Livre reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.
C'est histoire d'un combat de boxe et d'un braquage. C'est l'histoire d'un combat autant sportif que politique, et d'une enquête qui ne débouche sur rien, sinon sur les élucubrations rêveuses d'un écrivain amateur de boxe. Atlanta, 1970. Jerry Quarry affronte Muhammad Ali, pour le retour de ce dernier, après trois ans passés derrière les barreaux pour désertion. En trois rounds, Ali terrasse Quarry et, aussitôt, passe à autre chose. En ligne de mire, il a Joe Frazier. Quelques heures après ce combat, plus d'une centaine de gangsters se retrouvent ventre à terre, nus, dans une cave, dépouillés de leur argent et de leurs objets de valeur. Et, que ce soit le combat de boxe ou la mésaventure des gangsters noirs de l'est américain, tout est affaire de faux-semblants.
Le récit d'Élie Robert-Nicoud n'est pas, à proprement parler, un roman. On pourrait même dire que l'auteur prend un grand soin à ne pas franchir la frontière de la fiction, qu'il se contente d'évoquer la part d'imaginaire qu'il y a dans ce roman potentiel, tel un voyageur qui, depuis une crête élevée, contemplerait un paysage infini.
Deux cents Noirs nus dans la cave relèverait plutôt de l'enquête documentée, ou même du détail, large certes, d'une idée prétexte à roman. Robert-Nicoud ouvre des portes, jette un oeil - et le lecteur avec -, les referme en disant : ce que ça paraît être bien ! Comme ce pourrait être intéressant ! Partant, il résulte du récit comme une frustration, un désir inassouvi. Non seulement, nous sommes laissés avec notre envie d'en savoir plus, nos interrogations qui demeurent sans réponse. Plus encore demeure cette impression que les deux pôles du récit - le combat et le braquage - sont distincts, et ne sont reliés, finalement, que par leur concomitance temporelle et par un personnage - Bundini Brown -, homme de coin d'Ali et proche de certains milieux interlopes.
De ces deux récits au lien si ténu, bien des choses, pourtant, peuvent être dites. Pour le récit dans son ensemble, tout d'abord, Élie Robert-Nicoud ressuscite véritablement une époque, et il est très souvent utile de se référer, selon ses préférences, à une encyclopédie ou à une notice Wikipedia pour mettre un visage et une biographie sur un nom. Voici, convoqués par l'auteur, des personnalités du sport, de la chanson, du cinéma, des milieux criminels des États-Unis des années 1960 et 1970. Défilent, outre les principaux protagonistes, Diana Ross, Sugar
Ray Robinson, Elijah Muhammad,
George Plimpton, Joe Namath ou encore Jim Brown et Frank Lucas. La première partie du récit, tout particulièrement, prend le combat entre Ali et Quarry comme le symbole d'une Amérique en mal-être. le parallèle avec notre époque contemporaine est vite établi. Cette Amérique est celle, de façon paradoxale, de l'engagement et de l'illusion. Robert-Nicoud n'hésite pas, pour marquer le coup, à faire chuter Muhammad Ali de son piédestal, à mettre le champion, héraut de son époque, face à ses contradictions. L'Amérique est en plein bouleversement de ses valeurs : guerre du Vietnam, lutte pour les droits civiques : l'Amérique victorieuse des années 1940 et 1950 d'Elvis Presley laisse la place à l'Amérique contestataire des années 1960 et 1970. Ali porte tous les combats de cette époque : il est l'un des porte-drapeaux de la lutte pour les droits civiques des Noirs américains, et il a refusé d'aller au Vietnam, en arguant que les Vietnamiens ne lui avaient fait aucun mal, contrairement à certains de ses compatriotes. Pourtant, Ali aussi a ses contradictions. Lui, l'homme devenu riche, représente les Noirs pauvres tandis que Jerry Quarry, de lignée Okie - dénomination des travailleurs pauvres, souvent originaires de l'Oklahoma, qui migrèrent vers la Californie durant la récession économique des années 1930 -, représente les Blancs dominateurs. Ali, rappelle Robert-Nicoud, a adhéré à la Nation of Islam, instigatrice du meurtre de
Malcolm X et pourfendeuse de
Martin Luther King, surnommé cyniquement Oncle Tom. ; Nation of Islam, qui réprouve la boxe ... Cette Amérique, nous dit Robert-Nicoud, se complaît dans l'exercice de la contestation, acte célébré en lui-même, sans prendre en compte - ou si peu - les nuances dans l'objet des contestations, se perdant ainsi dans les postures.
La deuxième partie du récit, consacrée au braquage d'une partie des plus dangereux gangsters d'envergure nationale, frappe d'abord par son objet même. Il n'est pas anodin que cette image, si surprenante, si humiliante, de deux cents corps dénudés réduits en prisonniers soumis, ait été retenue pour le titre. L'auteur déroule le fil des événements, tâche de le remonter jusqu'à trouver la vérité. Mais là aussi, comme pour le combat de boxe, il n'est affaire que de faux-semblants. Les témoignages des uns et des autres s'entrechoquent mutuellement, multiplient les pistes, n'en consacrent aucune. A la suite de cet acte si inouï, des hommes meurent, exécutés probablement par ces réseaux mafieux, humiliés qu'ils avaient été d'avoir été dépouillés si facilement. Par qui ? Nul ne le sait. Peut-être par de jeunes inconscients originaires d'Atlanta. Peut-être par ordre d'un commanditaire haut placé, originaire de New York. Peut-être par cet étrange Chicken Man, devenu, des années plus tard, le révérend
Gordon Williams, peut-être aidé, lui-même, par l'un des premiers policiers noirs de la ville d'Atlanta, J.D. Hudson. Cet acte, lui, ne s'inscrit en rien dans les courants politiques et sociaux qui traversent l'Amérique. Cet événement dépasse la question raciale, si importante aux Etats-Unis : des hommes, humiliés par d'autres hommes, cherchent à se venger, obtiennent peut-être vengeance, ou du moins le font-ils croire, en laissant des cadavres derrière eux. le problème n'est plus la couleur de peau, mais la propension de l'homme - quel qu'il soit, de quelque milieu social qu'il provienne, quels que soient ses rêves ou ses démons - à faire souffrir, à humilier, à dénigrer son prochain. Les temps changent, nous dit-on. Pas sûr, répond Élie Robert-Nicoud.