on reprend le livre. Les souvenirs s'épuisent, ne laissent plus qu'une petite trace, un mot ou deux, le réel les remplace parfois douloureusement.