Comment parler avec justesse de ce livre… Etrange découverte d'un auteur que je ne connaissais pas du tout, avec une relecture d'un épisode de la Guerre de Troie.
Dès les premières lignes, je suis retournée à mes 16 ans, à mes études gréco-latines, où en 5e (traduction pour les Français : la 1e), on lisait
l'Iliade et l'Odyssée, les poètes grecs… C'est la première partie de ce roman, qui nous replonge dans ce monde de héros, de demi-dieux au destin funeste, jouets des dieux, habités par des passions et des pulsions qui les dépassent et leur donnent une aura, une gloire brûlante, déjà éternelle. Mais alors qu'Achille profane quotidiennement le corps d'Hector en le traînant brutalement sous les remparts de Troie, le roi Priam, dont le nom signifie « échangé contre rançon » ou « le prix payé', Priam, père d'Hector, guide de son peuple, se laisse envahir par une intuition nouvelle : lâcher les attributs et les rites du pouvoir pour se présenter devant Achille en simple mortel, en simple humain, en père, et lui demander de lui restituer le corps de son fils.
Alors le roman dépasse largement le mythe et imagine le voyage de Priam vers le camp des Achéens, après qu'il ait réussi à convaincre les Troyens de le laisser partir. Guidé par un simple charretier, conduit par deux mules originales, le temps d'une traversée, le vieil homme découvre les ravages de la guerre dans la campagne mais surtout la vie ordinaire, la nature toute proche, et c'est tout l'art de
David Malouf d'évoquer cette découverte de la vie simple à travers l'eau fraîche qui baigne les pieds, les poissons qui filent dans la rivière, une galette dont la seule vue évoque la femme qui l'a préparée… Une humanité que Priam ne connaissait pas, tout enfermé qu'il était dans les rituels et le protocole de sa fonction. C'est alors qu'intervient un envoyé des dieux, au coeur de cette humanité retrouvée, goûtée : certes, ils ne sont jamais loin, les dieux grecs, dans ce genre d'histoire, mais on dirait qu'il a fallu à Priam ce dépouillement, cet intérêt neuf, cette proximité avec son compagnon de route, cette confiance en lui et en la vie pour qu'il discerne sur son chemin les signes d'une autre présence. Qui lui ouvrira les portes du camp grec et le mènera à Achille.
Cette rencontre, c'est une trêve entre les neuf épouvantables années de guerre qui l'ont précédée – et dont le paroxysme a sans doute été l'affrontement entre Hector et Achille – et la dernière étape qui verra la chute de Troie.
David Malouf évoque à merveille ce moment de grâce entre les deux hommes et à nouveau, cette intuition de la fin tragique qui précipitera les héros dans le chaos et la mort. le mythe rejoint encore la vraie vie :
David Malouf explique dans la postface comment il a connu le récit d'
Homère en 1943, alors que l'Australie était la base arrière des Américains qui partaient combattre dans le Pacifique. L'auteur a fait un lien immédiat entre la guerre de Troie et son quotidien d'enfant, mais nul besoin de vivre une guerre pour connaître de ces moments de répit où tout est rassemblé, illuminé, sublimé, avant de replonger dans les combats humains ordinaires… où l'on se voit offrir une oasis de calme avant une tempête qui dépasse infiniment les pauvres humains que nous sommes et que pourtant nous pouvons, nous devons passer sans nous laisser briser comme des brindilles, espérant laisser une trace… Comment, aussi, on traverse tout simplement l'épreuve de la mort d'un proche, il me semble que c'est cela aussi que le mythe, et
David Malouf après lui, met en exergue.
Moment suspendu entre destin tragique et humanité ordinaire, invitation à oser être soi-même, à vivre libre en toute circonstance, relecture d'un mythe antique toujours actuel sur la vie, la mort, la liberté,
Une rançon déploie un lyrisme qui n'est pas sans rappeler – une évidence lumineuse – le théâtre grec : je me suis fait plaisir à lire de nombreux passages à haute voix pour en goûter la force, la beauté. La langue musicale, balancée irrigue de son souffle ce roman inclassable, qui je l'espère, trouvera son public !
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