J'aime bien regarder le monde de
Sempé en grand format cartonné.
Je m'attarde sur la page.
Je scrute les physionomies.
Je mime une attitude.
Et je me dis : quel talent à saisir tant avec si peu.
J'essaie de deviner le secret de cette patte dépouillée, en entre gris clair et gris foncé, propice à la rêverie. Encore un de ces mystères insondables.
Une visiteuse d'une exposition d'art contemporain s'adresse à un gardien en uniforme, assis sur une chaise, casquette sur les genoux :
- J'aime beaucoup ce que vous faites.
L'art du décalage. En fait, c'est peut-être une clé. le maître nous décale légèrement de la réalité, nous invite à faire un pas de côté, à sortir des sentiers battus d'un quotidien tiède. Il souligne nos comportements saugrenus, sans juger, d'un coup de crayon précis et épuré. Il invite à observer au-delà de l'apparence sibylline.
Je suis doublement triste aujourd'hui parce qu'un grand poète nous a quittés et que si peu de lecteurs prêtent attention à la hauteur de vue d'un grand humaniste.
Il est encore temps de sourire et d'opiner du chef, devant ses vignettes, miniatures sur le vif, telle ce promeneur, félicitant une peintre médusé devant son chevalet, dans un parc arboré de grandes essences :
- Quelle allégresse il y a dans votre peinture ! Quelle allégresse ! Oh, bien sûr, la composition laisse à désirer et vous n'êtes pas un coloriste-né. le choix du sujet et la technique utilisée ne font pas de vous un novateur non plus. Mais quelle allégresse ! Conservez-là.
Sempé semper.
Qu'il en soit ainsi !