Très chers amis

« Quatre mois plus tôt, à la faveur du printemps, il avait accueilli cinq invités d'une qualité exceptionnelle dans sa colonie. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Comment ? »

Il y a des romans pour lesquels il faut savoir attendre, patienter, prendre son temps avant d'entrer dedans et de s'y sentir bien. Les impatients n'y trouvent généralement pas leur compte, se lassent et abandonnent. Les autres sont souvent récompensés de leur curiosité. Très chers amis, de Gary Shteyngart – traduit par Stéphane Roques - est de ces livres.

Dans une libre inspiration tchekhovienne d'un Oncle Vania qu'on aurait transposé sur les rives de l'Hudson au début du premier confinement du printemps 2020, Shteyngart installe tranquillement ses personnages dans un début un brin longuet, mais finalement nécessaire.

Car quitte à confiner, autant le faire entre amis et en ripaillant. C'est ce que pense Sacha, écrivain scénariste limite fauché, qui a invité dans ses bungalows d'invités proches de sa Maison de l'Amitié, sa bande de fidèles autour de Macha sa femme et Nat sa fille.

Il y a donc là Vinod salement malade, Karen qui a fait fortune avec une appli de rencontre et Ed le beau gosse, tous amis de jeunesse, auxquels se sont joints la jeune Dee et L'Auteur, star et premier rôle potentiel de la future série que Sacha écrit.

Dans ce huis quasi-clos, les verrous vont peu à peu sauter, les bilans de vie s'imposer, les regrets exploser, la distanciation s'estomper permettant aux couples de se croiser et d'évoluer. Une occasion de revisiter le passé et de repartir, peut-être, un peu meilleur…

Livre sur le temps qui passe, sur ces liens qu'on voudrait éternels mais qui ne sont plus, sur la solitude qui frappe lorsque l'on découvre que l'on ne peut plus s'appuyer sur l'amitié, sur le poids des origines, Très chers amis est une délicieuse et subtile comédie aux dialogues ciselés.

Passé l'étonnement du début de ne pas retrouver le rythme habituel de Shteyngart, je me suis laissé emporter par cet habile mélange de gravité et de légèreté, marqueur classique de l'auteur.

Gary Shteyngart encapsule dans ce roman tous les travers de la société américaine, son racisme, sa violence, la quête identitaire effrénée et sans fin de ses habitants, leur soif d'argent et de pouvoir. La bande d'amis qu'il met sous cloche devient ainsi un microcosme représentatif du pays, entre comédie et tragédie (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2024/01/07/tres-chers-amis-gary-shteyngart/)
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Très chers amis est un « roman Covid » qui se situe en 2020, aux USA, pendant le confinement et la présidence de D. Trump. Sacha Senderovski, écrivain à succès, mais un peu en perte de vitesse, décide d'accueillir dans sa « datcha », une maison entourée de 5 pavillons satellites dans la campagne proche de New York, une belle brochette d'intellos urbains plutôt CSP + ou ++ composée d'amis, fils d'immigrés comme lui, d'une ancienne étudiante et de l'Acteur, (avec un grand A), dont il a absolument besoin financièrement pour que soit tirée de son roman une série TV.
Sacha prépare tout en achetant force victuailles et force alcools et se réjouit de recréer une sorte de colonie, semblable à celle où il a vécu lors de son enfance de russe fraîchement immigré. Tout semble bien débuter, on mange ensemble, on boit beaucoup, on parle, on s'amuse, on se promène dans la campagne et l'Acteur arrivé dans les temps est presque supportable.
Et puis, comme le confinement dure, les rapports se gâtent, des intrigues amoureuses se nouent (l'Acteur + la femme de Sacha, l'Acteur + l'ex étudiante, l'ex étudiante + un autre ami de Sacha… etc.) puis se brisent, suscitant tensions et jalousie, basées parfois sur des rancoeur plus anciennes. le climat est alourdi par un voisinage inquiétant car plutôt « trumpien »et hostile à la présence de ces bobos urbains et par l'action amplificatrice des réseaux sociaux qui suivent certains membres de la communauté.
Ces tensions entraînent disputes, ruptures, départs, retrouvailles et même un drame et une recomposition finale… Bref, devant tant de péripéties, on se dit : quelle belle histoire !
Mais en fait, c'est plus moyen ! Ce roman présenté comme « un des plus drôle » de l'auteur, ne l'est pas vraiment sauf pour de courts passages. Et pour son contenu, même si l'écriture est brillante, on cause beaucoup, on dissèque les sentiments, on saute d'une période à l'autre, en se perdant dans les souvenirs, on étire certains épisodes, frôlant parfois l'artificiel et le caricatural et objectivement, on finit par s'ennuyer en attendant la fin, peu convaincante !

Que cette lecture fut poussive ! Des personnages qu'on n'arrive pas à trouver attachants, un style quelconque, parfois lourd. Des passages par moment incompréhensibles. Quelques flèches d'humour corrosif, c'est vrai, mais ce ne fut pas suffisant pour tromper mon ennui.

Après Trust d'Hernan Diaz pour la rentrée de septembre 2023 qui était un OVNI littéraire génial, les éditions de l'Olivier nous envoient encore sur orbite avec ce roman-pièce de théâtre-comédie de moeurs ! Là aussi écrit par un américain d'adoption !
L'auteur Gary Shteyngart est né en Russie en 1972 et installé aux États-Unis depuis ses six ans, il nous raconte le confinement de 2020, celui de Sacha Senderovski, écrivain, cinquantenaire, de sa femme psychiatre, Macha et de leur fille adoptive Natacha... Pour vivre "sereinement" ces mois de confinement loin de New York, du COVID, des morts et de la psychose, ils se sont installés dans leur datcha comme on dit en russe, à quelques dizaines de kilomètres de New York. Ils y ont reconstitué dans un domaine verdoyant une petite colonie avec leur maison principale et plusieurs petits bungalows autour... reconstitution du lieu de leur jeunes années.
Pour corser le tout, ou éviter l'ennui, Sacha invite ses amis d'enfance, célibataires cinquantenaires, à se mettre au vert avec eux. Pas ceux de sa femme, qui sont tous mariés avec enfants. Sur le principe, c'est une super idée, humaniste, altruiste... mais dans les faits ça ne se passe pas aussi sereinement que prévu... sinon c'est pas drôle.

Arrivent donc Ed, coréen bien né, super cuistot, Karen, également coréenne d'origine, qui va se lier d'un amour maternel avec Natacha, la fille adoptive asiatique de Sacha et Macha, Vinod, indien en rémission d'un cancer, toujours amoureux de Karen : voilà pour la garde rapprochée. Et puis il y a l'Acteur, que Sacha espère convaincre de défendre son scénario et Dee, une ancienne élève de Sacha... Mélangez le tout, de même que les milieux sociaux, ajoutez un peu d'alcool, parce que « L'alcool est une bénédiction pour tout récit, et tout écrivain frémit d'excitation en entendant le pop d'un tire-bouchon. Les protagonistes se révèlent enfin. C'est l'heure des rires et de l'amour débridés. » Et vous obtenez des petits secrets mis à jour, des coucheries par-ci et par-là et un confinement qui devient une comédie de moeurs drôle, avec des situations comiques, un peu de suspens aussi avec un type au volant d'un 4x4 noir qui les scrute...

Un huis clos construit comme une pièce de théâtre en quatre actes, présentant les « dramatis personae » qui vont se donner la réplique ensuite. L'auteur respecte (presque) les principes de temps, lieu et action comme dans une pièce de théâtre, use des ressorts du comique de situation des vaudevilles, du comique de caractère aussi (l'Acteur en prend plein l'ego et c'est bien fait !). Et même une interprétation de l'interprétation avec une pièce de théâtre, russe forcément, montée par les protagonistes à la fin !
Démarré comme une comédie de moeurs, le roman finit en comédie dramatique... oui c'est quand même le COVID donc il fallait bien que l'un des personnages soit sacrifié.

Acte I « La colonie ». On plante le décor et on attend que tous les protagonistes arrivent sur place.
Acte II « Mésaventures ». Première journée, début des emmerdes, un secret grossièrement enfoui est déterré par une petite fille ...
Acte III. « Doux comme un agneau ». Après deux semaines, les histoires des uns et des autres se mêlent. « En ville, les gens mouraient », pas que du Covid, on suit ainsi l'affaire George Floyd, entre autres.
Acte IV. « La mort d'Alexandre Borissovitch ». Un des protagonistes quitte la colonie, apaisement de courte durée...

J'ai adoré ce roman, ainsi que les interventions de l'auteur, omniscient, qui donne des indications, des trucs et astuces d'écrivains, comme « Quand vous êtes à court d'idées, faites une liste. Les lecteurs adorent les listes ».
Voici des pages drôles, et un style unique propre à Gary Shteyngart, et pour reprendre la présentation de l'éditeur « un huis clos entre la comédie à l'américaine et le roman russe » !

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