Elisée Reclus ne fait pas partie du Panthéon de nos grands hommes. La patrie ne lui est guère reconnaissante et cela se comprend, car le bonhomme était anarchiste. Sa notoriété ne dépasse guère le petit milieu des géographes. Il fut un des précurseurs de la géographie politique. A l'inverse des géographes bien en cour, il affirma que la géographie n'est pas seulement le résultat de l'action de la nature, mais qu'elle se modifie chaque jour sous l'action de l'homme. Il suffit d'ailleurs de contempler les campagnes cultivées, les terres irriguées grâce à des barrages et autres bassines, ou les ZUP, pour s'en rendre compte.
L'homme et la terre, son dernier ouvrage, n'est pas un traité de géographie, mais plutôt un recueil d'analyses géopolitiques. Si les constats qu'il fait se situent il y a un siècle, ils n'ont pour la plupart rien perdu de leur pertinence. Qu'il s'agisse d'expliquer la stratégie de la Russie ou celle des Etats-Unis, il apporte un éclairage bienvenu. Plutôt clairvoyant, il prédit que l'Inde va acquérir son indépendance de la Grande-Bretagne, en expliquant pourquoi. Il avait même prévu l'exode urbain vers les campagnes, que nous connaissons maintenant depuis le Covid.
Reclus passe en revue plusieurs thèmes, dont l'éducation et le progrès. Il défend l'idée que le progrès ne devrait pas seulement se mesurer à l'amélioration des conditions matérielles, mais aussi aux qualités morales des individus, de manière à pouvoir in fine ne plus avoir besoin d'institutions telles que la police, la justice, et la prison. Et sur ce point, il faut bien se dire qu'il nous reste une certaine marge de progrès...
Sorte de testament philosophique, ce petit bouquin dense égrène quelques vérités impitoyables: l'intervention planificatrice des états dans la colonisation fut un fiasco (exemple de l'Algerie); la fierté patriotique, qui nous persuade que nous valons plus que nos voisins, est une absurdité qui serait risible si elle n'était néfaste: les catalans et les basques français sont-ils supérieurs aux catalans et aux basques espagnols?
A travers quelques exemples bien choisis (Irlande, Inde, Andalousie, Allemagne, Java,...) il montre comment les grands propriétaires et les industriels puissants tiennent les gouvernements sous leur coupe, afin de protéger leurs richesses. Et sans riches, pas de pauvres...