...avec un ami inconnu, rien de lourd, de pesant, aucun rajout à la liste déjà trop longue des êtres chers, pas d’encombrements affectifs, ni sentiment de devoir, jamais l’ombre d’une culpabilité si vous manquez une naissance ou un mariage, à peine si nous nous croisons un petit signe de la main accompagné d’un vague sourire et encore, une moue suffit largement et à la rigueur si l’on se sent entraîné par les automatismes de la courtoisie, on peut lâcher un “Comment va l’ami ?” sans le moins du monde se soucier de répondre à “Et toi l’ami ?” que l’autre par réflexe peut vous rétorquer. Croyez-moi, c’est l’idéal de partager une amitié sans en payer le prix.
Quelle aubaine ! C’est un enfer d’aller demander de l’argent à quelqu’un qu’on connaît. S’il est riche, il vous soupçonnera aussitôt d’être ami avec lui pour sa fortune, s’il est pauvre, il vous haïra de vouloir le saigner alors qu’il est exsangue, et s’il n’est ni riche, ni pauvre, arbitre de football, fabricant de gaufrettes ou vendeur chez Volkswagen par exemple, là c’est le pire ! Comment demander de l’argent à un vendeur de voitures allemandes quand on connaît l’état catastrophique du marché automobile à l’export !
Le problème, c’est que c’est difficile de parler d’arbre sans parler de feuilles, de racines, d’écorce, de tronc, de sève, de branches… Bref, ça devient vite compliqué, pareil pour “fleur”, “ciel” ou “bateau”, si je vous dis “bateau” sans ajouter “mer”, “soleil”, “pêche”, etc., à quoi ça sert ? Et si j’ajoute “soleil” à “bateau”, il faut que j’ajoute “lune”, “planète”, “univers”, “cosmos”… et dès que j’aurai prononcé le mot “cosmos” et ainsi de suite, les mots simples sont trop compliqués. Le seul mot qui n’est pas compliqué, c’est “compliqué”. Quand on dit “compliqué”, on sait que c’est “compliqué”, c’est tout simple.
— J’ignorais totalement l’importance de la lettre t pour le soutien du mot, pour son dynamisme.
— Elle est essentielle. Regardez, pour la prévention du danger, on en a mis trois : ATTENTION ! Que serait ce mot alarme sans ses trois t (il crie) : “A-en-ion l’immeuble s’écroule !” Personne ne bougerait.
— C’est fou, on ne réalise pas que le t peut nous sauver la vie.
La poésie ce n’est pas très compliqué, vous savez… même vous… avec votre côté artiste, il n’est pas impossible qu’un jour ou l’autre vous fassiez des rimes, si, si, des rimes… c’est vite arrivé ce genre de trucs…
Portraits croisés : Jean-Michel Ribes en Karl Marx