Magnificat est la suite d'
Angélus mais peut se lire de façon indépendante.
Nous y retrouvons Aloïs de Malpas l'héroïne d'
Angelus. Elle est au service de Dame Ermengarde la vicomtesse qui règne sur le Comté de Narbonne.
Aloïs, « ne s'est point tout à fait départie des croyances des Vrais Chrétiens (…) » ceux que l'archevêque Pons d'Aras traitent d'hérétiques, des catharos.
Dame Ermengarde, elle, n'est plus la jeune guerrière qui a « (…) chevauché, en armure, l'épée au poing, aux côtés des chevaliers de l'Alliance pendant la guerre des Baux».
Elle est confrontée à l'usure du pouvoir et à l'attrait de ses citoyens pour le changement et la nouveauté « Il s'échafaude, parmi les corporations de Narbonne, une conjuration visant à vous chasser de la ville pour y établir une république mercantile sur le modèle de Gênes. »
Un « marchand drapier du nom de Hugues Bertier » mène la fronde. On l'a vu « se rendre plusieurs fois à la cathédrale en dehors des offices. Il est tout à fait certain que cet homme a l'oreille de Son Excellence monseigneur d'Arsac. »
Armengarde ne se fait aucun doute sur les motivations de l'ecclésiastique, « Je connais Pons d'Arsac. Je sais les fourberies dont il est capable. Quelque bonne figure qu'il me fasse, il m'en veut de ne point chasser hors de Narbonne ceux qu'il appelle les hérétiques, les catharos »
Monseigneur Pons d'Arsac outre sa fonction ecclésiastique, apprécie la « Poularde à la galimafrée, enrobée d'une sauce au verjus (…) », il a de ce fait, « l'allure d'un veau marin en habits de prélat.»
Les conseillers de la Comtesse, « Guillaume del Bosc, d'une maigreur ascétique et doté d'une barbiche taillée en pointe, est le Maître des Monnaies. » et « Pierre Ramondis, Premier conseiller de la Cour. », s'accordent avec son projet de cession du pouvoir à son neveu « Aymeri de Lara. Il a combattu dans les rangs des Castillans pendant la guerre contre le comte de
Saint-Gilles. ».
Le roman commence alors que Aldo de Bizanet porte à l'abbaye de Fontfroide, une missive de Ermengarde pour son neveu.
Le prologue à lui seul est une merveille d'écriture.
Nous sommes sous le règne de Louis VII, (1137-1180) l'époux d'Aliénor d'Aquitaine et les vassaux du roi contestent son autorité.
Lobar le Loup, Rosso, Maletrogne et Compostelle, des mercenaires désoeuvrés dont le dernier affirme « — Je cesse d'être quand je cesse de tuer. », s'apprêtent à rejoindre le « sire de
Saint-Gilles, qui est aussi le comte de Toulouse. », ennemi juré d'Ermengarde, pour lequel ils ont déjà combattus.
Autour de la comtesse le Capitaine de la garde « Odín Glumsson, l'orphelin de la mer du Nord, a adopté la Méditerranée » assure la protection de la Cité.
« Joshua et Shimon sont élèves de mestre Brémond. » le médecin personnel de la vicomtesse, ils viennent d'al Andalus…
Guilhem de Malpas l'enfant de Bertrande recueilli par Aloïs dans
Angelus, est maintenant troubadour à la cour de Narbonne, il divertit les courtisans en compagnie de sa pie voleuse Agazza.
Sa route croise celle de Peire Brun, l'apprenti de Maitre Jordi dans
Angelus, devenu lui même Maître tailleur de pierre sur le chantier de la cathédrale.
Je ne traiterai dans cette chronique que la mise en place de l'action, soucieux de ne rien dévoiler de l'intrigue et de l'histoire construite à la façon d'une intrigue policière avec des surprises, des rebondissements et des rencontres de hasard qu'il faut découvrir en lisant le roman.
Comme dans
Angélus,
François-Henri Soulié s'attache à décrire avec un luxe de détails nécessaire ce qu'était le Moyen-âge. Loin des clichés habituels, il restitue parfaitement, l'atmosphère, les débats et les enjeux de pouvoirs de l'époque entre le clergé, la noblesse la royauté et la classe montante des marchands et des artisans qui cherchent à trouver une place digne de ce nom dans la société féodale souvent rétive à les considérer comme partie prenante.
Il montre que le débat sur la place des femmes n'était pas absent de la société de l'époque. En s'interrogeant sur la personnalité de son neveu, Armengarde pense : « Il plaira aux femmes… Il plaira aussi aux hommes qui, par bien des aspects, sont femmes sans le savoir. »
Aloïs de son côté pense :
« — Le mariage et l'amour sont deux domaines parfaitement étrangers l'un à l'autre. Ne le savez-vous pas ? »
Le moyen-âge fut aussi une période où l'ingéniosité des bâtisseurs n'est plus à démontrer :
« Deux candélabres à plusieurs chandelles, munis de réflecteurs de nacre, diffusent une étonnante lumière dans cette pièce sans fenêtres. Les quatre cloisons sont tendues de draps blancs afin de donner davantage de luminosité. »
Une belle littérature faite d'images au pouvoir évocateur stupéfiant :
« À pleins poumons, Donat s'enivre de ce parfum d'immensité. Au-dessus de lui, la grande conque céleste semble faite d'ardoise bleue, tout incrustée d'étincelles d'argent. Sous la haute lune masquée de brume, la mer dort, elle aussi. le clapotis des vaguelettes contre la coque répond à son murmure infini. Parfois, un poisson géant surgit des profondeurs et retourne dans l'onde en un éclat sonore, vite absorbé dans les sourds bruissements du silence. »
Un vocabulaire précis, précieux et bien choisi qui plonge le lecteur dans l'époque, j'ai notamment relevé :
Broigne, hippogriffe, bliaud, péristyle, piéça, troussequin, clayère, tonlieu, seille, calame, neume, tortil, psallette, antiphonaire, parousie, tesson, sirventès, surcot, chainse, doloir, lippée, dromon, goliard, pouacre, tarasque, dalmatique, pharamine, combe…
Un roman passionnant où l'on ne s'ennuie jamais, où l'on apprend beaucoup de choses, où l'on est emporté par les passions des personnages.