Découvrir par l'écrit un auteur dont on a entendu tant de bien de la voix, c'est troublant.
Troublant et dans ce cas, malheureusement, décevant. Il y a une vraie virtuosité de l'écriture, des choses très vraies, très sensibles sont dites, mais il me manque un "pourquoi", un semblant de crédibilité/cohérence pour vraiment accrocher et voir en ce texte autre chose qu'une rupture mal digérée.
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Il y a et puis il n’y a plus. Ton fils est là, il excelle, toute l’armée, tous les hommes chantent son nom, toutes les femmes convoitent sa protection et son corps, et voilà qu’il n’est plus. C’est brutal, et tout à fait doux comme façon de s’éteindre. Il y a du sang, il y a des larmes, il y a du sperme, du souffle, de l’eau, puis il n’y a rien. Et ce rien n’est pas le vide, ou le contraire du plein, ce rien c’est l’arrêt immédiat et sans retour de ce qui fait ton fils vivant, le plus vivant de tous, le plus beau d’entre tous, et l’on pourrait parler d’un oiseau pour le dire. Le rien qui arrive et chante la fin brutale et douce de ton fils adoré, c’est son nom. Il ne reste que son nom. Un courrier de lettres tendres, une couture de lettres tendres que tu répèteras en errant. Tu diras Achille… Achille, et tout se rendra indépendant. Chaque lettre se détachera de l’autre pour aller, au plus près des astres, attraper ce qu’il y a de lumière chaude, et chaque lettre chantera, non seulement le nom entier de ton fils, mais aussi son histoire, son arrogance, ta tristesse. Chaque lettre sera le tout de ce tout morcelé, chaque lettre, tu la porteras comme un collier lourd et pesant un animal mort à la course. Chaque lettre te collera à la nuque et à la poitrine, dans une matière collante, mais tu ne pourras rien ôter de son nom, car son nom, c’est ce qu’il restera quand tout aura cessé. Cela va arriver brutalement et sans cris, et sans à-coups, et sous les murs de Troie, devant le combat, à l’endroit même où il se sera illustré. Cela arrivera Thétis, et par ma voix je te préviens.
Achille va mourir à la guerre, sous les murs de Troie, et toi, Thétis, tu le verras au plus haut de ce que tu pouvais l'aimer. Il sera sublime, il sera blond et fort, il sera ailé de la tête jusqu'aux pieds. Ce sera ton fils et l'au-delà de ton fils, réunis en un seul jeune, terriblement jeune, héros, et d'un coup, en une fraction de seconde, il ne sera plus. Il y a et puis il n'y a plus.
Ton fils est là, il excelle, toute l'armée, tous les hommes chantent son nom, toutes les femmes convoitent sa protection et son corps, et voilà qu'il n'est plus. C'est brutal et tout à fait doux de s'éteindre. Il y a du sang, il y a des larmes, il y a du sperme, du souffle, de l'eau, et puis il n'y a rien. Et ce rien n'est pas le vide, ou le contraire du plein, ce rien c'est l'arrêt immédiat et sans retour de ce qui fait ton fils vivant. Le plus vivant de tous, le plus beau d'entre tous. Le rien qui arrive et chante la fin brutale et douce de ton fils adoré, c'est un oiseau qui dit son nom. Il ne reste que son nom.
En l’écoutant, je pense au Styx évidemment, mais je me dis, surtout, qu’ouvrir c’est comprendre. Sentir l’enfer ouvert sous ses pieds, c’est aussi sentir toute proche la baignade de la compréhension. Je le laisse errer dans son propre cauchemar. Je l’écoute de loin, j’ai froid, l’eau chaude, je la veux sur la peau.
En marchant, je revois Thétis, sa mère, le plongeant au soir dans le fleuve de l’enfer pour l’immortaliser. Ce geste est tout et son contraire, le rendre immortel, et le garder enfant. Gommer sa part humaine, et le faire, à jamais, errer en zone grise, entre les hommes et les dieux, à jamais à l’image des dieux, jamais dieu lui-même, jamais homme non plus. L’eau coule. J’entends Achille fanfaronner dans mon salon.
« Je savais que je mourrais à Troie, mais je n’avais peur de rien ! J’avançais, en tuant le sable, en tuant les troupes, le vent de sable, le souffle des hommes. J’étais un massacre ambulant, peur de rien, même l’oracle, je le défiais intérieurement. Je savais que je mourrais, mais me vivais invincible ! »
Je regarde Achille, la surbrillance de ses yeux dialogue avec son bouclier. Je pense à l’oracle qui dit le réel avant le réel, et qui, comme toute parole de destinée, est une vulgarité. Sa mère formula une promesse physique qu’il fut tenu de tenir. Pas celle de la force, celle de l’extrême vulnérabilité que ni elle ni la servante ne savaient lui accoler cette nuit-là. Il fut condamné à tenir la promesse de son extrême vulnérabilité, et ne la connaissait pas.
J’éprouve une tendresse et de la haine pour Thétis et sa servante. Une tendresse et de la haine pour ce bain. Je crois en leur innocence. Je crois aussi en leur ignoble calcul.
Le vent a poussé dans la ville comme une plante. Installé une nuit plus noire et suspicieuse que la nuit de l’enfer. Le vent a déplacé dans la ville ce qui encombrait et empêchait le récit de venir.
Vous vous sentez perdus parmi les 466 romans de la rentrée littéraire 2023 ? Pas de panique, France Culture s'est associé à L'Obs pour vous proposer ses 10 romans coup de coeur du moment.
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit :
- Jérôme Garcin, journaliste et romancier
- Elisabeth Philippe, critique littéraire (L'Obs)
- Arnaud Laporte, producteur de l'émission "Affaires culturelles" sur France Culture
- Oriane Delacroix, collaboratrice à France Culture
- Marie Richeux, productrice de l'émission "Le Book club" sur France Culture et écrivaine
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