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Alain Nave (Auteur du commentaire)Marcel Proust (Illustrateur)
EAN : 9782234050419
157 pages
Stock (10/11/1999)
4/5   4 notes
Résumé :

" La main de Proust écrit sans cesse. Elle court sur le papier, les scènes et les portraits s'organisent, et, de temps en temps, une figure passe à travers les lignes, résiste, habite la feuille, se détache, vient faire tache comme un insecte qui refuserait de se laisser épingler et tuer. C'est un fantôme qui n'a pas encore été réduit, une apparition comme dans une séance de spiritisme, une grimace, u... >Voir plus
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Proust n’est pas doué pour le dessin ni la peinture. Il en souffre. Il n’est pas doué non plus pour la musique. C’est un de ses tourments. Il se verrait bien en sculpteur et en architecte, mais les grandes cathédrales sont déjà construites, le passé est le passé, impossible de faire mieux, il faudrait trouver autre chose. [...]

La grande question de la littérature, on s’en apercevra de plus en plus au fur et à mesure qu’elle aura tendance à disparaître, n’est pas de savoir « de quoi ça parle » ni « ce que ça raconte » mais : qui raconte qui ? Autrement dit : qui détient la maîtrise du récit ? Qui n’est pas raconté par un autre ? Il ne s’agit pas seulement de puissance d’information, sans quoi le journalisme ou la biographie fouillée suffirait à régler le problème (et c’est d’ailleurs ce que nous pensons aujourd’hui : les « révélations » se succèdent, les oeuvres s’éclipsent, le « vécu » direct envahit les publications comme une grande marée grise de souffrance ou de dépression). Il ne s’agit pas non plus d’un conflit ni d’une compétition d’interprétations (dites-moi quelle est votre origine ou votre position sociale, allongez-vous chez nos psys). Non : le qui-raconte-qui de la littérature est bien plus ambitieux, risqué et terrible, c’est bel et bien une lutte intense de pouvoir (et non pas telle ou telle conception du « roman »). Il s’attaque à une époque dans toutes ses dimensions, et au temps lui-même dont cette époque est un angle. Ce n’est pas par hasard si Proust multiplie les références à des dates très éloignées de celle où il écrit (l’aristocratie et son effondrement le servent dans ce cadrage), s’il enchaîne par rapport aux grandes synthèses récentes (Balzac), s’il n’écrit pas non plus des « Mémoires » mais invente une machine à tisser des temps différents en pleine actualité. Or ce temps est le sien, pas celui du chroniqueur ou de l’historien.

De ce point de vue, parfaitement scandaleux et maintenu avec une finesse acharnée, la scène de Montjouvain entre Mlle Vinteuil et son amie ; celle de la danse, seins contre seins, d’Andrée et d’Albertine ; celle, encore, de la danse de fascination réciproque entre Charlus et Jupien dans la cour de l’hôtel de Guermantes (suivie du bruit de leur accouplement porcin), ont autant d’importance que l’affaire Dreyfus ou la première guerre mondiale, pourtant analysées dans leurs ramifications cachées et leurs conséquences. Les acteurs de l’Histoire croient vivre, ils sont vécus. Ils pensent dire, ils sont dits. Ce corps frais, insolent, sportif, désirant, va vieillir et pourrir sur place. Ce duc si sûr de lui, si fier, se résume soudain dans une caricature de vieux lion riche mais en cage : « Il se leva poliment de son siège et je sentis la masse inerte de trente millions que la vieille éducation française faisait mouvoir, soulevait, et qui se tenait debout devant moi. »
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L’oeil est là, brillant, plein de vie, de vice, de malice, mais c’est déjà « l’heure du déclin des regards, où le visage, passé tout entier au-dessous de l’horizon, ne reçoit plus de lumière ». Chacun est connu mais est devenu méconnaissable : « Sa nature [Morel] était comme un papier sur lequel on a fait tant de plis dans tous les sens qu’il est impossible de s’y retrouver. »

Ou encore ce Charlus inattendu (mais quel dessin !) : « Le baron était non seulement chrétien, mais pieux à la façon du Moyen Age. Pour lui, comme pour les sculpteurs du XIIIe siècle, l’Eglise chrétienne était, au sens vivant du mot, peuplée d’une foule d’êtres crus parfaitement réels : prophètes, apôtres, anges, saints personnages de toutes sortes entourant le Verbe incarné, sa mère et son époux, le Père éternel, tous les martyrs et docteurs, tels que leur peuple, en plein relief, se presse au porche ou remplit le vaisseau des cathédrales. Entre eux tous, M. de Charlus avait choisi comme patrons intercesseurs les archanges Michel, Gabriel et Raphaël, avec lesquels il avait de fréquents entretiens pour qu’ils communiquassent ses prières au Père éternel, devant le trône de qui ils se tiennent. »
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Qui raconte qui ? Celui qui, « comme un plongeur qui sonde », est capable de déchiffrer des signes « en relief », a une chance, dans la solitude et le silence, de s’emparer du vrai récit. La plupart des humains, en effet, « croient que la littérature est un jeu de l’esprit destiné à être éliminé de plus en plus dans l’avenir ». Ils ne se doutent pas qu’elle est au contraire le vrai corps, la vraie vie, ou peut-être le pressentent-ils et préfèrent-ils la mort et l’oubli. Peut-être ? Non, sûrement. Quand Freud, au moment même où Proust va mourir en achevant La Recherche, introduit la pulsion de mort comme « la plus pulsionnelle des pulsions », il rencontre l’incompréhension majeure de sa vie, une résistance bien plus acharnée que celle déclenchée par sa révélation sexuelle. De même, la littérature, au sens de Proust, a peu de chose à voir avec ce que l’on débite esthétiquement ou industriellement sous ce nom. C’est une expérience en profondeur, antisociale, dont tout veut nous détourner, à commencer par nous-mêmes. Qu’est la littérature à côté d’un enfant qui meurt de faim ? Rien, et cela nous sera répété tous les jours. Face aux immenses souffrances d’une planète en folie ? Rien encore. Face aux grands problèmes financiers et diplomatiques de l’heure (comme dirait M. de Norpois) ? Rien, rien, trois fois rien. Ou encore : qu’est-ce que la littérature comparée au cinéma, à la télévision, à Internet, à la presse ? Moins que rien, un rêve narcissique, une buée, une illusion archaïque, à moins de ressembler à un script en vue de l’image (et encore). Regardez ce maniaque enfermé chez lui, essoufflé et vivant la nuit, ne sortant que pour quelques séances perverses, écrivant sans cesse, et gribouillant, de temps en temps, des petits dessins dans la marge. N’est-il pas ringard, tocard, has been, toqué, décalé ? On le lui fait sentir, il n’écoute rien, il s’obstine. Ce David à plume d’encre croit qu’il possède une fronde capable de tuer Goliath. Pauvre type, il va se faire écraser, c’est fini tout ça, on ferme. »
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