Faut-il attendre qu'une femme soit morte pour la croire ?
« En 1993, Moise Touré dont la compagnie de théâtre se trouvait à Grenoble, m'a demandé si cela m'intéresserait de travailler autour de la violence en sphère privée. J'ai accepté et j'ai rencontré alors des femmes de tout milieu qui venaient à l'association Solidarité femmes de Grenoble. Ces dernières m'ont aidé a prendre connaissance de l'étendue de ce que je nommerai plus tard
L'autre guerre »
Dans un avant-propos,
Elsa Solal parle de la difficulté d'écrire, de son choix pour mettre à distance, pour nommer l'innommable « Durant une année, j'ai été incapable d'écrire un mot. Toutes ces existences, ces récits continuaient à vivre comme une blessure au coeur d'un pays : la plaie de la violence inouïe qui accable une à trois femmes sur dix en France. J'étais submergée, ces histoires, ces visages, ces voix résonnaient encore dans ma maison. Puis un jour, m'est revenu l'humour de ces femmes rencontrées, leur force de vie mystérieuse, leur générosité et leur humanité face une telle cruauté qui reste souvent impunie. Ainsi ce livre devenait nécessaire, il m'a fallu trouver une forme. J'ai choisi la frontière entre la littérature et le théâtre. Ce roman-théâtre permettrait de mettre à distance et de nommer l'innommable. ». Pour changer aussi les regards, les images, et « trouver d'autres possibles ».
Dans une seconde petite pièce « le monde à l'envers, Nô moderne », l'auteure fait surgir le fantôme d'une femme. « Ici le mouvement est quelque peu inversé : cette voix de l'au-delà vient parler, dire et éclairer les vivants »
La première pensée, défigurée mais vivante, le constat des dégâts dans sa chair et « Soudain la peur, le souvenir de cette nuit passée m'ont envahie », la mort comme âme soeur et ultime objet de confiance de l'existence. L'auteure parle de « mémoire trouée », des coups considérés comme faisant partie de la normalité, de l'incompréhension de cette violence aux yeux de tous, lui si aimable…
Elsa Solal rend palpable dans l'agencement des phrases, dans l'ordre des mots, dans les lieux de cette violence, « ce territoire que l'on nomme vie privée », les coups, la femme qui est et est niée.
Avant, une femme, « éponge imbibée d'attente ». Au début, le bonheur. La construction de « ce vaste désert creusé en moi comme une tombe lorsqu'un soir, tu me fis taire ? ». Quand ? Comment ? « Est-ce ce soir là, ou un autre plus lointain, que tout a commencé ? Un geste, une seconde d'inadvertance, un regard sans importance ? Mais qu'est ce qui a de l'importance ? ». A l'intérieur, « un petit violon brisé qui sonnait faux ».
Un beau dimanche, « La gifle est arrivée ». Comment comprendre ? La honte d'abord. Les voisin-e-s qui n'entendent pas, les petites variations dans les mensonges, la culpabilité renvoyée par les autres… Les policiers incapables. La peur « enzyme glouton qui vous bouffe les neurones en une seconde »…
Ana, l'association, appendre que son histoire est « banale », la connaissance et le silence sur « ce qui se passe derrière cette frontière opaque »…
Le calme d'une journée sans cri, sans peur.
« Dernier continent, noir, caché, déporté », haine et guerre commune, « le viol, les coups, le meurtre d'une femme sont des événements quotidiens politiques »
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