Le séjour en villégiature à Balbec (nom inventé qui aurait comme cadre, Cabourg) permet à
Proust de faire le lien entre ses amours finissantes avec Gilberte et celles naissantes avec Albertine.
Il part donc avec sa grand-mère pour la ville balnéaire pour soigner ses nerfs sensibles.
Et de fait il va les soigner ses nerfs! C'est la grande époque des désillusions adolescentes, où Marcel apprend à approcher les gens, à les aimer, puis surtout à prendre une distance avec eux.
le cadre maritime se prête parfaitement à ses sentiments changeants comme la couleur de la mer et le Grand Hôtel de Balbec où le petit univers (encore un!) est décrit par le menu, il s'y côtoie des bourgeois plus ou moins parvenus et des aristocrates de la vieille France, le tout sur fond d'affaire Dreyfus.
Marcel se met donc à mater les jeunes filles qui passent tout en nouant de nouveaux liens avec
Saint-Loup (Baron de Charlus), officier en permission dont la tendre amitié avec le jeune narrateur paraît sans équivoque bien que celui-ci s'amuse à brouiller les pistes en reportant ses fantasmes sur les fameuses «jeunes filles en fleurs», petit groupe qu'il a remarqué et duquel il extrait Albertine qui lui est présentée par l'entremise du peintre Elstir (nom amusant lorsqu'on parle d'amours qui s'en vont…)
Dans le petit groupe, Marcel se décide pour Albertine bien qu'Andrée l'attire aussi et que Gisèle s'intéresse à lui. Entre tout cela, le jeune homme philosophe sur l'amour, l'amitié, les femmes et l'existence, rappelant si besoin était que
Proust – en bon bergsonien- voulait écrire à la fois un essai et un roman.
" Et c'était par conséquent toute sa vie qui m'inspirait du désir; désir douloureux parce que je le sentais irréalisable, mais enivrant, parce que ce qui avait été jusque-là ma vie ayant cessé brusquement d'être ma vie totale, n'étant plus qu'une petite partie de l'espace étendu devant moi que je brûlais de couvrir et qui était fait de la vie de ces jeunes filles, m'offrait ce prolongement, cette multiplication possible de soi-même, qui est le bonheur."
Son point de vue sur les jeunes filles change tout comme celui qu'il avait sur Balbec. Son imagination, ses illusions sont mises à l'épreuve de la «réalité» qui est encore mise à distance par le narrateur adulte.
Et c'est en philosophe sensible qu'il finit ce roman, sur cette lumière figée de Balbec opposée peut-être à l'aspect marin d'Albertine, dont les apparitions dans le temps changent comme elle, car pour lui, il est plusieurs Albertine.
En ce sens,
Proust reste un écrivain d'ambiance, il multiplie les couleurs, les impressions sont des variations presque infinies. D'ailleurs cet aspect inachevé des choses hante la Recherche, c'est à la fois la description d'une personnalité qui se façonne comme celle d'une création qui sert à la fois le souvenir et le présent: sur les tableaux d'Elstir apparaît une Odette Swann du temps passé tout comme les formes des rochers sous une certaine lumière est recherchée par le narrateur dans ses ballades dans les environs où les pique-niques avec les jeunes filles sont d'autant de tableaux que lui-même se rappelle.
" Et c'est en somme une façon comme une autre de résoudre le problème de l'existence, qu'approcher suffisamment les choses et les personnes qui nous ont paru de loin belles et mystérieuses, pour nous rendre compte qu'elles sont sans mystère et sans beauté; c'est une des hygiènes entre lesquelles on peut opter, une hygiène qui n'est peut-être pas très recommandable mais elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et aussi – comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous avons atteint le meilleur, et que le meilleur n'était pas grand-chose – pour nous résigner à la mort."