L’asparagus
extrait 1
Plus divisément encore que chez le cèdre, admiré-je peut-être chez
l’asparagus cette façon de plafonner par chacun de ses hauts étages, de ne
présenter au salut de la lumière (ou mettons à l’atterrissage en douce des avions
de lumière) que le dos de ses mains à hauteur de lèvres suspendues; d’étendre
aussi largement ses générosités, ses largesses - c’est-à-dire non seulement
l’ombre qu’il procure, mais ses pluies : pluies fines, non seulement d’ombres
mais de graines... car chacune de ses branches est un long nuage effilé, un
large nuage profilé – comme ceux qui s’étirent à l’horizon sur les plaines aux
heures des crépuscules, crépuscules d’orient comme d’occident, lorsque
s’apaisent les vents. Ainsi s’immobilisent de longues rames de wagons violets
abandonnées par leurs locomotives quand celles-ci sont rentrées dans leurs
rotondes, leurs rosaces en verrières, qui s’empourprent et s’enfument :
vraiment la rosace des vents, bouquet de larges anémones vues à travers des
branches de cèdres.
Ainsi, les branches de l’asparagus offrent-elles à l’admiration la plus vaste
surface possible.... Bien plus, c’est recto verso.
Ce pourquoi tous les arbres ordinairement se contorsionnent, elles
l’obtiennent très calmement.
Ô palmes horizontalement divisées à l’extrême ! Ô toits pour le support des
plus nobles sentiments !
Merveilleusement arasés, ces hauts-tapis volants-sur-place, planants, ces
gazons maigres suspendus...
Strates en l’air... Ces tapis, ces tamis...
Flottilles de poissons plats à l’arrêt : soles, limandes, plies...
Flottilles de poissons squelettiques, fines charpentes faites des squelettes de
ce genre de poissons, immobiles...
L’asparagus
extrait 3
[…]
Mais l’asparagus, cèdre fin, étend là-dessous ses tapis, étend là-dessous ses
draps comme les draps sauveteurs des pompiers, pour y recevoir – et qu’ils ne
tombent ensuite que doucement à terre, qu’ils ne rejoignent que doucement la
terre – les corps des anges de la lumière, sautant hors de la maison incendiée,
du gratte-ciel, de la tour incendiés.
Ainsi l’asparagus étend-il ses tapis, ses tamis superposés, ses tapis étagés,
ses palmes protectrices...
Ces draps qui cachent la terre aux anges, leur cachent la mort, la brisure,
cachent et escamotent la douleur et la mort. En même temps qu’ils cachent à la
terre la chute, l’éblouissante chute des anges (rayons de soleil).
Cachent le sol aux anges, cachent les anges au sol ; à chacun épargnant la
blessure, par éblouissement ou brisure, et la mort.
Voilà donc sa protection sur deux faces, à double sens, recto verso.
*
Ceci à ajouter encore :
Gradation, élévation graduelle du geste de porter la main en visière sur les
yeux.
Étages en galetas... Étagères...
Effilés et puissants planeurs sédentaires. Planeurs étales et sédentaires.
Vol étagé de puissants planeurs étales et sédentaires...
L’asparagus
extrait 2
Voyons maintenant l’asparagus dans un bouquet.
Si peut-être, en effet, je le préfère au cèdre, c’est qu’il entre en composition
dans ces bouquets où roses, mimosas et tous autres branchages d’arbustes,
faisant preuve d’une grande énergie ascensionnelle en spirale et se couronnant
aux faîtes d’énormes, de sensationnelles, solennelles et organiques floralies, y
paraissent dès lors beaucoup plus merveilleux.
Oui, c’est l’asparagus, par le contraste de ses tranquilles horizontales
largesses, qui fait goûter au maximum la prodigieuse ressource hélicoïdale des
roses, la vaillance jusqu’au pavois en trompettes déchiquetées à bout de tige
par la violence de propos des œillets, la dispersion divinement fantaisiste de la
poussinière de soleils du mimosa...
Ô rivages du Pacifique, atolls où, dans les hauts volcans cristallins des
vases, s’élancent, parmi les bosquets de palmiers, les cocotiers !
Nouveau recueil
LE PRÉ
…Et, quittant tout portique et toutes colonnades,
Transportés tout à coup par une sorte d'enthousiasme paisible
En faveur d'une vérité, aujourd'hui, qui soit verte,
Nous nous trouvions bientôt alités de tout notre long sur
ce pré,
Dés longtemps préparé pour nous par la nature, — où
n'avoir plus égard qu'au ciel bleu.
L'oiseau qui le survole en sens inverse de l'écriture
Nous rappelle au concret, et sa contradiction,
Accentuant du pré la note différentielle
Quant à tels près ou prêt, et au prai de prairie,
Sonne brève et aiguë comme une déchirure
Dans le ciel trop serein des significations.
C'est qu'aussi bien, le lieu de la longue palabre
Peut devenir celui de la décision….
p.343
La Figue
Réponse à une enquête sur la poésie
Extrait 9
Bref ainsi en soit-il de ce texte
Dont j’avoue
M’être soucié, à peu près comme d’une figue
(Ce qui
On l’aura compris
N’est pas rien)
Et maintenant qu’il soit
Mais que ce soit
à vos yeux
un poème
à vos yeux un poème
ou que vous le recrachiez sur le bord de l’assiette
voilà certes, absolument compris
qui est égal
De cela, certes,
beaucoup moins.
(Les Fleurys, Juillet-Septembre 1958)
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