C'est une histoire de sport, une histoire autour du sport. Et ce malgré l'édifiant CV sportif de l'auteur : a réussi à être dispensé de sport au bac !
Vous, que faisiez-vous le 30 avril 1993 ? La nuit d'avant ?
Il y a fort à parier (pas à payer) qu'à moins d'être une encyclopédie sportive vivante, cette nuit et ce jour ne vous aient pas spécialement marqués. Et pourtant dès qu'on ouvre
le Prix fort, on se souvient : ce jour-là Günter Parche (j'avais complètement oublié son nom) poignardait
Monica Seles en plein match du tournoi de Hambourg, un mois avant
Roland-Garros.
C'est leur rencontre dramatique (à quelques centimètres près l'arme touchait la colonne vertébrale de la joueuse) et ce qui y a mené, que nous raconte
David Rochefort.
Pour faire vivre ses deux protagonistes, l'auteur utilise le discours indirect libre à la deuxième personne (sic). Juste pour dire que c'est une surprise et qu'elle est bonne ! Cela permet une proximité plus grande du lecteur, incarnée, avec le sujet du récit :
Monica Seles dans une première partie, Günter Parche dans la seconde.
Ce qui ressort le plus concernant Seles, c'est sa jeunesse, sa fougue, son sérieux souriant, son engagement professionnel. Elle est sur le circuit depuis ses quinze ans. D'abord envoyée en Floride pour se perfectionner, elle y est malheureuse ; sa famille la rejoint ; les Seles prendront la nationalité américaine en 94. Son père devient son entraîneur. Quelques mois avant Hambourg, elle a vécu sa première cabale médiatique pour avoir refusé de participer à Wimbledon 92 à cause d'une blessure. Mal guérie d'une infection virale contractée à Paris-Bercy en janvier 93, elle a renoncé à Barcelone pour être prête pour
Roland-Garros.
En plus des nombreux documents presse et vidéo disponibles sur le parcours de la championne,
David Rochefort (il avait dix ans au moment du drame) s'est nourri des livres que Seles a publiés sur sa propre histoire.
Günter Parche est autrement plus difficile à cerner. Totalement inconnu avant le 30 avril 1993, ce sont seulement les comptes rendus judiciaires et quelques articles de presse après l'affaire qui dessinent le personnage. On apprend qu'il a été abandonné par sa mère à l'âge de dix ans ! de son père, on ne sait rien. Simple ouvrier, il vit chez sa tante dans une petite ville de l'Est. À partir de 1986, il développe une fixation monomaniaque sur Steffi Graf.
Deux parcours qui n'auraient jamais dû se télescoper, avec pour chacun des contextes géopolitiques particuliers et troublés ; comme un point commun entre eux, malgré tout. L'une est née en Yougoslavie (1973), l'autre en République Démocratique Allemande (1954).
Seles ne vit pas directement la chute des régimes communistes, ni l'éclatement annoncé de la Yougoslavie avec les premiers combats en Slovénie et Croatie de 91 ; elle est protégée par son engagement dans les tournois, l'entraînement intensif, les voyages en tous sens, et bientôt sa naturalisation américaine.
Par contre, Parche se retrouve au chômage à la chute du Mur en 89 à cause de la Réunification. Presque un soulagement pour lui qui peut alors se consacrer encore plus intensément à sa passion pour Steffi Graf. Il vit alors ses années d'or (d'adoration) jusqu'à 1992, quand son idole s'incline devant la petite yougoslave et perd sa place de numéro 1.
La troisième partie est écrite à la première personne (narrateur-auteur).
David Rochefort y fait d'abord son coming-out de fan... de heavy metal, livre ses réflexions sur la fiction littéraire, l'infinité des possibles, et observe que jusqu'ici les âges d'or culturels se sont conclus par un drame sanglant : tennis féminin (Hambourg, 1993), contre-culture des années 60 (meurtre de Sharon Tate et concert d'Altamont, 1969), heavy metal (carnage de Marysville Ohio, 2004).
Et puisqu'il faut bien y arriver, un dernier court chapitre intitulé Réalité en guise d'épilogue tragique : 30 avril 1993, 18h49.
Ce sera une réalité injuste pour Seles qui ne méritait pas de payer si cher pour quelques années de succès ébouriffants. Blessure, dépression (son père meurt d'un cancer quatre ans après avoir été diagnostiqué à Hambourg à l'hôpital où on soigne sa fille), abandon par ses sponsors. Elle ne reviendra jamais sur le devant de la scène au niveau auquel elle était parvenue en 92. Ne regagnera plus jamais
Roland-Garros.
Parche sera condamné à deux ans avec sursis pour mise en danger de la vie d'autrui ! Même pas pour tentative d'homicide... Il a gagné (mais en est-il seulement conscient ?). Comme il l'avait voulu, programmé, préparé, il a éliminé la rivale de sa déesse qui retrouve ainsi sa place de numéro 1 du tennis féminin.
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