« Stevenson n'a jamais regardé les choses qu'avec les yeux de son imagination. »
[Marcel Schwob - prologue]
Robert Louis Stevenson (né Robert Lewis Balfour Stevenson - Edimbourg, 1850 - Vailima [Samoa], 1894) :
ou cet écrivain d'un autre siècle, qui avait plusieurs cordes à son arc...
Car si les voyages font tout autant partie de sa vie que la littérature, certains de ses textes alliant les deux avec talent à l'image de "Voyage avec un âne dans les Cévennes" (1879), on sait que l'auteur est aussi considéré comme un maître du roman d'aventures, grâce notamment au célèbre récit de "L'île au trésor" (1883).
Pourtant, Stevenson n'est pas en reste lorsqu'il s'agit d'inclure des notes de fantastique ou d'épouvante dans ses écrits ; son court roman (que je qualifierai plus personnellement de nouvelle, mais c'est juste mon avis ^^) "L'étrange cas du Dr Jekyll et Mr Hyde" (1886) en est un un flagrant exemple.
Marcel Schwob (1867-1905) - fabuliste, critique, linguiste et traducteur - nous livre ici sa présentation, écrite en 1895 (soit après la mort de R.L. Stevenson, en manière d'hommage), nous offrant ainsi, je cite : une vision globale de l'homme et de l'écrivain.
Il est intéressant de savoir qu'ils entretinrent durant quelques années une chaleureuse correspondance.
Avec ce recueil, se retrouvent donc réunies trois nouvelles gothiques de l'auteur écossais - rédigées entre 1881 et 1884 - , et en prime, un petit bonus :
*Le Déterreur de cadavres ;
Fable macabre et glauque à souhait, où il est question de cadavres, dont un en particulier jouera un mauvais tour aux pilleurs de (sa) tombe...
"- Pour la paix de votre conscience, ne posez pas de questions..."
*Janet la boiteuse ;
Sombre histoire d'une revenante ramenée à la vie par la grâce du diable en personne...
"- Et maintenant, dit M. Soulis aux bonnes femmes, rentrez chez vous, les unes et les autres, et priez Dieu qu'il vous pardonne."
*Markheim ;
L'une des histoires courtes les plus célèbres de l'auteur, nous décrit le drame d'un assassin suite à un crime impulsif de sang et d'argent, rattrapé par sa conscience...
"Et tout ce monde, qui composait la gamme des âges et des caractères, en dressant l'oreille et en scrutant les ténèbres, tissait la corde qui devait le pendre."
*Nuits blanches ;
Enfin, ce récit succint offert en sus des précédents, nous livre la raison des insomnies d'un jeune enfant qui n'est autre que Stevenson lui-même...
"Oppressé par une complète obscurité, je guettais le moindre bruit qui aurait pu briser la quiètude de ma tombe."
On reconnaitra sans peine les références d'une littérature fantastique alimentée de contes et de légendes sombres, propres à l'époque, mais également au lieu.
Nous y est dépeint une Ecosse hantée de monstres chimériques, d'ombres fuligineuses et d'horribles maléfices...
Cependant, que les lecteurs friands de récits "horrifiques" ne s'attendent guère à trembler d'effroi ; tout est dans l'imagination et les sensations procurées par les images que font naître l'indéniable talent de conteur de Stevenson - Tout est histoire de ressenti, comme pour nombre d'oeuvres datant du XIXème siècle.
Son écriture, néanmoins très visuelle et subjective, sa plume savante et une narration qualifiée d'intelligente, et saluée tant par ses contemporains que par ses successeurs, ne manqueront pas d'imprimer certaines scènes relativement frappantes et, à défaut d'y croire réellement, l'on se prendra rapidement au jeu.
Reste une lecture fluide et agréable, qui se lit vite et bien.
« Toutes les belles fantasmagories qu'il avait encore en puissance sommeillent dans un étroit tombeau polynésien, non loin d'une frange étincelante d'écume : dernière imagination, peut-être aussi réelle, d'une vie douce et tragique. »
[Marcel Schwob - prologue]
Lu dans le cadre du Club Imaginaire de décembre 2016.
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Je vous connais, répliqua le visiteur avec une sorte de courtoise sévérité, de courtoise fermeté plutôt. Je vous connais jusqu'au fond de l'âme:
-Me connaître, reprit Markheim. Qui le peut ? Ma vie n'est qu'un travestissement, la calomnie de moi-même. Je n'ai vécu que pour mentir à ma nature. Tous les hommes en sont là, tous les hommes valent mieux que ce deguisement qui s'accroît tellement qu'il finit par les étouffer. Voyez-les tous, emportés par la vie, comme la victime que les bravi ont saisie et roulée dans un manteau. S'ils avaient le contrôle d'eux mêmes... Si vous pouviez voir leur visages, ils vous apparaîtraient bien différents de ce qu'ils sont, ils éclipseraient les héros et les saints! Je suis dans une condition pire que n'importe qui; mon excuse, il n'y a que Dieu et moi qui la connaissons. Si j'en avais le temps, je pourrais me disculper.
L'enfer, Dieu, le diable, le vrai, le faux, le pêché, le crime et tous ces vieux accessoires du passé, qui peuvent servir à effrayer les enfants, vous et moi, qui savons notre monde, nous nous en moquons.
[Le déterreur de cadavres]
C'est là, qu'après une soirée de plaisir, la main encore tâtonnante, les yeux obscurcis par les vapeurs de l'alcool, il était tiré hors de son lit, avant l'aube, au plus épais de l'obscurité hivernale, par la venue des malpropres et lamentables individus qui approvisionnaient la table d'opération. Il lui fallait ouvrir la porte à trois hommes qui s'acquirent, par la suite, une réputation infamante dans le pays ; les décharger de leur macabre fardeau ; leur donner leur salaire honteux ; puis, une fois débarrassé de leur présence, demeurait seul avec ces restes d'humanité.
[Le déterreur de cadavres]
"L'Île au trésor" de Robert Louis Stevenson | Des histoires merveilleuses