On ne dira jamais assez comme c'est important d'aller faire caca.
L'une des soeurs de ma grand-mère, paix à son âme, était une fervente catholique pour qui il était impensable d'aborder librement ce genre de sujet tabou avec son médecin de famille. Et elle a préféré rester constipée une semaine durant plutôt que d'avouer son besoin de laxatif, comme s'il s'était agi d'un crime.
Crime qui lui a valu la peine capitale.
Luke lui, l'un des nombreux personnages du roman de
Madeleine Robitaille, essaie de se retenir. Mais il ne peut empêcher ses gaz de venir embaumer l'air autour de lui, et puis ça pousse, ça pousse contre sa volonté. Ca ne se contrôle pas toujours, les intestins. le gros problème qu'il rencontre cependant, c'est qu'il est entouré par trente personnes et que le seul endroit où il pourrait se soulager c'est dans une vieille baignoire, sans paravent, à la vue de tous les autres passagers du bus. Quelques personnes y ont déjà uriné dans une décence toute relative au vu des conditions. Mais lui sera le premier à faire la grosse commission.
Un moment de honte est vite passé. Je pense cependant que dans ces circonstances ça m'aurait coupé toute envie. Ben oui, je ne suis pas un bon chrétien mais ça ne m'empêche pas d'être pudique.
Il y a beaucoup d'excréments dans
le quartier des oubliés, parce qu'à ceux de la baignoire vont s'ajouter ceux des morts, dont tous les muscles se détendent, y compris les sphincters. Alors non, ce n'est pas du tout un manuel de scatophilie, c'est un roman d'horreur qui n'épargne personne, et surtout pas le lecteur. Sans être gore, sans s'attarder plus que nécessaire sur l'aspect descriptif, et surtout sans délaisser la psychologie qui a une place majeure, le pire est dit sans laisser place à l'ambiguïté.
"Le cadavre d'un petit bébé de six semaines offert en pâté à des chiens avait quelque chose de diablement apparenté au sacrilège."
Publié en 2006, il s'agit du premier roman de la Québecoise comparée parfois à son compatriote
Patrick Senécal. C'est d'ailleurs la raison qui m'a poussé à vouloir la découvrir. On peut en effet trouver des similitudes de prime abord, même si on sent bien une touche de sensibilité féminine dans
le quartier des oubliés même si, à contrario, ou peut-être justement parce qu'elle est une femme,
Madeleine Robitaille ne s'impose aucun code moral, aucune limite, et qu'en incarnant les prisonniers de son autocar elle nous fera bien comprendre à quel point leur situation est cauchemardesque.
Mais comment trente personnes peuvent-elles en arriver à essayer de survivre en huis-clos ? Enfants, adolescents, adultes, personnes âgées : Ils ont tout embarqué pour ce voyage qui sera peut-être le dernier. Ils vont connaître les pires privations :
faim, soif, oxygène et odeur pestilentielle dans une atmosphère qui confinera à l'angoisse et à la folie. Pour parfaire le tout, la chaleur est insupportable.
"On se croirait dans la marmite de Satan".
"On est en enfer, aidez-nous à sortir d'ici."
Il s'agissait juste de revenir en bus de Montréal vers Mont-Laurier. Que ce soit pour Jim, le chauffeur, Nancy qui travaille dans une laverie et écrit en rêvant d'être publiée, Alec un adolesent qui raccompagne Julius, un simple d'esprit, Luke le pâtissier, une femme enceinte de jumeaux, une autre qui accompagne sa fille à la jambe plâtré, une grande proportion de personnes âgées, un pharmacien ( Lucas ), et toute la famille de Julia. Qui rentre plus tôt que prévu persuadée que son mari la trompe afin de le surprendre en flagrant délit. Avec elle sa belle-mère et ses trois filles : Claudine, adolescente guère courageuse, un nourrisson, et Mia, sa petite fille de dix ans qui a un rôle majeur à jouer. Sans sombrer dans le surnaturel, elle dispose cependant d'une capacité de prémonition lui permettant de sentir le danger.
"On va tous mourir parce qu'elle n'a pas voulu m'écouter, parce qu'elle s'est entêté dans son idée stupide de voyage en autobus."
Il s'avère que leur bus va être détourné par des étudiants qui vont se livrer à une expérience en les enfermant dans un autre autocar, loin de tout, sans pneu, dont chaque fenêtre est condamnée. Et si par miracle un passager trouvait une façon de sortir il serait accueilli immédiatement par l'un des trois dobermanns affamés faisant la ronde sur le terrain vague.
Quand
le bus d'origine sera retrouvé, intact, avec les effets personnels ( portables, portefeuilles, sacs à main ) des prisonniers, la police canadienne et plus précisément Brenda, une flic aigrie qui ne prend pas soin d'elle mais se lancera à corps perdu de retrouver les personnes sequestrées tant qu'il en est encore temps. Aucune demande de rançon ne va l'aider à accomplir sa tâche.
C'est pour moi le plus gros défaut de ce livre, d'autant qu'il est également fait allusion à la disparition de la fille de Brenda dans des circonstances similaires.
"Pourquoi avoir enlevé les passagers d'un autobus ?"
Eh bien le lecteur n'en saura jamais rien. Au mieux peut-on imaginer que la finalité était d'examiner leurs interactions sociales, alors qu'ils n'avaient qu'un baril d'eau et des toilettes de fortune à disposition. Qui allait prendre les commandes ? Comment allaient-ils s'organiser, qui allait craquer en premier ? Comment faire revenir la paix quand les premières disputes éclatent ? Comment apaiser une horde qui a soif, qui crie à l'insustice, à la famine, à l'hérésie ? Est-ce la sélection naturelle qui va décider de la vie ou de la mort de chacun ?
C'est tout ce qui intéresse
Madeleine Robitaille. Pourquoi c'est arrivé, elle ne s'y attarde pas et le roman a l'air amputé d'une explication importante. Tout ce qui l'intéresse, c'est ce microcosme qu'elle a ainsi créé en mettant des personnages qui pour la majorité ne se connaissait pas. Les idées proposées, l'espoir et l'entraide rapprochent les gens qui sont tout aussi capable de se battre pour pouvoir s'asseoir ou empêcher quelqu'un de fumer. du moins quand ils avaient encore des forces. Au fur et à mesure que les heures puis les jours s'écoulent, les vélléités de chacun s'endorment, la paranoïa et le désespoir grandissent, les premières victimes de malnutrition et d'insolation tombent et raison et folie ne font pas toujours bon ménage.
Pendant ce temps-là, les familles des victimes attendent désespérément qu'on retrouve les leurs.
Combien verront leurs voeux exaucés ?
Malgré quelques longueurs en milieu d'ouvrage et une situation de statut-quo,
le quartier des oubliés comporte quelques rebondissements qui en font autant un thriller qu'un roman d'horreur où l'abject se veut le plus réaliste possible en évoquant tout ce qu'il est possible de faire dans un contexte aussi démentiel pour survivre, et les personnages sont suffisamment travaillés pour qu'on les comprenne. Conseil d'ami, ne vous attachez pas trop à eux, vous ne devinerez pas qui
Madeleine Robitaille choisit ou non d'épargner. Un premier roman prometteur et sans concession.