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EAN : 9782362290633
112 pages
Editions Bruno Doucey (22/05/2014)
4.43/5   7 notes
Résumé :
Dans ce pays, le ciel ne diminue jamais un seul instant la flamme de nos yeux. Dans ce pays, le soleil nous aide à soulever le poids De pierre que nous avons toujours sur nos épaules Et les tuiles se brisent net sous le coup de genou de midi Les hommes glissent devant leur ombre Comme les dauphins devant les caïques de Skiathos
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
I

Ces arbres ne peuvent se rassasier de moins de ciel,
Ces pierres ne peuvent se rassasier sous les pas étrangers,
Et ces hommes ne peuvent se rassasier que de soleil,
Et ces cœurs ne peuvent se rassasier que de justice.

Ce pays est aussi dur que le silence,
Il serre contre son sein ses dalles embrasées,
Il serre dans la lumière ses vignes et ses olives orphelines,
Il serre les dents. Il n’y a pas d’eau. Seulement de la lumière.
Le chemin se perd dans la lumière.
Métal est l’ombre de l’enclos.

Ces arbres sont devenus pierre et les rivières et les cris dans la chaux du soleil.
La racine se heurte au marbre. Chênes empoussiérés.
Ce mulet. Ce rocher. Haletants. Il n’y a pas d’eau.
Tous ont soif, depuis des années. Tous mâchent une bouchée de ciel au-dessus de leur amertume.

Leurs yeux sont rouges à force de veiller,
Une ride profonde gîte entre leurs sourcils
Comme entre deux collines, au crépuscule, un fin cyprès.
Leur main est rivée au fusil
Leur fusil prolonge leur main

Leur main prolonge leur âme.
Sur leur lèvre habite la colère
Et le chagrin au fond de leurs yeux
Comme une étoile au fond d’un creux de sel.

Quand ils serrent les poings,
Le soleil est certain pour le monde
Quand ils sourient,
Une petite hirondelle s’échappe du buisson de leur barbe
Quand ils dorment,
Douze étoiles tombent de leurs poches vides
Et quand on les tue,
La vie grimpe la pente avec tambours et drapeaux.

Depuis tant d’années, tous ont soif, tous ont faim, tous sont tués.
Assiégés par terre et par mer
La chaleur a dévoré leurs champs
Le sel imprégné leurs maisons
Le vent a jeté bas leurs portes et les pauvres lilas de la place
La mort entre et sort par les trous de leur uniforme
Leur langue à la rugosité d’une pomme de cyprès
Leurs chiens sont morts avec leur ombre pour linceul
La pluie fouette leurs ossements.

Pétrifiés dans leur guet, ils fument la bouse et la nuit
Scrutant le large déchaîné
Où s’est englouti le mât brisé de la lune.

Le pain s’en est allé, les balles s’en sont allées.
Ils n’ont plus que leur cœur
Pour charger leurs fusils.

Tant d’années assiégés par terre et par mer,
Tous ont faim, tous succombent
Mais aucun d’eux ne meurt,
Leurs yeux brillent pendant qu’ils veillent
Et brille un grand drapeau
Et brille un grand feu rouge,
À chaque aube des milliers de pigeons s’envolent
De leurs mains vers les quatre portes de l’horizon.

("Grécité", p. 19-23)
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II

Chaque fois que le soleil descend
Et que le thym roussit dans le sein de la pierre
Une goutte d’eau creuse jusqu’à la moelle le silence
Une cloche sonne les années, suspendue au très vieux platane.

Les étincelles ne dorment que d’un œil dans les braises de la solitude
Et les toits songent au duvet doré ombrageant les lèvres de juillet
Jaune comme la barbe du maïs brûlé par le désespoir du couchant.

La Sainte Vierge s’allonge dans les myrtes avec sa grande
jupe tachée par les raisins.
Un enfant pleure sur le chemin. Une brebis lui répond
dans la plaine, appelant ses petits égarés.

Ombres sur la fontaine. Tonneau gelé.
La fille du forgeron et ses jambes trempées.
Sur la table, le pain et l’olive,
Dans la treille, l’étoile du berger
Et là-haut, tournant sur sa broche céleste,
La Voie Lactée parfume l’infini
D’une odeur d’ail, de poivre et de graisse brûlée.

Ah, quelle pelote d’étoiles faudra-t-il
Aux aiguilles du pin
Pour qu’elles brodent sur les lèvres brûlées de l’été
Les éternelles consolations d’usage !
Combien de temps encore la mère frappera-t-elle
Son cœur devant ses sept pallicares égorgés
Jusqu’à ce que la lumière trouve un chemin
Au versant de son âme !

Cet ossement qui sort de terre
Mesure la terre mètre par mètre
Et les cordes du luth, et le luth, le violon,
Du crépuscule jusqu’à l’aube,
Disent leur plainte aux pins, aux romarins,
Et font vibrer comme des cordes les haubans du navire
Et le matin boit l’amertume de la mer dans la coupe
d’Ulysse.

Ah, qui bouchera l’entrée,
Quelle épée tranchera le courage,
Quelle clé fermera le portail de ton cœur,
Le portail grand ouvert sur les jardins étoilés de Dieu ?

Heure auguste comme un samedi soir de mai dans une
taverne de marin
Nuit grande comme la tôle au mur de l’étameur
Chant précieux comme une miche de pain sur la table
du pêcheur d’éponges.

Et voici la lune crétoise dévalant les galets
Avec vingt rangées de clous sur les bottes,
Et voici ceux qui montent et descendent les marches
de Nauplie
Et qui ont pour tabac les feuilles épaisses de la nuit,
Pour moustaches des buissons de thym saupoudrés
d’astres
Et en place de dents, les souches, les rochers et le sel
de l’Égée.

Ils sont entrés dans les chaînes et le feu,
Ils ont parlé avec les pierres.
Ils ont offert un raki à la Mort
Dans le crâne de leur ancêtre,
Sur les Aires de marbre, ils ont rencontré Digénis,
Ils ont dressé la table pour dîner
Et ils ont partagé leur désespoir en deux
Comme on partage, sur ses genoux, la miche d’orge.

Femme aux cils d’amertume, aux mains tannées
Par les années et l’angoisse de la pauvreté —
L’amour t’attend parmi les chênes,
La mouette, dans sa grotte, révère ta sombre icône,
L’oursin sans joie baise l’ongle de ton pied.

Dans la grappe noire de la vigne fermente le moût
écarlate
Fermentent les rhododendrons parmi les houx brûlés.
Dans le sol, la racine du mort aspire l’eau pour
rejaillir sapin
Et la mère sous ses rides
Serre de toutes ses forces un couteau.

Femme qui couves les œufs d’or de la foudre —
En quel jour rayonnant remettras-tu ton fichu noir,
Reprendras-tu les armes ?
Et la grêle de mai te fouettera en plein visage,
Le soleil brisera sa grenade sur ton tablier de coton,
Et grain par grain tu le partageras entre tes douze
orphelins,
Et comme fil d’épée, comme neige d’avril,
Le rivage resplendira
Et le crabe surgira sur les galets pour se sécher
et pour croiser ses pinces.

("Grécité", p. 25-31)
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UNE GOUTTE

Il n'a plus de temps, plus de désir ;
Il ne peut regarder. Dans le puits
Il descend et remonte le vieux seau plein de trous ;
Il en tire une eau noire ; il la rejette
Dans l'eau noire. La corde s'use.
Et soudain cette peur : que la corde ne casse
Et que même l'eau noire ne s'épuise. Une goutte
Est tombée sur sa chaussure ; elle brille au soleil ;
Une goutte qu'il voit, qui grandit, grandit,
Occupe le jardin, le monde - une goutte
Sur une vaste feuille de néflier,
Qui aveugle et réfléchit le monde.
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Forage

Sous les maisons sont des tombeaux très vieux.
Sous les tombeaux de nouveau des maisons.
Un immense escalier de pierre entaille
Les maisons, les tombeaux. Les morts montent,
Les vivants descendent. Se croisent
Sans se saluer — peut-être faute de se connaître
Ou parce qu’ils font semblant de s’ignorer.
Sur la colline
Embaume un oranger caché. Les enfants
Roulent des cercles de tonneaux. Deux femmes
Conversent à la fontaine. Leur voix glisse
Avec l’eau dans la cruche. Quand la nuit tombe
Elles s’en retournent entre deux rangées de cyprès
Serrant leur cruche comme un enfant illégitime.
Au-dessus d’elles, complices, étincellent les astres.

("Après l’épreuve", p. 75)
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Grécité



Dans ce pays…
Extrait 1

Dans ce pays, le ciel ne diminue jamais un seul instant
  la flamme de nos yeux
Dans ce pays, le soleil nous aide à soulever le poids
De pierre que nous avons toujours sur nos épaules
Et les tuiles se brisent net sous le coup de genou de midi
Les hommes glissent devant leur ombre
Comme les dauphins devant les caïques de Skiathos
Et leur ombre devient un aigle teignant ses ailes dans les
  feux du couchant
Pour se percher ensuite sur leur tête en songeant aux étoiles
Quand ils se couchent sur la terrasse aux raisins secs et noirs.


/Traduction Jacques Lacarrière
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Videos de Yannis Ritsos (16) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Yannis Ritsos
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
Circé – Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
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