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3,8

sur 2910 notes
Diégane, jeune écrivain, découvre en 2018 un livre très rare, peu édité (et sous le manteau à l'époque, en 1938) dont le titre déjà le fascine : « le Labyrinthe de l'inhumain », le seul livre de l'auteur T.C. Elimane dont on a perdu la trace depuis très, très longtemps ? On pense d'ailleurs qu'il est peut-être décédé.

Encensé dans un premier temps, par quelques critiques littéraires (rares il faut bien le préciser), il va ensuite se démolir avec un acharnement qui dépasse l'imagination, mais on est en 1938, période coloniale qui méprise l'Afrique et les Africains.

Les critiques que l'auteur prête au livre de T.C. Elimane a sa sortie sont tellement fortes et méchantes qu'on se demande si l'auteur est uniquement le fruit de l'imagination de Mohamed Mbougar Sarr ou s'il a vraiment existé. En fait, l'auteur s'est inspiré l'histoire vraie du Malien Yambo Ouologuem premier romancier africain à recevoir le Prix Renaudot en 1968 pour son roman « le devoir de violence » lui aussi accusé de plagiat ; il est impossible que l'auteur soit Noir (les mots sont bien plus terribles !) … voici quelques exemples :

"Soyons francs : on se demande si cette oeuvre n'est pas celle d'un écrivain français déguisé. On veut bien que la colonisation ait fait des miracles d'instruction dans les colonies d'Afrique. Cependant, comment croire qu'un Africain ait pu écrire comme cela en français ?"

D'autres disent de lui qu'il est un Rimbaud nègre… et d'autres :

"Un nègre, une créature à peine plus élevée qu'un primate sur l'échelle de la civilisation, qui voulait écrire."

On rencontre par exemple Siga qui vit à Amsterdam et possède un exemplaire du livre d'Elimane et la rencontre entre Diégane et celle qu'il surnomme « l'araignée mère » est savoureuse. On fait aussi la connaissance de jeunes écrivains francophones venus d'Afrique qui dissertent entre eux.

Peu à peu, Diégane va se lancer sur les traces d'Elimane et essayer de mieux le connaître, à travers des personnes qui l'ont côtoyé, connu, certains haut en couleurs, notamment des femmes et en même temps Diégane nous parle de lui, de sa famille de son pays nous faisant voyager en France mais aussi au Sénégal, jusqu'en Argentine pour retrouver la moindre trace, le moindre secret… on visite les lieux mais aussi l'Histoire du siècle, avec ses guerres, ses horreurs, la Shoah, la colonisation…

Parfois, on a l'impression d'être dans une impasse, le livre ronronne, mais Mohamed Mbougar Sarr sait rebondir, ramener un autre témoignage, et ainsi un autre pan de l'histoire de T.C. Elimane que l'on trouve tantôt sympathique, tantôt casse-pieds mais qui ne laisse jamais indifférent.

J'ai bien aimé sa notion de biographème également : il nous donne de courtes biographies, parfois une simple réflexion, une mini dissertation sur une idée parfois obscure qui désoriente le lecteur, mais éveille sa curiosité. Par ailleurs, l'auteur joue avec la police d'écriture, et avec l'italique, le caractère gras ou non, les majuscules et les minuscules etc…

Ce livre se mérite, s'apprivoise même, en dépit des longueurs, car l'écriture est très belle. Je craignais un effet « Boussole » : le livre de Mathias Enard qui m'intéressait beaucoup mais que je n'ai jamais réussi à terminer, à cause de l'érudition du musicologue : la table de ma salle à manger disparaissait sous les post-it, les notes, que j'accumulais dans un cahier à côté…Le plaisir de la lecture avait fini par s'envoler à mi-parcours.

Avec Mohamed Mbougar Sarr, je me suis laissée porter par cette « plus secrète mémoire des hommes », emportée par cette plume magique. C'est une déclaration d'amour à la littérature. Je l'ai emprunté à la médiathèque dans un premier temps et quand j'ai vu le nombre de post-it, de citations qui me plaisaient, j'ai fini par l'acheter, car c'était une évidence, je voulais le garder, pouvoir le relire… Et cerise sur le gâteau, le côté magique du récit, les légendes, m'ont donné envie de ma plonger davantage dans la littérature africaine, sans oublier d'aller explorer le roman et la vie de Yambo Ouologuem

Cela fait trois semaines que je l'ai refermé et que je médite sur ma chronique qui, une fois de plus, ne me satisfait pas, mais il arrive un moment, il faut arrêter de peaufiner. Comme je l'ai déjà dit, ce livre s'apprivoise et le voyage est tellement beau qu'on ne regrette pas d'avoir embarquer dans le bateau ou l'avion comme on veut en compagnie de l'auteur. J'ai beaucoup aimé, je persiste et signe, n'en déplaisent aux esprits grincheux qui trouve le ton de l'auteur trop pompeux, ampoulé.
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Dans ce roman, l'auteur rend hommage à Yambo Ouloguem, auteur malien récompensé du prix Renaudot pour "Le Devoir de violence". le livre lui est d'ailleurs dédié.

Dans "La plus secrète mémoire des hommes" Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique "Le labyrinthe de l'inhumain", paru en 1938. Fasciné par ce roman, Diegane part à la recherche de son auteur T.C Elimane, disparu après des accusations de plagiat. On le suit au Sénégal, en France, en Argentine, à Amsterdam.

Ce livre amène des réflexions sur le pouvoir de la littérature, sur l'importance qu'elle peut avoir dans la vie, sur le devoir d'écrire ou pas. L'écriture est belle mais je l'ai trouvée confuse, j'ai regretté un manque d'unité. L'auteur mélange de nombreux styles, genres, un peu comme s'il voulait montrer toute la palette de son talent mais je trouve que cela perd un peu le lecteur. le vocabulaire est riche, j'avoue avoir découvert moult mots, surtout au début, mais n'est pas soutenu pendant tout le roman, beaucoup d'érudition donc dans ce livre, prétention ? me suis-je demandé parfois.

Beaucoup de thèmes aussi dont le colonialisme avec ses tragédies, le nazisme, la Shoah...

A l'image du titre d'Elimane "Le labyrinthe de l'inhumain", ce roman est un véritable labyrinthe de lecture.
Les narrateurs changent, on ne sait plus trop qui parle à certains moments, cela demande un petit effort de concentration, pas trop dérangeant quand-même. Des phrases à n'en plus finir parfois...

Le livre est dense, ambitieux mais pour moi, il y en a "trop". Mon avis est mitigé, j'aurais aimé plus de simplicité, de fluidité.
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Un livre qui m'a sérieusement intéressé, mais sans me plaire vraiment.

Ce roman pose surtout la question de la connaissance. Que savons nous, que pouvons nous savoir ? En particulier, que pouvons-nous savoir de la vie des hommes, de leur être, de leur origine et de leur but ? Même quand il s'agit d'êtres aimés, même quand il s'agit de nous-mêmes. Même, oui, même et peut-être surtout quand il s'agit d'écrivains qui disent aller à la conquête d'un savoir, et qui affirment le divulguer entre deux couvertures.

Question débattue depuis des millénaires, et sans doute même avant l'apparition de l'écriture. le personnage central est happé par ce mystère après avoir appris l'existence d'un livre mystérieux, un roman écrit par un auteur encore plus insaisissable que son livre. Il rencontre, par des chemins de traverse, diverses personnes qui auraient rencontré l'auteur. Toutes ont été marquées, souvent mortellement, par ces rencontres. Au fil du livre, le personnage de l'auteur prend des allures de plus en plus fantastiques, puis maléfiques. La connaissance, ce trésor si fiévreusement recherché, serait-elle une leurre? Qu'y a t-il au bout de ce chemin? Un monstre ? le néant ? Ou quelque chose de pire encore ?

Ecrire, c'est rechercher une vision des choses, une compréhension, donc une forme de connaissance, et celle-ci a maintenant pris un caractère mythique. Si elle existe, on peut peut-être l'approcher, la vivre, à ses périls, mais on ne saurait la dire, la communiquer. Ecrire serait aussi inévitable qu'inutile, et toujours coûteux. L'écrivain prend alors des allures de preux chevalier partant à la quête d'un Graal qu'il sait introuvable et dont la recherche demeure indispensable.

En tant que lecteur, je n'ai pas vraiment aimé. Il y a, d'abord, ces énumérations interminables, que l'auteur semble apprécier. Avalanches, éboulements, inondations de mots qui noient la page. Pourquoi ? Ensuite, la structure du texte, surtout dans les “biographomènes” ( merci !) est d'une complexité qui rend la lecture franchement pénible. Des histoires renvoient à d'autres histoires, certaines dites, d'autres à venir, d'autres encore qui ne viendront pas… Ce n'est plus une rivière, c'est un delta .C'est un agencement de palabres. Mais ce qui m'a réellement tenu hors du livre, c'est la vision du monde qui paraît en particulier dans les biographomènes. Une vision magique, un monde peuplé d'esprits, partiellement invisible, un monde bien loin d'être contrôlable par l'homme, qui n'est au fond qu'un fétu de paille emporté par le cours des choses, le jouet de quelque puissance entièrement inapprochable et totalement incompréhensible.Pour moi, l'homme est un acteur dans le monde, même plus : un sujet. le monde est ( au moins partiellement ) compréhensible. Nous ne sommes ni des objets ni des entités sans conséquence. Je ne sais si la vision “ magique” des choses est partagée par l'auteur, mais elle m'est profondément antipathique.

Donc, je n'ai pas beaucoup aimé.Mais j'ai lu avec intérêt. Mohamed est certainement un grand écrivain . Que nous venions de mondes par trop différents pour que je puisse souhaiter le lire encore ne change rien à cette réalité.
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Voici un livre bien surprenant, à multiples facettes. Diégane est fasciné par un livre écrit en 1938 et il n'aura de cesse de découvrir qui était T.C. Elimane, qui n'a plus donné signe de vie après la parution de son roman. Il s'aperçoit assez vite qu'il n'est pas le seul à rechercher des traces de cet auteur. Un jour, il rencontre Siga, qui apparemment en sait beaucoup plus que lui. Au fil du temps, elle va lui dévoiler tout ce qu'elle sait.

Nous avançons donc avec Diégane, et nous en apprenons de plus en plus sur cet écrivain, ce Rimbaud nègre…

L'enquête en elle-même est déjà une très belle histoire, chacun mène sa propre quête, les raisons ne sont pas identiques… Mais en plus, nous suivons aussi d'autres personnages qui ont eu un lien avec T.C. Elimane. Diégane viendra-t-il à bout de cette énigme, arrivera-t-il à percer le mystère ?

Nous avons de temps en temps des échos de l'époque où le livre est paru ! Quelle horreur, ces gens qui ont osé parler de « Rimbaud nègre » de « littérature africaine » qui devrait être à l'image que le blanc s'en fait…

En outre, de tout ce roman émane une telle érudition que c'est un vrai plaisir, une véritable plongée dans la littérature et une enquête passionnante avec des rebondissements incroyables et évidemment quelques questions sociétales.

Bref un roman sublime dans les milieux de l'édition, avec cette quête surprenante où se mêlent quelques pincées de sorcellerie, la fascination d'un jeune pour un auteur, et le ressenti d'un écrivain qui a été adulé par certains et refoulés par d'autres mais qui s'est toujours senti incompris ! On relèvera aussi quelques passages qui soulignent le racisme ordinaire de personnes qui jugent du haut de leur supériorité de « blancs »…

À lire confortablement installé(e) dans un transat, pieds nus dans le sable chaud, en grignotant des Khérou Touba accompagnés d'un verre de Dolo (bière de mil) ou d'un thé… Bonne lecture !



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Écrivain fantôme.

Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, à découvert un ouvrage mythique à Paris. Il s'agit de "Le Labyrinthe de l'inhumain" paru en 1938. Toutefois, l'auteur à disparu sans laisser de traces. Diégane part à sa recherche.

Ce livre est complexe. Pour moi il est à la fois un roman (la quête de Diégane) et un essai sur la condition de l'écrivain. J'ai eu beaucoup de mal à imaginer une critique pour ce livre. Comment critiquer un livre qui propose deux contenus sommes toutes assez différents? J'analyserais ces deux aspects séparément.

Commençons par le roman en tant que tel. Je suis mitigée. En effet, je trouve les passages avec Diégane longuets et avec une forte lourdeur dans le style. de plus, l'auteur ne cache pas que Diégane est son double. C'est pourquoi, je ne me suis pas attachée à lui et ne l'ai vu que comme un faire-valoir destiné à faire avancer l'histoire. Cet aspect étant accentué par le téléphone arabe entre les différents protagonistes. En effet, une bonne moitié du roman consiste à uniquement écouter les souvenirs des différents personnages. J'ai cependant beaucoup aimé le deuxième livre qui avait un style agréable et fluide. A cela s'ajoutait le fait que les histoires étaient passionnantes. La déception du troisième livre n'a été que plus brutale, avec le retour du style lourd et de l'histoire peu intéressante.

L'aspect essai était à l'inverse très bon. Mohamed Mbougar Sarr questionne la place de l'écrivain dans la société, plus spécifiquement de l'écrivain africain dans la société française. L'écrivain africain subit un paradoxe. Il veut absolument être reconnu par ses pairs français, ces derniers ne le prenant pas au sérieux, sans pour autant renier ses origines. C'est là la tragédie du "Labyrinthe de l'inhumain". D'abord porté aux nues, il sera ensuite dénigré car supposé plagiaire et trop africain. le milieu germanopratin parisien se refusant à prendre au sérieux T.C Elimane car noir et issu d'une colonie. La problématique majeure des écrivains africains d'aujourd'hui étant d'essayer de s'émanciper de la tutelle littéraire des écrivains parisiens et de mettre en avant leur culture.

En bref, un livre très complexe sur un questionnement lui-même très complexe. Je donne deux étoiles à la partie roman et quatre étoiles à la partie essai, ce qui donne 3, 5 de moyenne.
Edit: cette note est aussi liée à mon ressenti personnel global.
Edit 2: Modification de mon erreur de calcul.
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Le début m'a plu avec ce roman d'un écrivain fantôme. Et puis cet étalage d'auteurs « qui fait bien » m'a énervée. Un bel argument commercial que d'avoir comme sujet la littérature pour un produit destiné à des lecteurs, sans oublier d'y mettre, mine de rien, le nom de Busnel. Trop de personnages, trop d'époques, trop de lieux, trop de bavardages, trop de chemins. le troisième tiers je l'ai survolé, ne cherchant même plus à savoir qui était le narrateur et qui était qui. Mon avis : tout ça manque de simplicité et pourquoi le mot imposteur m'a martelé le cerveau tout le long de cette lecture ? ⭐️ ⭐️
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Avant d'avoir fini ma lecture, je cherchais comment parler de ce livre qui me laissait perplexe.
L'article de Télérama ne m'aida pas : “La recherche de Diégane bute sur des déchirements identitaires et une altérité saccagée par le passé colonial, enclot une méditation sur la puissance déraisonnable de la littérature…” nous dit Youness Bousenna, certes mais encore ?

Comment faire un 326ème commentaire de ce Goncourt, en trouvant un angle nouveau ?
Peut-être pourrais-je vous mettre en regard deux chroniques de babelami(e)s en les opposant pied à pied. Mais quel labeur que d'essayer de mettre en regard la longue chronique positive de HordeDuContrevent et celle, négative, de Christophe bj. par exemple !

Peut-être pourrais-je vous sélectionner les idées de plusieurs chroniques et les passer au laminoir de mon avis, mais pour obtenir un résultat bien ennuyeux !

Peut-être pourrais-je vous proposer de faire un salmigondis de mots peu usités du livre pour tenter un : "Grand poème épique écrit en hexamètres dactyliques (à césure trochaïque) et rempli de vocables oubliés.”
Mais ce mélange disparate et incohérent ne serait-il pas indigeste ?

Et puis trois pages avant la fin, arrivé à l'épilogue, Diégane nous dit à propos du second livre de T.C. Elimane : “Il débute somptueusement. J'étais persuadé de tenir là le chef d'oeuvre véritable que je cherchais. Mais après quelques pages tout change : le livre s'égare et ne retrouve jamais sa voix…”

Ce n'était pas la première fois que j'avais l'impression que Mohamed Mbougar Sarr nous relatant la quête du livre graal de T.C. Elimane, nous parlait en fait de l'accueil fait au livre que j'étais en train de lire comme dans une mise en abyme : “La plus secrète mémoire des hommes”.

Parfois les avis des chroniqueurs, tel celui de Vigier d'Azenac du Figaro à propos de T.C. Elimane s'apparentaient à certains avis de babeliotes : “Se prenant pour un maître-artificier d'une langue dont il ne domine que insuffisamment le feu subtil, finit par s'y brûler les ailes.”
Ailleurs, c'est Tristan Chérel, un autre critique littéraire dans le roman dit encore : “ Il est dommage qu'un auteur manifestement doué ait préféré s'enfermer dans un vain exercice de style et d'érudition plutôt que de donner à entendre ce qui nous eût davantage intéressé : les pulsations de sa terre.”
Plus loin encore, c'est Grombrowicz, qui convoqué, écrit à propos du “Labyrinthe de l'inhumain” : “On se perd dans son labyrinthe (même s'il est inhumain) avec bonheur, malgré toutes les inutiles virtuosités de premier de la classe qui a tout lu.”

Et lorsque Sarr parle du monde de la littérature, des : "Écrivains, qui avaient banni de leur travail toute exigence de langue ou de création, se contentant de produire de plates copies du réel qui ne demandaient aucun effort poussé à l'abstraction omnipotente et tyrannique qui s'appelait “le lecteur”; et la masse des lecteurs, qui cherchaient dans les livres un plaisir facile, divertissant, cousu d'émotions simples moulées dans des phrases simplifiées, - celles, disait Sanza, qui excédaient rarement neuf mots, ne s'écrivaient toujours qu'au présent de l'indicatif et bannissaient toute subordonnée ; et les éditeurs, valets du marché, occupés à susciter et vendre des produits formatés plutôt que d'encourager la singularité littéraire.”
Nul ne doute qu'il se définit à contrario, revendiquant d'avoir fait une oeuvre éloignée de cela !

Je peux arrêter ici ma chronique tant ces citations traduisent mon avis complexe, car cette quête existentielle avec la passion de la littérature comme leitmotiv m'a cueilli au début avec son style flamboyant, insolent, son humour sur la couleur de peau de l'écrivain.
Mais vers le milieu lorsque Siga D. délègue sa parole à d'autres sources, elle laisse la place à une polyphonie de narrateurs et à une chronologie heurtée qui m'ont perdus.
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"C'est le regard porté par l'autre sur soi qui nous rend étranger à nous-mêmes" (Frantz Fanon)

Le jeune Mohamed Mbougar Sarr voulait jouer dans la cour des grands et réussit avec panache à y pénétrer! Trop prématuré se sont écriés certains ; trop favorisé par l'injonction, de bon usage aujourd'hui, à donner une meilleure «visibilité» aux minorités, l'ont estimé d'autres ; ou bien trop présomptueux, trop narcissique, alambiqué et réservé à un groupe de happy few… Jusque-là rien de surprenant, n'est-ce pas ? Les distinctions déclenchent invariablement, à côté de la cohorte habituelle de louanges, un certain nombre de réactions de contestation quant à leur bien-fondé ou à leur légitimité, et comme on le sait bien par ailleurs, en littérature il n'existe de toute façon aucune oeuvre, petite ou grande, primée ou pas, susceptible de créer un consensus parfait (même le «Petit Prince» ou «Harry Potter» n'y sont pas parvenus !!). C'est ainsi : autant d'avis que de lecteurs, et c'est peut-être tant mieux!
Pour revenir au jeune Mohamed et à son exploit, il faudrait aussi rajouter que son meilleur copain et maître du jeu, l'y ayant guidé et inspiré, fut ni plus ni moins que le grand Roberto! Oui, c'est ce dernier qui lui aura soufflé, non seulement le titre, mais aussi l'argument principal de sa copie remarquée, notée avec mention, lui ouvrant par la même occasion les portes du Graal et du «Grand'cour»(!), tous les deux empruntés ouvertement (pas copiés, attention !) à l'un des chefs d'oeuvre majeurs de Roberto Bolaño : «Les Détectives Sauvages», dans lequel le héros et alter-ego de l'écrivain chilien, le poète Juan García Madero, partait à la recherche de Cesaréa Tinarejo, poétesse légendaire dont le sillage s'était effacé dans le désert mexicain… Dans LA PLUS SECRETE MEMOIRE DES HOMMES, Diegane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais s'engagera à son tour sur les traces de T.C. Elimane, auteur d'un ouvrage tout aussi mythique, «Le Labyrinthe de l'Inhumain», devenu introuvable, à l'instar de son auteur qui s'était, comme Tinarejo, complètement évaporé dans la nature. Après avoir connu son heure de gloire dans le tout Paris des Arts et des Lettres de la fin de années 30, où, âgé d'à peine 23 ans, l'auteur avait été salué comme un prodige littéraire, surnommé par un critique de l'époque le «Rimbaud nègre», T.C. Elimane fut accusé de plagiat, son livre retiré des ventes, et son auteur perdu de vue.
La littérature invente des histoires, crée des personnages quelquefois plus vrais que nature, fonde des mythes. Elle s'applique, au-delà d'une simple «imitation de la réalité », à vouloir percer les mystères du monde, ou tout au moins à leur accorder sens et consistance aux yeux de ses lecteurs captifs. Elle entretient également, par la puissance d'évocation dont elle sait faire preuve et par la richesse de ses ressources, l'illusion de réussir un jour à engendrer peut-être le Livre, l'oeuvre «définitive», celle que tout lecteur qui respecte scrupuleusement le pacte imaginaire passé avec elle recherche secrètement. Son emprise sur nous est telle que la littérature peut quasiment tout se permettre, y compris questionner ses fins : son sens ultime et, en même temps, sa propre finitude. «...l'Oeuvre meurt, comme meurent toutes les choses, comme le Soleil s'étreindra, et la Terre, et le Système solaire et la Galaxie et la plus secrète mémoire des hommes » (Les Détectives Sauvages, cité par l'auteur en exergue).
Dans LA PLUS SECRETE MEMOIRE DES HOMMES, au travers d'une intrigue à miroirs et à tiroirs, l'enquête à propos donc d'une oeuvre mythique introuvable, ainsi que de l'incroyable destinée de son auteur, déclenchée dans un premier temps par un concours de circonstances hasardeux, conduira son héros, jeune auteur en manque de repères et d'inspiration littéraire, à une remise en question de son rapport à la littérature et de son identité même en tant qu'écrivain noir et africain. L'enquête se transformera en quête, en une sorte de parcours initiatique dont le fil rouge serait en fin de compte les limites floues, pour ceux qui s'y adonnent, entre vie et création artistique. Au travers de la vie et du parcours de T. C. Elimane, Diegane en viendra finalement à se poser cette question sibylline à laquelle probablement tout grand écrivain aura été un jour tenté de se poser : si l'on écrit, certes, à partir de ce qu'on a vécu ou de ce qu'on a réellement éprouvé, ne vivrait-on pas, par moments, plutôt en cherchant à imaginer et à éprouver sa propre vie de manière à pouvoir la raconter ? L'écrivain colombien Gabriel García Marquez, par exemple, en avait apparemment bien saisi les enjeux, en titrant son autobiographie : «Vivre pour la raconter»! Quelle est exactement cette frontière séparant vie et littérature ?
Diegane Latyr Faye avait quitté l'Afrique sans regrets. Il a pratiquement coupé les ponts avec son pays et sa famille. Très tôt, comme T.C. Elimane, il avait décidé de vouer sa vie à l'écriture. À Paris, Diegane a pourtant le sentiment de «vivoter». Il y fréquente un cercle d'auteurs et d'intellectuels déracinés, considérés pour la plupart, comme lui après avoir publié un premier opus passé quasiment inaperçu («soixante-neuf exemplaires écoulés les deux premiers mois, ceux que j'avais achetés de ma poche inclus»), comme des jeunes auteurs africains «prometteurs» : un groupe d'exilés volontaires refaisant le monde et la littérature au cours de longues soirées dopées à l'alcool et au sexe et qui, par esprit d'auto-dérision, s'auto-dénominent le « Ghetto » (peut-être, me suis-demandé, un coup d'oeil aussi, au passage, au « club du Serpent » formé par des exilés argentins se réunissant à Paris, croqués magistralement par Julio Cortázar – tiens, encore un de ses grands copains peut-être ?- dans «La Marelle»…)
Mohamed Mbougar Sarr dédie par ailleurs son roman à Yambo Ouloguem, écrivain malien ayant remporté le Prix Renaudot en 1968, pour son roman « le Devoir de Violence ». Qualifié à l'époque de «à la recherche du temps perdu africain», l'ouvrage ferait par la suite l'objet d'une accusation de plagiat et serait retiré des ventes. «Le Devoir de Violence» ne sera réédité que quarante ans après (Le Seuil, 2018), s'étant transformé entretemps en livre-fantôme, oublié, tout comme son auteur, Yambo Ouloguem, dont on aura, encore une fois, définitivement perdu la trace; le personnage du roman, T.C. Elimane, s'en inspirerait aussi en grande partie.
Quelle serait alors la distance séparant avec certitude citation et plagiat? Quel livre ne se serait inspiré d'aucun autre? Une oeuvre littéraire peut-elle être conçue par une simple et stricte parthénogénèse? N'entendons-nous pas souvent dire que pour écrire, l'on doit d'abord beaucoup lire, qu'il faut nécessairement s'imprégner de l'héritage passé et du patrimoine légué par la littérature? La phylogénèse de la création littéraire se perd dans la nuit des temps : en dehors des tablettes sumériennes d'Uruk, datées de 3300 ans avant notre ère et composées essentiellement d'écrits de comptabilité, d'inventaires et de consignes administratives, il semble impossible d'identifier avec précision «le livre zéro». Je me souviens aussi, à ce propos, d'un professeur de Philosophie que j'ai eu dans le temps, très provocateur, clamant haut et fort que «rien de fondamentalement nouveau n'avait été écrit depuis les Grecs anciens»..!
Last but not least, LA PLUS SECRETE MEMOIRE DES HOMMES soulève également la question de la séparation possible entre la place qu'on occupe dans la scène visible du monde et celle depuis laquelle on écrit ou, en tout cas, qu'on souhaiterait pouvoir occuper exclusivement en tant qu'écrivain. Vaste question, objet de nombreuses controverses (à connotation la plupart du temps très idéologique, telles, pour ne citer que l'éternel débat qui se poursuit encore de nos jours, celles cherchant à déterminer si une femme peut «écrire comme un homme, ou vice-versa», s'il existerait une écriture foncièrement «féminine» ou «masculine», ou pas) ; ici l'interrogation se portera, bien sûr, plus particulièrement sur les liens entre négritude et littérature : «Elimane voulait devenir blanc, et on lui a rappelé que non seulement il ne l'était pas, mais encore qu'il ne le deviendrait jamais malgré tout son talent. Il a donné tous les gages culturels de la blanchité ; on ne l'en a que mieux renvoyé à sa négreur». La quête d'une voix littéraire indépendante et personnelle, cherchant à se dégager à la fois des accommodations culturelles qui peuvent la circonscrire et du piège formaté des revendications identitaires, semble traverser tout le roman, accompagnée parfois en arrière-plan par l'ombre somptueuse et tutélaire d'un Senghor ou d'un Fanon, présents en filigrane, implicitement et intimement convoqués.
Les thèmes abordés, la profondeur de réflexions auxquelles le lecteur est associé, la maturité incroyable de la plume de son auteur, sa signature aussi, associant de manière décomplexée un style direct, propre à la littérature contemporaine, à la beauté, voire à une certaine préciosité intemporelle de la langue, sont quelques-uns des éléments qui font de LA PLUS SECRETE MEMOIRE DES HOMMES un roman saisissant, fort bien écrit, agréable à lire, très intéressant sur le fond.
Deux petits bémols cependant, en ce qui me concerne en tant que lecteur : d'une part, une scénarisation parfois excessive de l'intrigue, intercalant des épisodes relativement superflus par rapport au motif principal, convoquant au passage différents registres littéraires (polar, réalisme magique…), mais surtout laissant inaboutis un certain nombre de contextualisations et/ou de personnages accessoires trop superficiellement évoqués (suicides en série, phénomènes de préscience, envoûtement, traque de criminels nazis..) ; d'autre part, a aussi quelque peu gêné ma lecture une sorte de pansexualité affichée, omniprésente, dont certains développements seraient, me semble-t-il, tout à fait dispensables, pas du tout pour des questions de pudeur, mais plutôt de sens ou de crédibilité (je ne trouve pas très crédible, par exemple, qu'une intellectuelle française ait pu livrer spontanément à une journaliste(!), en 1948 (!), des détails particulièrement croustillants sur sa vie sexuelle, ses pratiques d'échangisme et de triolisme - en outre, soit dit au passage, celles-ci n'éclairant et ne rajoutant absolument rien de déterminant à l'intrigue, enfin…).
Une petite étoile en moins, donc, pour rappeler au jeune et brillant Mohamed Mbougar Sarr qu'il ne faut pas sortir tous ses jouets d'un seul coup dans la cour des grands !! On peut quelquefois mieux faire croire et goûter au plaisir d'un jeu en se passant d'artefacts inutiles…
Comme disait si bien cet ancien camarade, Gustave de son prénom :
«Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l'air, un livre qui n'aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. Les oeuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière ; plus l'expression se rapproche de la pensée, plus le mot colle dessus et disparaît, plus c'est beau.»

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Choisi le 4 novembre 2021- Librairie Périple2 [Boulogne-Billancourt ]- Interruption momentanée !...

Je ne suis pas très accroc aux Prix littéraires, mais le Prix Goncourt 2021 est une double grande joie : récompenser un jeune écrivain talentueux, avec un 4ème roman…très ambitieux et en même temps salue le travail de grande qualité d'un petite éditeur indépendant , dont j'ai eu l'occasion d'apprécier à moult reprises ses choix éditoriaux : Philippe Rey

Le narrateur se raconte, son envie d'être écrivain…d'écrire le Livre… de magistrales réflexions sur la création littéraire et ce besoin d'ECRIRE, encore et encore, traversant l'histoire de l'humanité. Ce trésor inépuisable de la LITTERATURE pour combler l' Impuissance des HUMAINS !

Une lecture d'une richesse et d'une flamboyance qui me submergent trop abondamment… dans l'instant …Curieusement j'ai interrompu ma lecture momentanément. Je la reprendrai prochainement… avec un premier recul…en m'y consacrant exclusivement , car une de mes fâcheuses habitudes est de lire plusieurs ouvrages en même temps, et dans cet ouvrage foisonnant à souhait, c'est du gâchis !...

Je vais faire l'inverse de l'auteur en mettant en conclusion de cette chronique, cette très saisissante citation de Roberto Bolano , mise en exergue . [cf. "Les Détectives sauvages" -Christian Bourgois, 2006 ]

« Un temps la Critique accompagne l'Oeuvre, ensuite la Critique s'évanouit et ce sont les Lecteurs qui l'accompagnent. le voyage peut être long ou court. Ensuite les Lecteurs meurent un par un et l'Oeuvre poursuit sa route seule, même si une autre Critique et d'autres Lecteurs peu à peu s'adaptent à l'allure de son cinglage. Ensuite la Critique meurt encore une fois et les Lecteurs meurent encore une fois et sur cette piste d'ossements l'Oeuvre poursuit son voyage vers la solitude. S'approcher d'elle, naviguer dans son sillage est signe indiscutable de mort certaine, mais une autre Critique et d'autres Lecteurs s'en approchent, infatigables et implacables et le temps et la vitesse les dévorent. Finalement l'Oeuvre voyage irrémédiablement seule dans l'Immensité. Et un jour l'Oeuvre meurt, comme meurent toutes les choses, comme le Soleil s'éteindra, et la Terre, et le Système solaire et la Galaxie, et la plus secrète mémoire des hommes. »


***à compléter à ma reprise de lecture !!
[17 décembre 2021 ]
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C'est un roman exceptionnel, et je ne dis pas cela parce qu'il été couronné par le Prix Goncourt, car ce prix a parfois été attribué à des livres que je n'ai pas du tout aimé.
Je ne trouve pas de superlatif assez fort pour dire à quel point j'ai apprécié ce livre.
Mon avis, avec sa part de subjectivité incontournable, est qu'il s'agit d'un chef-d'oeuvre.
Je l'ai lu puis relu, pour mieux apprécier à la deuxième lecture la beauté de sa construction. Et je pense que je relirai encore.

Ce livre a pour thème la quête d'un jeune auteur sénégalais, Diegane Faye, titulaire d'une bourse qui lui permet d'étudier à Paris, et qui découvre le livre d'un auteur sénégalais comme lui, T.C. Elimane. Ce dernier avait publié en 1938 un livre retentissant, le labyrinthe de l'inhumain, encensé par la critique jusqu'à ce que l'auteur soit accusé de plagiat, que tous les exemplaires de ce livre soient retirés de la vente, et qu'Elimane disparaisse définitivement sans laisser de traces.

C'est un voyage initiatique fabuleux auquel nous convie ce roman, voyage qui parcourt le 20ème siècle, de la première guerre mondiale aux années 80, voyage faits d'allers et retours entre le passé et le présent, voyage qui nous transporte de la France au Sénégal, qui nous emmène en Argentine, qui passe par Paris, Amsterdam, Dakar, Buenos Aires.

Progressivement, le puzzle s'assemble, des portes s'ouvrent, parfois sur un monde magique et inquiétant, jusqu'à une fin extraordinaire.
Les récits s'emboîtent les uns dans les autres et même se superposent dans la dernière partie, dans une sorte de polyphonie prodigieuse.
Et parfois, l'auteur nous invite sur des chemins annexes, tels les manifestations de la jeunesse à Dakar, ou le sort de l'éditeur juif d'Elimane lors de son retour à Paris en 1942. On a même la surprise de rencontrer Gombrowicz et Sabato en Argentine.

Chrystèle @Horde du Contrevent évoque au sujet de l'auteur la manière de Kundera, un de mes auteurs bien aimés. Pour ma part, j'évoquerais aussi Paul Auster, et sa narration faite de méandres, de récits enchâssés, comme dans Mon Palace, et aussi, la fin de ce livre m'a immédiatement fait penser à celle de la chambre dérobée qui clôt la trilogie new-yorkaise.
Parenté mais sûrement pas plagiat!

Et puis, le roman est traversé constamment d'un double questionnement très profond sur la littérature et sur le sens de la vie.

Et enfin, il y a l'écriture, magnifique, virtuose, au diapason des sentiments et des situations.

En conclusion, un roman absolument fascinant.
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