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Le jeune écrivain sénégalais Diégane Latyr Faye vit désormais à Paris. Il y découvre un roman oublié, le labyrinthe de l'inhumain, qui fit brièvement sensation et scandale à sa parution en 1938, et dont on n'entendit plus jamais parler de l'auteur par la suite. Fasciné, Diégane se lance sur les traces de ce mystérieux T.C. Elimane, qualifié de « Rimbaud nègre ». Tandis que sa quête le ramène au Sénégal en passant par l'Argentine, il fréquente avec assiduité un cercle de jeunes auteurs africains, qui interrogent la création littéraire et la place de la littérature africaine.


A force de s'interroger sur ce qu'est un grand livre, il se pourrait bien que Mohamed Mbougar Sarr en ait écrit un. Car La plus secrète mémoire des hommes impressionne à plus d'un titre. Au travers d'une quête vertigineuse qui tient le lecteur en haleine, se déploient une réflexion dont l'intelligence n'a d'égale que l'humour, et une oeuvre dont l'inventivité rivalise avec la beauté de son écriture. Auteurs, critiques, lecteurs… Tous les acteurs tournant de près ou de loin autour des livres se retrouvent au coeur de cette histoire subtilement enroulée autour d'une interrogation existentielle : vivre ou écrire, écrire ou ne pas écrire, en somme être ou ne pas être. Et si, face à « l'incontinence littéraire » qui voit paraître le meilleur comme le pire, l'on peut se poser la question de la valeur de l'oeuvre et de la véritable ambition de l'écriture, l'auteur interpelle aussi plus spécifiquement quant à l'espace dévolu à la littérature africaine, et quant aux difficultés de cette dernière à s'imposer sans se plier forcément aux critères d'appréciation et à la vision du monde tels qu'ils prévalent en Occident.


Tout en multipliant les rappels historiques du déséquilibre de la relation franco-africaine hérité de la colonisation, dans des passages parfois émouvants lorsqu'ils évoquent par exemple les tirailleurs sénégalais engagés aux côtés de la France, le récit incarne littéralement l'aliénation africaine dans le personnage d'Elimane. Cet auteur prodige, encensé, puis anéanti par la critique occidentale, symbolise le drame d'intellectuels africains peinant à s'imposer sans renoncer à s'affranchir des canons de la pensée et de l'écriture occidentales. Il est clairement inspiré de l'écrivain malien Yambo Ouologem, premier Africain à recevoir le prix Renaudot en 1968 pour son livre le Devoir de violence. Cet auteur, dont la vision des rapports de l'Afrique et de l'Occident divergeait du mythe en cours à l'époque, souleva une telle polémique qu'il finit par se retirer dans la discrétion et l'oubli.


Alter ego de Diégane, l'auteur nous entraîne avec une aisance et une décontraction pleines d'humour dans un récit brillant à tout point de vue. La profondeur et l'élégance de la réflexion de cet amoureux des belles lettres, conjuguées à la virtuosité de sa construction romanesque et à la somptuosité de son écriture, m'ont séduite au-delà du coup de coeur.

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L'année dernière, moi qui ne lis que rarement les livres primés, j'avais apprécié le gagnant avec "L'Anomalie" et donc, pour 2021, j'étais bien décidée à découvrir le nouveau Goncourt. On en avait parlé en bien à La Grande Librairie et c'est donc avec fébrilité que j'ai ouvert le nouveau primé.

Je fis comme Hélène, qui Segara… J'ai perdu ma voie, ma route, le fil du récit, je me suis embourbée, j'ai lâché le roman, j'y suis revenue à reculons, les pieds de plombs, je me suis morigénée, me disant que j'allais y arriver… Ben non, loupé de la plus belle manière qui soit !

La qualité de l'écriture n'est pas à mettre en cause, la plume de l'auteur est belle, mais elle était sans doute trop verbeuse, trop ennuyeuse et le récit partait dans trop de direction différente, faisant sauter le GPS de mon cerveau.

Comme ça semblait interminable, cette quête, les stores de mes yeux se sont abaissés tout seuls et j'ai fait une bonne sieste… Ma foi, je retiendrai ce point positif de cette lecture !

Le Goncourt de 2021 n'était pas pour moi, apparemment, je n'en ferai pas une maladie, même devant l'immense étendue des critiques élogieuses (de Babelio ou d'ailleurs) : oui, j'aurais aimé rejoindre la majorité de ceux et celles qui ont appréciés leur lecture, pas de chance, je serai dans le peloton de queue, avec tout les autres qui se sont perdus en cours de route.

Ce n'est pas la première fois que cela m'arrive et ce ne sera sans doute pas la dernière (long soupir).
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Un écrivain questionnant d'autres écrivains, ou critiques, ou éditeurs, à propos d'un livre oublié de tous: mise en abyme, (dont l'image est illustrée par les fromages Bonbel : une vache, aux boucles d'oreille de la boite de bonbel avec une vache, etc, etc,)
Avec le sujet principal : la littérature.
Les livres.
« La plus secrète mémoire des hommes », livre génial, lyrique, tout à la fois chronique, évocation de grands écrivains vrais et d'autres inventés, conte africain mêlant le surnaturel et la nature, constitue aussi, surtout, une réflexion sur le livre, qui perdure après la mort de ses lecteurs, sur le livre qui peut changer une vie, sur le livre qui semble avoir été écrit pour nous, comme tout livre essentiel, et sur le livre à écrire, sauf si l'on ne se croie pas à la hauteur et qu'on préfère se taire .

A l'aide de récits enchâssés, imbriqués les uns dans les autres, le narrateur principal écrivain part à la recherche d'un autre. L'un n'a rien écrit de bien, l'autre a eu un prix littéraire, a été encensé, puis, pour des raisons idéologiques, a été accusé de plagiat.
Mohamed Mbougar Sarr dans « la plus secrète mémoire des hommes »dédie son livre à Yambo Ouologem, (son modèle d'écrivain maudit, prix Renaudot, puis tellement vilipendé- au point que les éditeurs ont brulé leurs stocks et arrêté l'édition pendant plus de 30 ans -qu'il est reparti sans un mot dans les falaises de Bandiagara) dont il change la date de naissance, le pays, et le cours de la vie.

Eh oui, l'écrivain a ce pouvoir, changer le passé, qui pourtant pèse sur les humains. Reste le plagiat, et l'arrêt de l'édition, qui touche l'un et l'autre, les touche au point de disparaître dans le silence. Plagiat dont l'auteur démonte ici les basses manoeuvres et dont il montre les ravages opérés sur T :C Elimane/ Yambo, sans trouver la raison pour laquelle ils ne se sont pas défendus et pourquoi ils se sont définitivement enrobés dans le silence, pourquoi ils ont préféré la calomnie à l'innocence.

Il s'agit de la recherche du passé, ou plutôt des disparus : le grand père dévoré par un crocodile géant, le père, parti à l'instigation de Blaise Diagne défendre, en tant qu'artilleur Sénégalais un pays qui n'est pas le sien, le fils, parti faire ses études en France et rendant folle sa mère par son silence, puis l'autre fille des années plus tard. A ces déchirements, à ces disparitions, à cette recherche sur les traces de ceux qui ne sont plus, s'ajoutent les ruptures de gens qui s'aiment, mais ne peuvent continuer à vivre ensemble, les lettres écrites ou pas en ces temps troublés de 1940, nuit et brouillard, ou pas données à leur destinataire, hasards de la vie, ou plutôt destin.
Le passé nous habite, dit Mohamed Mbougar Sarr, il donne à l'homme la conscience indéfectible de ce qui a été fait et ne pourra se défaire. Les mots sont irrévocables. « M'excuser ? dit il. Cela n'aurait pas effacé les mots. Les mots non plus ne remontent pas le cours du temps pour s'empêcher de naitre. »
Les mots restent indélébiles et irrattrapables.

J'ai conscience de la difficulté que c'est d'essayer d'écrire sur ce labyrinthe, ce qui doit être mis en avant n'étant pas l'histoire, mais la manière savante de MM Sarr d'enchâsser les récits différents, ou récit rapportés par une deuxième, puis troisième personne, en les faisant parler à la première personne, car les prises de parole et les rendus de paroles s'enchainent les unes après les autres.

Monologue d'une phrase de 10 pages digne de Proust, réflexion sur le passé, sur la littérature, et caricature de ce doivent subir les écrivains africains jugés plus par leur couleur que pour leurs qualités littéraires, « eux qu'on sommait d'être africains mais de l'être pas trop, et qui, pour obéir à ces deux impératifs aussi absurdes l'un que l'autre, oubliaient d'être des écrivains, faute capitale. »

Voilà un roman complet, époustouflant par la philosophie qui s'en dégage, son intelligence. Si le narrateur pense que la femme écrivain qui lui offre le livre rare le pousse à écrire, c'est fait, il l'a fait, avec brio.
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Faye, un jeune écrivain sénégalais contemporain s'est pris de passion pour un livre culte publié en 1938 et désormais quasi introuvable, le Labyrinthe de l'inhumain, un livre fantôme dont l'auteur TC. Elimane semble n'avoir été qu'un craquement d'allumette dans la profonde nuit littéraire. Accusé de plagiat, il a brusquement disparu. Qui était-il vraiment ? Un plagiaire honteux, un mystificateur, un assassin, un libertin, un mythe.

Je n'ai pas réussi à entrer dans ce livre, cette quête sans fin pour retrouver un auteur maudit ne m'a pas inspiré. Certes l'écriture est belle, mais je me suis complètement perdu dans ce récit, mélange de croyances et de réalité où chaque personnage porte plusieurs noms. L'auteur aborde des sujets intéressants comme la situation des écrivains africains qui rêvent d'un adoubement du milieu littéraire français, de même cette attirance pour la culture des Blancs qui sème le chaos et la désolation parmi les Noirs. Les pages sur la littérature en générale et sur le sens profond d'un livre m'ont semblées très justes, mais cette grande errance tout au long du livre a fini par m'ennuyer et une fois ma lecture terminée, j'ai eu l'impression de m'être égaré dans un roman qui ne me convenait pas tout simplement.

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Comme souvent avec moi, les évènements qui aboutissent à la lecture d'un livre sont multiples. Il y a d'abord forcément eu l'annonce que le Prix Goncourt 2021 était attribué à Mohamed Mbougar Sarr. Je ne guette pas avec impatience l'annonce des prix de la rentrée, mais en amoureux des livres, je ne peux être longtemps tenu à l'écart de l'information. J'avais aussi entendu que le Prix faisait partie de ceux qui avaient divisé les lecteurs. Pas suffisant pour me faire me précipiter chez le libraire, mais assez pour inscrire le nom du livre dans ma mémoire.

Autre circonstance beaucoup plus fortuite, mon épouse passe dans une friperie, un tas de livres abandonné et un peu abimés, la vendeuse lui dit qu'ils vont les jeter, elle peut les prendre si ça l'intéresse. Elle prend le tout, trois ou quatre livres et dedans évidemment La plus secrète mémoire des hommes, comme rongé à un coin par des souris, égratigné comme il le fut par certaines critiques.

Les circonstances m'obligeaient donc à prévoir une lecture prochaine et une inscription en livre A lire... et MaggyM en profitait pour me le choisir en lecture de challenge, la boucle était bouclée, le chemin du livre vers moi s'était tracé.

Je commençais donc la lecture et rapidement, l'enchantement. Un livre sur la littérature et les écrivains, recette facile mais diablement efficace pour intéresser les lecteurs. Un style varié, fait de très beaux morceaux de littérature, de passages parfois bien plus rentre-dedans, un auteur qui ne recule pas non plus devant la description des scènes de sexe, tout en finesse et sensualité.... L'évocation de nombreux noms d'auteurs africains me donne envie d'aller rapidement vérifier si ils sont totalement inventés ou plus directement inspirés d'auteurs réels... et sous un article consacré au livre, je tombe sur un commentaire, plussoyé par un autre lecteur, qui évoque "un auteur qui coche toutes les cases (Africain, musulman, anticolonialiste crachant sur la France), N'y a-t-il plus d'auteurs en France ?"... Je reste sidéré, me dit que c'est forcément quelqu'un qui n'a pas lu le livre, mais retrouve plusieurs commentaires du même genre un peu partout... Je revérifie la liste des Goncourt pour m'assurer que je vis bien dans le même monde que ces gens... Je suis rassuré, 4 auteurs que ces gens qualifieraient d'"étrangers" depuis 2000, les auteurs français cochent encore plus de cases, rassurez-vous messieurs...

La découverte de cette mouvance de lecteurs me fait comprendre une partie de la polémique du livre que je n'avais pas vraiment imaginé, comme quoi nous ne vivons en effet pas dans le même monde. En vérifiant sur Babelio, je me rassure un peu en voyant que les mauvaises critiques pointent des défauts plus littéraires selon eux.

Cela guide malgré moi ma lecture et je me confirme au fil des pages que le récit n'est aucunement anticolonialiste... mais qu'il vient bien sûr interroger l'influence de la colonisation et des apports culturels européens sur les auteurs africains. L'auteur ouvre le livre en évoquant la difficulté pour les auteurs africains d'être vraiment acceptés par la critique occidentale et surtout par ce qui est attendu d'eux ou ce qu'on critique particulièrement chez eux. Et j'ai trouvé amusant le fait qu'il semble tout le long du texte distiller ces attendus : les récits « exotiques » remplis de magie rituelle ; les mots extrêmement savants dont certains auteurs d'Afrique parsèment leurs romans, comme s'il fallait démontrer qu'on écrit mieux qu'un Français… Mais il y imprime aussi et surtout sa patte et démontre qu'il est un écrivain à part entière, loin des stéréotypes.

Et pour revenir à Babelio, c'est cette patte qui me semble avoir été mal comprise. Certains critiquent une certaine complexité dans le style, une difficulté à se retrouver dans les narrateurs qui brouillent les repères et perd le lecteur. Je conseille à ces lecteurs de ne jamais s'attaquer à Faulkner et de ne même pas approcher Joyce, de peur qu'ils leur donnent une note négative en étoiles… J'ai personnellement apprécié le choix des récits dans le récit, de ces narrateurs qui nous narrent ce que quelqu'un avait raconté à quelqu'un d'autre qu'il leur a ensuite retranscrit , comme une métaphore du rôle de passeur que remplit la littérature avec ses messages qui traversent les siècles en passant entre les mains des auteurs, les yeux des lecteurs et les bouches des critiques.

Parce que, au-delà d'une enquête à la recherche d'un auteur maudit à travers trois continents, au-delà d'un récit où l'on peut voir des auteurs africains exprimer des positions très variées et pas du tout stéréotypées sur les apports ou les erreurs de l'Occident envers leur continent, c'est surtout une vraie ode à la littérature que ce roman, parce que comme le dit si bien l'auteur, puisque « aucune blessure n'est unique », puisque tout « devient affreusement commun », la littérature est certes dans une « impasse » mais que c'est bien dans celle-ci qu'elle a « une chance de naître ». Pour ces mots, pour cette plongée avec son lecteur dans ce qui fait l'essence de l'humanité, Mohammed Mbougar Sarr coche toutes les cases de ce qui fait pour moi un lauréat mérité du Goncourt, en effet.
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Diégane Faye a quitté le Sénégal pour accomplir son destin d'écrivain. Lorsqu'il tient entre ses mains le labyrinthe de l'inhumain, roman d'un auteur maudit écrit quatre-vingts ans plus tôt, il est loin se douter de l'impact de cette découverte sur sa propre vie. Il s'engage presque malgré lui dans une enquête abyssale qui lui fera parcourir le monde à la recherche T.C Elimane, le mystérieux romancier banni.

Le mystère qui entoure l'histoire du roman encensé puis rejeté pour plagiat, ne se borne pas à une traque de l'auteur, mais aussi à de nombreuses interrogations sur les décès par suicide qui ont suivi cette affaire…

Tout est prétexte autour de cette intrigue à parler de la littérature, de la définir, de cerner ses limites, de mettre en évidence la subjectivité de ceux qui en jugent la valeur (la critique littéraire est un point central de cette analyse). Et tout cela est incrusté entre les lignes sans jamais susciter un sentiment de pédantisme ou pire, de copié-collé ! du grand art et la preuve d'une culture remarquable.

Les pérégrinations nécessaires pour pister l'auteur disparu permettant aussi de se plonger au coeur de la grande histoire, et d'aborder les questions du colonialisme, et des heures sombres de l'antisémitisme en France. Deux facettes d'un racisme appliqué et destructeur.

Le débat sur la question du plagiat revient sans cesse et est argumenté avec ferveur.

« Toute l'histoire de la littérature n'est-elle pas l'histoire d'un grand plagiat ? ».

Tout a déjà été écrit et le sera à nouveau. C'est tout l'art de l'écrivain de construire de la nouveauté sur les sédiments des oeuvres de ceux qui l'ont précédé. Avec discrétion :

« le labyrinthe de l'inhumain affiche trop ses emprunts. C'est son péché. Être un grand écrivain n'est peut-être rien de plus que l'art de savoir dissimuler ses plagiants et références »

Cette quête du sens riche et érudite est réjouissante et le succès amplement mérité.
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Écrire sur la littérature, voilà un beau sujet que Mohamed Mbougar Sarr maîtrise revêtu des habits d'un brillant étudiant sénégalais en quête d'un graal littéraire et du livre qui le sortira de son purgatoire littéraire. Si cela prend parfois le ton jargonnant et érudit d'un khâgneux c'est le plus souvent la fluidité, la pertinence, l'universalité de la réflexion qui suscitent l'intérêt. le narrateur bien que toujours plein de sa quête prend des chemins de traverse passant de la France au Sénégal et en Argentine avec des sujets aussi divers que le plagiat, la colonisation, la Grande guerre, le nazisme, la Shoah ou encore la condescendance (pour ne pas dire plus) des écrivains blancs vis à vis de leurs alter ego noirs, un sujet sur lequel le narrateur philosophe autant qu'il ironise. Sans aucun doute La plus secrète mémoire des hommes est un roman ambitieux où par des mises en abyme labyrinthiques Mohamed Mbougar Sarr montre qu'Il est cet auteur africain qui se regarde réfléchir et tente de se faire une place dans la littérature occidentale. Un pari réussi puisque les jurés du très convoité prix Goncourt ont récompensé son travail.
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Consacrée par le plus convoité des prix littéraires, cette oeuvre d'un jeune écrivain sénégalais nommé Mohamed Mbougar Sarr suscitera autant de réactions d'incompréhension que d'avis enthousiastes. Nombre de lecteurs ne franchiront pas les cent premières pages. Bien qu'habitué à chroniquer chaque année le Goncourt, je m'y suis moi-même plongé avec un peu d'appréhension, imaginant pour je ne sais quelle raison un livre cérébral, trop intelligent pour moi.

Dans La plus secrète mémoire des hommes, le narrateur, Diégane, est un double de l'auteur. Il est sur la trace d'un écrivain compatriote, T.C. Elimane, tombé dans l'oubli après la publication en France, en 1938, d'un ouvrage mythique introuvable, le Labyrinthe de l'inhumain. Trois générations les séparent et ils ne se rencontreront pas. Diégane reconstituera les origines et le parcours de son devancier, grâce aux confidences d'une écrivaine plus âgée. Elle-même ne connaît Elimane que par ce que lui ont rapporté une poétesse haïtienne et une chroniqueuse française, croisées des années plus tôt. On dispose aussi des témoignages d'une danseuse nue, d'un couple d'éditeurs juifs, d'une mère sombrant dans la démence et d'un voyant nonagénaire non-voyant…

… Vous me suivez ? Il est vrai que la trame est compliquée et ce n'est rien à côté du texte. Sa lecture impose un effort d'attention soutenu. Sans trop s'embarrasser des transitions, MMS s'est fait un malin plaisir d'enchâsser des dialogues et des récits datant d'époques différentes à Paris, Amsterdam, Buenos Aires ou Dakar.

Une fois cette complexité surmontée, l'écriture est sublime. MMS sait décocher des mots inattendus, balancer des métaphores éblouissantes, tout en livrant une prose limpide, légère, accessible, dont les lignes et les pages défilent sans aspérités. le charme de la lecture est si captivant qu'on en perd par moment le fil général de la narration, comme on peut s'égarer, lors d'une belle promenade, quand nos sens nous font oublier le chemin.

Sous son nimbe poétique, La plus secrète mémoire des hommes est un roman, l'histoire d'un personnage de fiction, inspiré d'une histoire vraie. C'est aussi la réflexion d'un écrivain sur les écrivains, sur l'acte d'écrire, sur l'impératif d'un exil réel ou symbolique pour l'accomplir. C'est en même temps la quête d'un jeune écrivain africain francophone, qui s'interroge sur le dénominateur commun à ces trois qualificatifs : écrivain, africain, francophone.

Dans la France de 1938, la plupart des chroniqueurs littéraires trouvaient impensable qu'un Africain fût l'auteur d'un chef-d'oeuvre, sauf à avoir pillé des textes existants. Aujourd'hui soucieux de s'afficher dans l'air du temps, ils le portent d'office au pinacle médiatique. En Afrique, ce même écrivain francophone fera la fierté des siens… ou sera montré du doigt, pour avoir choisi de réussir selon des critères occidentaux, ceux de l'ancienne puissance coloniale. Question : le texte de Mohamed Mbougar Sarr est-il un plaidoyer pour la littérature universelle, ou recèle-t-il une revendication qui en réserverait l'accessibilité aux seuls lecteurs africains ? Autrement dit, ma chronique est-elle légitime ?

« Un grand livre ne parle jamais que de rien, dit l'un des personnages, et pourtant tout y est ». Tout ! MMS a mis tout ce qu'il a pu dans La plus secrète mémoire des hommes ! Notamment un long monologue obsessionnel à la Faulkner ou à la Bernhard, des pages qui surprennent, mais en l'occurrence légitimes. On y trouve aussi sur un strapontin les écrivains Gombrowicz et Sabato, et on se demande ce qu'ils viennent y faire. Même remarque pour l'officier nazi amateur de littérature ou pour la malédiction à la Rascar Capac. Des accessoires qui prennent trop de place ou pas assez.

La plus secrète mémoire des hommes est un livre riche, envoutant. Sa profusion, son questionnement, son lyrisme avaient de quoi séduire les jurés. C'est un livre exceptionnel – au sens d'exception –, mais il reste imparfait. le risque est pourtant qu'il ait absorbé tout le potentiel littéraire de l'auteur. Son inspiration est-elle renouvelable ou est-il déjà condamné à ne plus écrire, comme Elimane avant lui ?

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Livre abandonné au bout d'une centaine de pages.
Une collègue en avait parlé avec enthousiasme, mais je n'ai pas éprouvé de plaisir du tout à cette lecture.
Les phrases de deux ou trois pages sans aucune ponctuation m'ont vite perdue et lassée, de même que le niveau de vocabulaire, qui montre que l'auteur a une immense culture, mais c'est rapidement devenu pénible de devoir avoir recours au dictionnaire.
Le côté mystérieux dont ma collègue m'avait parlé doit avoir lieu plus loin dans le roman, je ne l'ai pas ressenti, je suis donc très déçue et j'ai préféré passer à autre chose.
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"La plus secrète mémoire des hommes" est un livre que j'ai vu de nombreuses fois passer parmi les retours des Babelpotes, retours aussi bien négatifs que grandiloquents. Comme les Goncourt et moi, ça fait souvent deux (voire même trois ou quatre...), je n'étais pas tellement pressée, ni motivée à le découvrir par moi-même. C'est encore une fois ma bibliothécaire qui m'a poussée à le prendre, à mettre de côté mes réticences. Et j'ai finalement bien fait : malgré un début cahoteux, je ne regrette pas du tout car j'ai finalement beaucoup aimé.

Diégane Latyr Faye est un jeune écrivain d'origine sénégalaise, que son premier et seul roman a peut-on dire fait un flop. le destin lui met entre les mains "Le labyrinthe de l'inhumain", manuscrit d'un certain T.C. Elimane publié en 1938. À peine sorti, ce livre a fait beaucoup parler avant de disparaître complètement de tous les rayons littéraires, son auteur déjà peu démonstratif à l'époque ayant lui aussi disparu des radars. Aujourd'hui, malgré ses recherches, Diégane ne parvient pas à retrouver la trace de cet auteur. Une piste s'offre à lui, il ne manque pas de la saisir. Débute alors son enquête...

Pour un livre complexe, c'est un livre complexe, au point que je ne sais comment commencer ce billet. Car ce roman est bien plus qu'une enquête, c'est aussi une quête Du Livre essentiel, celui qui donne un sens à sa vie d'écrivain, celui pour lequel on donne tout, celui que le lectorat ne peut oublier, celui qui fait sa renommée. Tel "Le labyrinthe de l'inhumain" de T.C. Elimane, Diégane part à la recherche du sien, en même temps qu'il veut absolument retrouver ce "Rimbaud nègre" qui a tant fait polémiquer.

Plongés en plein coeur du monde littéraire, de la francophonie africaine essentiellement, Diégane n'hésite pas pour autant à nous balader aux quatre coins du monde, les pistes le menant à Amsterdam ou en Argentine avant d'atteindre sa destination finale. Par le biais de ses recherches, il nous présente ses relations, leur histoire et leur passé. C'est ainsi qu'on fait connaissance avec Siga D., écrivaine d'origine africaine, qui détient de nombreuses clés pour les recherches de Diégane.

Comme je le dis plus haut, le début a été chaotique, tout le livre premier en fait (le roman se découpe en trois livres), soit les 120 premières pages. Diégane en est le seul narrateur, et ce dernier a eu vite fait de me taper sur les nerfs : le style d'écriture pompeux et le vocabulaire bien trop recherché font de lui un personnage irritant. J'ai d'abord pensé que son enquête n'était en fait qu'un prétexte pour déblatérer sur des sujets pseudo-philosophiques qui n'ont aucun rapport avec le fil rouge de l'intrigue première. Ses réflexions intérieures et répliques tout en formules partent dans tous les sens, il fait digression sur digression, en employant des mots que personne n'utilise (je m'étais d'ailleurs fait la remarque que ce mec a raté sa vocation, c'est non pas vers l'écriture mais vers la politique qu'il aurait dû se diriger...). Bref, ce livre premier a été pour moi désagréable au plus haut point, long et fatigant.

Mais à partir du second livre, Diégane s'efface et laisse la parole aux autres protagonistes. On change de ton autant qu'on change de narrateur, le rythme est plus cadencé et la lecture bien plus agréable. Et malgré le changement de narrateur sans prévention aucune ni même transition, j'ai tout de suite accroché et n'ai plus voulu lâcher ma lecture. L'enquête sur Elimane et la quête personnelle de Diégane ne font plus qu'une. Et ce dernier paraissant moins condescendant que précédemment, j'ai enfin pu commencer à l'apprécier et à mieux le cerner.

L'enquête sur Elimane, bien qu'on veuille tout de même savoir ce qu'il est advenu de lui, n'est finalement pas le plus intéressant. J'ai aimé avant tout l'histoire de Siga D., l'aura mystique qui se dégage au sein même de l'intrigue, la psychologie des personnages.

Ce roman, quelque peu complexe dans sa structuration (notamment pour la narration à la première personne qui passe d'un narrateur à un autre sans crier gare) mais travaillé et abouti, nécessite clairement un minimum d'attention et de concentration, mais l'ensemble reste fluide et attrayant (presque) tout du long (sauf le livre premier en ce qui me concerne). J'ai tourné la dernière page avec une impression globale très positive.

Mohamed Mbougar Sarr a incontestablement un don d'écriture. Sa plume recherchée, minutueuse, riche se découvre avec délectation au fil des pages. Quelque peu alambiquée et pédante au premier abord, elle se veut finalement étoffée et stylisée. Je suis petit à petit tombée sous son charme et ai appris à l'apprécier de plus en plus au fil de ma lecture.

Si j'avais abandonné ma lecture pendant le livre premier, ce que j'ai failli faire plusieurs fois, je n'aurais pu dire que "Encore un Goncourt décevant !". Je pense pouvoir dire maintenant qu'il m'arrive peu souvent de rencontrer des plumes contemporaines aussi savantes, ce qui m'a certainement perturbée et lui a demandé un certain temps pour m'apprivoiser. En tous les cas, je me félicite d'avoir persévéré, car je crois bien que c'est la première fois que j'accorde autant d'étoiles à un prix Goncourt !
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