- Mais en réalité, le droit de mentir va plus loin encore : ce droit m'appartient contre toute question que je n'ai pas autorisée, et qui concerne ma personne ou celle des miens : une telle question est indiscrète ; ce n'est pas seulement en y répondant, c'est même en l'écartant avec un « je n'ai rien à dire », formule déjà suffisante pour éveiller le soupçon, que je m'exposerais à un danger. Le mensonge en de tels cas est l'arme défensive légitime, contre une curiosité dont les motifs d'ordinaire ne sont point bienveillants.
Et en général, rien n’est mieux fait pour nous délivrer de toute pensée de haine contre notre prochain, que de nous figurer une position où il réclamerait notre pitié. – Aussi voit-on d’ordinaire les parents préférer ceux de leurs enfants qui sont maladifs : c’est que ceux-là ne laissent pas la pitié s’endormir.
Le ressort moral doit être, nécessairement, comme tout motif qui détermine la volonté, une force qui se révèle d'elle-même, qui dès lors agit réellement, donc qui est réelle. Or pour l'homme, cela seul est réel, qui est objet d'expérience, ou qui pourrait, à ce qu'on suppose, le devenir à l'occasion. Par suite, le ressort de la moralité doit en fait être un objet d'expérience ; en cette qualité, il doit se présenter sans qu'on l'appelle, s'offrir à nous, puis ensuite, ne pas attendre nos questions, nous imposer d'abord son action, et une action assez puissante pour triompher, ou du moins pour être à même de triompher, des motifs qui lui feront obstacle, de cette force prodigieuse, l'égoïsme.
"À cet effet, il est nécessaire que je compatisse à son mal à lui, et comme tel ; que je sente son mal, ainsi que je fais d’ordinaire le mien. Or, c’est supposer que par un moyen quelconque je suis identifié avec lui, que toute différence entre moi et autrui est détruite, au moins jusqu’à certain point, car c’est sur cette différence que repose justement mon égoïsme. Mais je ne peux me glisser dans la peau d’autrui : le seul moyen où je puisse recourir, c’est donc d’utiliser la connaissance que j’ai de cet autre, la représentation que je me fais de lui dans ma tête, afin de m’identifier à lui, assez pour traiter, dans ma conduite, cette différence comme si elle n’existait pas."
En cherchant à exprimer brièvement la force de cet agent ennemi de la moralité, j'avais songé à dépeindre d'un trait l'égoïsme dans toute sa grandeur, et je tâchai de trouver à cet effet quelque hyperbole assez énergique ; je finis par prendre celle-ci : plus d'un individu serait homme à tuer son semblable, simplement pour oindre ses bottes avec la graisse de mort. Mais un scrupule m'est resté : est-ce bien là une hyperbole ?
« […] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux.
[…] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes.
[…] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions.
[…] » (Roland Jaccard.)
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Référence bibliographique :
Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration :
Vauvenargues : https://www.buchfreund.de/de/d/p/101785299/luc-de-clapiers-marquis-vauvenargues-1715-1747#&gid=1&pid=1
Georges Perros : https://editionsfario.fr/auteur/georges-perros/
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