Les histoires belges ne sont pas toujours drôles.
Lors d'un récent séjour en Belgique pour un rappel BCG (Bières – Chocolats – Gaufres), j'ai voulu trouver un mobile à ma gourmandise en m'attaquant à ce classique symboliste, très « fin de siècle », de
Rodenbach, publié en 1892.
Le titre est un bon indicateur de l'atmosphère macabre qui règne dans ce récit. Rangez les sourires et les rayons de soleil. Ce n'est pas la folle ambiance d'une soirée mousse au Musée de la frite.
J'ai lu que
Rodenbach est mort en 1898, la même année que le Maître du symbolisme : Mallarmé.
Rodenbach, lui, tire un peu à blanc. Oui, c'est lourd, mais cela me fait marrer.
Hugues Viane, est un veuf inconsolable qui s'est installé à Bruges, ville aussi morte que sa défunte épouse et si triste pour lui que ses canaux sont des joues sur lesquelles les eaux pleurent. Désolé, la poésie morbide est contagieuse.
Plus soucieux d'entretenir son chagrin que de le fuir, l'enjoué Viane vit reclus et s'accorde quelques rares promenades dans les rues mornes de la ville qu'il suit comme les allées d'un cimetière. C'est au cours de l'un de ses marches somnambules qu'il croise Jane, qui ressemble trait pour trait à sa défunte. Il va la suivre, la fantasmer, lui tenir compagnie et l'entretenir, redécouvrant les mondanités etle théâtre. Il va faire porter à cette jeune danseuse les robes de la morte, sombrant peu à peu dans un fétichisme qui flirte aussi avec le masochisme.
La petite danseuse n'étant pas un modèle de vertu, l'affaire va mal tourner. Une dramaturgie digne d'un opéra aux décors gothiques et aux passions surjouées. Rangez les coupettes en crystal.
Cette oeuvre fit polémique en son temps car l'auteur avait tenu à intégrer des illustrations de la ville (pas très belles – genre cartes postales envoyées à son patron) au fil du récit. Il matérialisa ainsi le cahier des charges du symbolisme qui entendait associer une image concrète à une abstraction, en l'occurrence, son texte, qui délaisse le réel et les descriptions de la vieille cité flamande que je refuse d'appeler la petite Venise du Nord, surnom touristique ridicule. Je déteste cette manie de qualifier la moindre ville traverser par un canal ou une rigole d'eaux usées, de petite Venise du Nord, du Sud ou du bout de ma rue. On en compte près d'une dizaine en France. Qualifier Sète de Venise languedocienne ou Salies-de-bearn de Venise béarnaise relève de la contrefaçon. Ils ont dû acheter le label à Vintimille. Autant mettre un vaporetto dans sa baignoire et se gondoler dans une flaque d'eau. Je m'emballe.
Tous les joyeux drilles de ce courant de comiques (Huysmans,
Verlaine…), qui rejetaient le romanesque et le naturalisme, adoraient le flou, la mort, les cauchemars et la neurasthénie. Les paysages n'étaient là que pour refléter le spleen des âmes. Ils ont adoré
Bruges-la-Morte.
Jules Renard un peu moins, qui avait qualifié ce roman de « littérature de cave humide ». Je ne saurai mieux dire, ni médire à vrai dire.
A titre personnel, j'ai trouvé Bruges magnifique et les idées noires de
Rodenbach, parues d'abord sous forme de feuilleton dans
Le Figaro ne m'ont pas gâché la visite.