L'amour et l'amitié ont accompagné
Jean Renoir. Dans ce livre le cinéaste se confie donc sur les nombreuses rencontres qui ont émaillé sa vie et sur lesquelles il a toujours un bon mot ou une anecdote, avec cette bonhomie qui le caractérisait tout en ayant une intelligence des plus vives. Il n'élude pas pour autant les drames qui ont marqué sa vie ni les difficultés. Il a été grièvement blessé durant la première guerre, échappant de peu à l'amputation, et sa mère est décédée lors de son hospitalisation. Renoir n'a jamais été non plus très à l'aise avec l'industrie du cinéma, il refusait les méthodes et les clichés qu'imposait le cinéma commercial. Celui dont personne ne doutait du talent s'est souvent retrouvé au chômage. Je crois aussi qu'il aimait se sentir lors de ses tournages comme au milieu d'une troupe, entouré par ses acteurs et ses techniciens. Il voulait que ses films soient un tout, ouverts à la vie, à ses couleurs, ses rythmes et ses sentiments. Son réalisme était teinté de poésie et n'excluait ni la fantaisie voire le burlesque, ni le rêve ou l'imaginaire. Son regard était aussi celui d'un peintre. Il évoque souvent dans ces pages la présence de son père et de ses tableaux qui ont baigné son enfance, passée entre Paris, à Montmartre, la Bourgogne et la Provence. En sorte que
Jean Renoir s'est toujours senti tout à la fois parisien, bourguignon et méridional. le réalisateur de "French Cancan" a été aussi celui de "Toni" et de "La Marseillaise", ses films les plus méridionaux. S'il cite volontiers
Simenon ou Gabin, il n'oublie ni
Pagnol, ni Raimu, ni Fernandel. Parmi les acteurs avec lesquels il a le plus collaboré il évoque d'abord sa première femme, Catherine Hessling, l'un des derniers modèles de son père, celle qui fut à l'origine de ses premiers films, "La fille de l'eau", "Nana", "La Petite Marchande d'allumettes", "Sur un air de charleston" et "Tire-au-flanc" et pour laquelle il devint réalisateur, non sans déboire financier, puis Pierre Champagne, son ami, qui se tua à bord d'une Bugatti, accident dont Renoir sorti indemne. "Tire-au-flanc" est le premier film de Renoir avec
Michel Simon. C'est l'un de mes préférés, l'un des plus drôles et des plus subversifs de Renoir. Ils tourneront ensuite "On purge bébé", "La Chienne" et "Boudu sauvé des eaux". L'autre grand compagnon sera Gabin qui apparaît à côté de Jouvet dans "Les bas-fonds". Il y aura juste après "La Grande Illusion" et "La Bête humaine", bien avant "French- Cancan". "
La règle du jeu" tourné en 1939 marque un tournant, celui de la guerre. Renoir s'exile à Hollywood. Il y croise
René Clair, julien Duvivier, Gabin en compagnie
De Dietrich, des cinéastes qu'il admirait, Ford, Griffith, Chaplin, etc. , mais son humanité, son sens artistique se heurteront toujours à la logique étroite des producteurs. Les films de cette période sont cependant exceptionnels. Renoir aimait les décors naturels, filmer au bord de l'eau. Il tourna "L'étang tragique" dans le marais d'Okefenokee en Georgie. le sud des Etats-Unis lui inspirera aussi "L'Homme du Sud". Dans ce livre Renoir a une pensée attendrie pour
Charles Laughton, étonnant dans "Vivre Libre" tourné alors. Il évoque aussi brièvement
Robert Ryan , interprète de "La Femme sur la plage". Il partit ensuite en Inde pour y réaliser "Le Fleuve" en couleur. C'est sans doute l'un des plus grands films que j'ai vu au cinéma, mais il perd beaucoup de sa puissance en DVD. A la fin du livre Renoir renoue avec son enfance, l'impressionnisme hérité de son père. " le déjeuner sur l'herbe" a été tourné à la propriété des Collettes de Cagnes-sur-Mer qui avait appartenu à son père. C'est un hymne vibrant à la Nature, avec ses nymphes et ses satyres. Renoir termine le livre comme il l'a commencé, par un long souvenir de Gabrielle, une cousine de sa mère et modèle de son père, qui fut pour Renoir comme une nourrice et qui l'accompagna toute sa vie. C'est aussi elle qui lui fit découvrir Guignol et le théâtre Montmartre, alors qu'il était enfant.