A la recherche du temps perdu - Intégrale, tome 4

Entre : "Longtemps, je me suis couché de bonne heure."

Première phrase de la narration, et :

" Aussi, si elle m'était laissée (la force) assez longtemps pour accomplir mon oeuvre, ne manquerais-je pas d'abord d'y décrire les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant une place si considérable, à côté de celle, si restreinte qui leur est réservée dans l'espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure puisqu'ils touchent simultanément, comme des géants plongés dans les années à des époques, vécues par eux si distantes, entre lesquelles tant de jours sont venus se placer - dans le Temps."

Dernière phrase de l'oeuvre, il se serait écoulé, affirme-t-on, 16 années (1906-1922), se superposant, en partie, à une publication en plusieurs tomes qui s'étire de 1913 à 1927.

Quoi de plus naturel, alors, qu'il m'ait fallu deux, voire trois ans, avec des coupures assez longues pour parvenir au sommet de cet Himalaya de la littérature française.

Himalaya ! J'ai prononcé le mot juste, utilisé l'image adéquate, à la manière de l'auteur dont la narration est si riche d'images, de métaphores...

C'est dire si l'on parvient au dernier mot de l'oeuvre, à force d'efforts, de sueur, en ahanant, en relisant une fois, deux fois, une phrase interminable, comme la dernière que je viens de citer. En effet, la phrase "proustienne" est, de façon exceptionnelle, courte comme la première, et fréquemment fort longue, comme la dernière.

Est-ce à conclure que l'effort d'escalade évince le plaisir que l'on éprouve à contempler le vaste, l'immense paysage qui s'offre à l'esprit, dans sa diversité et sa richesse ?

Assurément non ! J'ai parfois calé sur des descriptions ennuyeuses, été surpris par des développements "de concierge", admiré l'érudition artistique du narrateur, la profondeur psychologique de ses personnages souvent tourmentés par la jalousie, thème important de la Recherche, ainsi que sa réflexion que l'on peut qualifier de philosophique sur le Temps qui, hélas ! ne suspend jamais son vol.

Pour aller plus loin et comprendre encore davantage cette oeuvre, il faut aussi s'intéresser à la vie de M. Proust. A cet égard, il existe une merveilleuse biographie intitulée simplement "Proust" de Ghislain de Diesbach, couronnée d'ailleurs par l'Académie française, et qui permet de mieux cerner non seulement l'auteur, mais sa famille, les amis et connaissances qui lui ont servi de modèles, etc. Biographie réellement passionnante à lire... Pat

Le tome IV de l'édition Pléiade de la Recherche est constitué pour moitié du texte des deux derniers romans du cycle, et pour l'autre moitié d'Esquisses, de notes sur le texte et de variantes, qu'on aura garde de négliger, car elles sont aussi précieuses pour la lecture que dans les éditions De Balzac ou de Saint-Simon. "Albertine disparue" est la dernière étape de l'exil loin de soi et de sa vocation que subit le narrateur, avant "Le temps retrouvé", où il saisit enfin le sens de sa vie d'artiste et mesure combien peu de temps il lui reste pour mener à bien l'oeuvre qu'il porte en lui. "Le temps retrouvé" est à mon goût le plus beau de tous les romans de la Recherche, car on y revoit tous les personnages des autres volumes (ou bien le souvenir des morts est évoqué dans la lumière de la vérité) marqués par la vieillesse et la mort prochaine, dans une grandeur tragique que seul le romancier, par son art, sera capable de leur donner. D'autre part, on y trouve des pages immortelles sur l'art et sur la création, sur le style et sur la littérature, qui ne ralentissent en rien l'action (ou la prise de conscience) mais l'éclairent et lui donnent toute sa force. La Recherche se termine ainsi sur ce chef-d'oeuvre.

Réussir une gageure,
donner avec moins de mots que Marcel n'en a utilisés,
l'envie de lire ce qu'il a écrit
J'ai mis très longtemps à plonger
et puis
ce fut...

Et toujours je reprends ces splendides passages du temps retrouvé
les éffleurements de Charlus,
le pastiche du journal des frères Goncourt,
aussi ces paroles d'une admirable finesse
sur les mots et la mémoire.

Lisez,
relisez,
accrochez vous à ces mots,
comme l'alpiniste dans une falaise impossible,
cramponnez-vous à chaque phrase,
et le soleil brillera
quand vous serez au sommet.
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