C'était au début novembre. Bert était venu me voir comme il le faisait chaque soir. Il avait été le premier à vaincre la méfiance. Le Paysan vous accueille dans son champ avec la majesté d'un Empereur. Il vous offre l'hospitalité c'est-à-dire la vue, l'immensité. Et il aime vous entendre parler d'ailleurs, de ce qui se passe et ne connaît pas. Dans sa cour il vous reçoit au portail et dans sa cuisine à la porte. Il faut avoir su attendre, l'apprivoiser, pour qu'un jour il vous dise :
« Entrez ! ». Et de ce jour, chez lui, vous êtes chez vous. Bert habitait avec sa mère une petite maison à la sortie du village. C'était Gilbert et pour tous Bébert. Mais je trouvais que ce surnom lui allait mal, qu'il était trop ordinaire pour ce garçon bourré d'allure et de distinction. Je l'avais appelé Bert en souvenir de mon Capitaine parce que comme lui il était méthodique, organisé, dévoué et, j'allais l'apprendre par la suite, remarquable organisateur.
Il avait été sergent dans une unité voisine de la mienne et une quelconque mission aurait pu nous faire nous rencontrer mais il avait fallu le hasard d'une nomination pour corriger cet oubli de la vie.
Et tous les après-midi il me rendait visite. Jamais il ne se serait permis de me déranger chez moi mais un jour il était venu frapper à ma porte alors que j'étais encore en classe et depuis, chaque soir, par je ne sais quel mystère, juste au moment où le dernier élève quittait l'école je le voyais apparaître au bout du chemin, au coin de la maison des Jouve. Il arrivait à grands pas. Rien qu'à son allure je savais s'il avait des nouvelles à me dire ou simplement son amitié à me donner. Il aimait bien les deux, la seconde naturellement, les premières pour le plaisir.
Il me parlait du village, des gens, des choses, me demandait de ma classe, de mon travail, du match, m'offrait une récréation faite de détente de simplicité et d'humour.